Formé en design, Jock Macdonald se tourne vers la peinture de paysage peu après son arrivée à Vancouver; toute sa vie durant, il cherchera l’inspiration dans la nature. Dans les années 1930, il se lance dans la quête d’une expression personnelle de l’abstraction, qu’il poursuivra jusqu’à la fin de ses jours. Son cheminement l’amène à pratiquer trois styles distincts – les « modalités » semi-abstraites des années 1930, les peintures automatiques des années 1940 et les tableaux abstraits de la maturité des années 1950. Ces changements stylistiques, chacun le fruit d’une véritable « percée », que Macdonald appelle des « tremplins », se produisent à une dizaine d’années d’intervalle, provoqués tantôt par une nouvelle source d’inspiration, tantôt par une nouvelle technique.
Le design et l’illustration
L’art de Macdonald s’appuie sur ses études en design au Edinburgh College of Art, en Écosse, et sur ses trois années de travail comme designer pour l’entreprise Morton Sundour Fabrics, en Angleterre. Au cours de sa carrière canadienne, il enseigne le design dans différentes écoles d’art de Vancouver, Calgary et Toronto. Il n’est donc pas étonnant que les principes de base du design prédominent dans ses premières réalisations à titre d’illustrateur, comme Burnaby Lake (Le lac Burnaby), v. 1929. Mais lorsque son attention se tourne vers la peinture de paysage et l’abstraction, et qu’il tente d’assouplir sa touche et de se libérer de l’ornementation de la surface, sa formation de designer devient un carcan dont il cherche à s’affranchir.
Les notes rédigées par Macdonald pour ses cours de design montrent qu’il croit en deux idées fondamentales. Premièrement, le designer doit être sensible à certains principes et symboles essentiels qui se manifestent dans l’histoire de toutes les cultures. Comprendre l’évolution de ces symboles et leur iconographie est une clé essentielle en design. Deuxièmement, « la connaissance de la forme et du dessin est la pierre angulaire du design ». Il considère que les élèves « doivent accumuler un maximum de connaissances sur les créations de Dieu, et ensuite les traduire à leur manière. C’est le seul moyen de créer un design original ».
En 1929, Macdonald s’inscrit à un concours de conception d’affiche pour la B. C. Electric Company. Le sujet qu’il choisit, le lac Burnaby, est une de ses premières représentations du paysage de la Colombie-Britannique. Cette affiche démontre clairement le talent de designer de Macdonald. Stylisé et décoratif, le dessin en aplat laisse entrevoir l’influence de son professeur Charles Paine, le directeur du département des arts appliqués à l’Edinburgh College of Art qui, dans les années 1920, crée des affiches pour le London Underground Group. L’image, de style Art déco, est magnifiquement conçue : les branches au premier plan se découpent sur des montagnes enneigées et un motif abstrait dans le ciel. Bien qu’elle soit attrayante et réussie, cette affiche n’a toutefois pas la puissance caractéristique de ses peintures de paysage ultérieures.
La peinture de paysage
Macdonald se lie d’amitié avec Fred Varley (1881-1969) peu après leur embauche à la Vancouver School of Decorative and Applied Arts (aujourd’hui l’Université d’art et de design Emily-Carr) en 1926. Ensemble, ils effectuent régulièrement des excursions de peinture au canyon du Fraser, au parc Garibaldi, dans les Rocheuses et sur les îles Gulf. Varley devient le mentor de Macdonald et exerce une influence sur ses premières représentations du paysage canadien.
Durant sa jeunesse à Thurso, en Écosse, Macdonald a réalisé des esquisses en plein air, principalement à l’aquarelle. Varley le convainc d’essayer l’huile afin de mieux capter la puissance du paysage et l’enjoint « de cesser de dessiner et de commencer à peindre ». Macdonald écrira plus tard : « La ligne et les formes décoratives s’imposaient toujours trop […] Je comprends bien ce que mon épouse et Varley voulaient dire lorsqu’ils firent remarquer que je réalisais des dessins coloriés. » Macdonald acquiert peu à peu confiance en lui-même : lorsqu’il termine Lytton Church, B.C. (Église de Lytton, C.-B.), 1930, il ne sollicite pas l’approbation de Varley.
Réalisé deux ans plus tôt, le magnifique tableau représentant une montagne, The Black Tusk, Garibaldi Park, B.C. (La défense noire, parc Garibaldi, C.-B.), connaît un succès national et international. En 1934, l’artiste retourne au parc Garibaldi pour peindre à nouveau La défense noire, cette fois dans un style nettement plus éthéré. Pour Macdonald, comme pour Varley, le défi consiste à peindre des œuvres qui traduisent le caractère unique et la puissance spirituelle des paysages de la Colombie-Britannique.
Durant son séjour à Nootka, de 1935 à 1936, Macdonald fait l’expérience directe de la puissance de la nature lors de ses expéditions sur la terre ferme et de ses sorties régulières – et souvent difficiles – en mer. La majorité des œuvres qu’il réalise là-bas sont des huiles sur carton-bois, dont la plupart sont envoyées à Vancouver pour être vendues. Il achève un seul tableau majeur – Friendly Cove, Nootka Sound, B.C. (Friendly Cove, baie de Nootka, C.-B.) – une impressionnante représentation du village de la Première Nation Mowachaht de Yuquot. Dans cette œuvre, Macdonald cherche, tout comme Emily Carr (1871-1945), à traduire la puissance du totem en établissant un contraste avec la minuscule église au loin. À son retour à Vancouver, il transpose plusieurs de ces sujets dans de remarquables tableaux, tels que Indian Burial, Nootka (Enterrement indien, Nootka), 1937, et Drying Herring Roe (Séchage des œufs de hareng), 1938, dans lesquels il dépeint l’esprit de Nootka et la vie qu’on y mène.
L’approche stylistique de Macdonald évolue, mais les paysages et le contact direct avec la nature demeurent pour lui une source d’inspiration constante. Son amie Nan Cheney (1897-1985) écrit : « [Jock] pense aller à Garibaldi en août. […] Cette région est pratiquement intacte, et Macdonald est impatient de retourner dans le Nord ou sur la côte ouest de l’île – depuis deux ans – sa santé s’est beaucoup améliorée; si seulement il pouvait trouver quelqu’un pour le financer à la hauteur de 60 à 75 dollars par mois, il partirait sur-le-champ. »
Après son arrivée à Vancouver au début des années 1940, Lawren Harris (1885-1970) effectue des excursions de peinture avec Macdonald, le plus souvent dans les Rocheuses. Ce dernier apprécie le sublime et la puissance spirituelle des glaciers et des sommets montagneux. Il appelle la vallée de l’Okanagan, la « vraie patrie de Van Gogh, avec sa lumière intense, son armoise, ses coteaux baignés de soleil et ses couleurs vives ». Même après avoir quitté Vancouver pour Calgary, en 1946, Macdonald y retourne en été pour peindre les paysages intérieurs de la Colombie-Britannique.
À cette époque, toutefois, son art prend une tout autre direction : « Je suis presque certain que je ne réaliserai plus de tableaux de paysage, écrit-il. Des esquisses, oui, mais peindre une toile me semble être une perte de temps + trop artificiel. » La recherche d’une expression abstraite personnelle devient alors sa préoccupation principale.
Explorer l’abstraction
Macdonald se familiarise avec le modernisme européen à l’époque de ses études, alors qu’il visite régulièrement les galeries de Londres, et trouve une source d’inspiration dans les œuvres de Vincent van Gogh (1853-1890) et de Paul Cézanne (1839-1906). Dès son arrivée à Vancouver, il assiste aux soirées tenues aux Vanderpant Galleries portant sur les théories artistiques, mathématiques et scientifiques de l’époque. Les participants à ces soirées ont lu l’essai Du Spirituel dans l’art, de Wassily Kandinsky (1866-1944), et s’intéressent aux idées des artistes canadiens Bertram Brooker (1888-1955) et Lawren Harris (1885-1970), entre autres. Au British Columbia College of Arts, la théosophie, l’anthroposophie et l’interdépendance des arts constituent alors la base du programme d’études.
En 1934, Macdonald peint le tableau abstrait Formative Colour Activity (Composition chromatique) – une œuvre avant-gardiste en Colombie-Britannique à l’époque –, dont la vue rapprochée est sans doute inspirée des expériences photographiques de John Vanderpant (1884-1939). Le journal personnel de Macdonald, ses notes de cours et sa conférence de 1940, Art in Relation to Nature (L’art en relation à la nature), révèlent que son exploration de l’abstraction est le résultat d’un profond engagement envers une expression artistique personnelle qui soit représentative de « la force […] à laquelle l’univers entier se conforme ». Il cherche à « exprimer la conscience de l’époque ». Comme il l’écrit : « [Pour] être créatif, vraiment créatif […] il faut s’exprimer dans les langages de son temps. »
À l’automne 1936, juste avant de quitter Nootka pour retourner à Vancouver, Macdonald effectue une « percée » dans sa peinture, qui se traduira par un retour spectaculaire à l’abstraction. Il décrit dans son journal le processus créatif dont découlent Departing Day (Le jour du départ), 1936, et Etheric Form (Forme éthérée), 1936. Le 5 octobre, il écrit : « J’ai enfin découvert une nouvelle forme d’expression picturale – esquissé quatre croquis au crayon + je suis emballé. » Le jour suivant, il peint « le premier sujet […] seulement des formes abstraites sont employées, mais elles sont jumelées à une masse imposante. Les couleurs les plus pures sont utilisées + donne un aspect brillant ».
Le 24 octobre, Macdonald fait mention de trois autres esquisses expérimentales, qu’il décrit comme des « souvenirs de rêves ». Pilgrimage (Pèlerinage), 1937, réalisé après son retour à Vancouver, pourrait être une de ces images rêvées. Dans cette œuvre, deux canots nuu-chah-nulth au premier plan établissent un lien avec l’expérience vécue au sein des cultures autochtones de la côte nord-ouest, bien que le reste du tableau consiste en un paysage abstrait imaginaire. La scène est pénétrée de rayons de lumière, tandis que les arbres forment une arche, créant ainsi un sanctuaire naturel avec un sentier en son centre.
Durant la décennie suivante, tout en continuant à s’adonner à la peinture figurative, Macdonald s’intéresse de plus en plus à ce qu’il nomme ses « modalités » ou « idiomes pensés en nature ». Il découvre probablement le terme « modalités » dans The Foundations of Modern Art (1931), d’Amédée Ozenfant (1886-1966), mais il élargit la définition de l’auteur (« des façons habituelles de penser et de sentir ») pour inclure les théories du temps et de l’espace décrites par P. D. Ouspensky (1878-1947) dans Tertium Organum: The Third Canon of Thought, A Key to the Enigmas of the World (1922).
À son retour à Vancouver en 1940, Lawren Harris se découvre des affinités avec Macdonald, dont il encourage et défend le travail abstrait. Même si, quelques années plus tard, Macdonald qualifie son art de « non-objectif », c’est la définition de Harris – « une peinture puisée à même la nature » – qui décrit le mieux les principes qui gouvernent la création de ses modalités. Harris soutient dans Abstract Painting: A Disquisition (1954) que cette forme d’art est basée sur une idée et que « la signification dicte les formes, les couleurs, la composition et tous les liens qui se tissent dans l’œuvre, l’objectif étant de représenter l’idée telle une expérience vécue dans une création plastique vivante ».
La peinture automatique
Macdonald est initié à la peinture automatique en avril 1944 par l’artiste surréaliste et psychiatre britannique Grace Pailthorpe (1883-1971) et son collège, l’artiste et poète Reuben Mednikoff (1906-1972). À l’automne de 1945, il devient leur élève et, sous leur tutelle, se livre à une série d’exercices sur une période intensive de trois mois. Les exemples conservés dans les archives de Pailthorpe démontrent que Macdonald réalise au moins douze images automatiques dès la première journée, et quatorze le jour suivant. La date et l’heure sont minutieusement consignées sur chacune de ces pièces. Certaines sont annotées par Pailthorpe ou Mednikoff, qui commentent la technique ou suggèrent des façons dont il pourrait, par exemple, assouplir son style, trouver le sens caché dans les œuvres ou extrapoler certains motifs, comme les oiseaux ou les poissons suggérés par ces marques abstraites.
Commençant par des dessins monochromes au lavis d’encre et au crayon, pour ensuite recourir aux crayons de couleur, à l’aquarelle et à la combinaison de plusieurs techniques, Macdonald passe de la réalisation d’images isolées et concentrées à des aquarelles élaborées et pleinement déployées – travaillant souvent sur papier humide pour obtenir plus de fluidité. Bon nombre de ces travaux présentent une forme circulaire, attirant le spectateur dans l’image. Pailthorpe attribue la réussite de ces pièces à ce mode de composition qui évoque le mandala.
Pailthorpe estime que, grâce à l’association libre – lorsque l’esprit n’interfère pas avec ce que crée la main –, les artistes peuvent avoir accès au subconscient et à ses réserves d’images archétypales et que l’art peut permettre de rendre compte de la condition humaine universelle. Pour y arriver, toutefois, l’art doit aussi reposer sur des valeurs esthétiques comme le rythme, l’équilibre, la forme et le motif. Sans ces qualités, dit-elle, il y aurait peu de plaisir dans ces créations.
Tout comme les expressionnistes abstraits Jackson Pollock (1912-1956), Adolph Gottlieb (1903-1974) et Arshile Gorky (1904-1948) qui évoluent à New York, Macdonald voit dans l’automatisme un moyen de s’inspirer du subconscient. Plus tard dans sa carrière, il écrira : « À mes yeux, l’automatisme en art est le reflet de nos expériences de la vie, puisque tout ce que nous avons observé se trouve emmagasiné dans les profondeurs de l’esprit; dans la pratique automatiste, on peint ses impressions de la nature au moyen de l’imagination. »
Macdonald poursuit sa pratique de la peinture automatique pendant une dizaine d’années, initiant ses élèves à cette approche et l’intégrant à son enseignement. L’artiste de Calgary Marion Nicoll (1909-1985) se souvient de l’influence de son professeur :
Il nous a vraiment éveillés. Selon la théorie jungienne, nous n’oublions absolument rien […] ce que l’on voit […] ce que l’on entend […] tout est emmagasiné dans notre subconscient. Tout y est emmagasiné sous sa forme authentique, sans passer par le filtre des interprétations personnelles. C’est une source d’information; vous déposez votre main sur le papier, vous regardez, puis vous attendez. Et tout à coup, c’est parti! J’ai fait des trucs qui vous feraient dresser les cheveux sur la tête – des oiseaux, des langues fourchues, des personnages homme-femme. Je ne crois pas que je serais devenue une peintre abstraite si je ne m’étais adonnée au dessin automatique de 1946 à 1957.
L’art automatique sera également un aspect fondamental de la pratique artistique de Macdonald lui-même. En 1948, il écrit à Pailthorpe et Mednikoff : « Dès que j’en ai la chance (quatre ou cinq soirs par semaine), je travaille à des aquarelles + à des noir et blanc dans notre petite cuisine. » Colin Graham, directeur du Arts Centre of Greater Victoria (aujourd’hui l’Art Gallery of Greater Victoria), décrit le processus de Macdonald en ces termes : « Barbara allumait la radio et Jock se mettait tout simplement à jouer avec l’aquarelle […] J’imagine que la présence de Barbara aidait à détourner son attention [de la peinture], de sorte que le processus automatique fonctionnait vraiment, tandis qu’il parlait à Barbara tout en rêvassant. »
Dans beaucoup de ces peintures, la rigidité des dessins au trait représentant des animaux, des personnages et des créatures imaginaires qu’il extrapole à partir de marques abstraites semble contredire la liberté de son style pictural. Le designer en Macdonald lutte toujours avec la tentation d’exagérer les fioritures qui nuisent à la fluidité de l’œuvre. Orange Bird (Oiseau orange), 1946, par exemple, est caractérisé par la domination d’éléments graphiques et décoratifs, presque caricaturaux, mais dans le magnifique Phoenix (Phénix), réalisé trois ans plus tard, l’image émane de la matière elle-même pour ainsi donner lieu à une peinture automatique totalement convaincante et cohérente.
Le grand défi de Macdonald consiste à transposer la liberté, l’élégance et la spontanéité de ses aquarelles automatiques dans des tableaux de grand format à l’huile, un médium plus exigeant et nettement moins rapide. Sa première huile automatique, Ocean Legend (Légende de l’océan), 1947, bien que favorablement accueillie, montre les problèmes auxquels il est confronté, et la composition demeure tributaire d’une approche cubiste. « Honnêtement, je ne suis pas tout à fait satisfait de ce tableau + il manque de profondeur + il est un peu trop chargé », admettra lui-même Macdonald.
Au cours des étés 1948 et 1949, Macdonald étudie auprès de Hans Hofmann (1880-1966) à Provincetown, au Massachusetts. Les deux hommes considèrent que tout art, même l’art non-objectif, doit prendre sa source dans la nature. Macdonald écrit au sujet de Hofmann qu’il « considère que l’expression automatique constitue l’essence du travail de création ». Certaines œuvres, comme Black Evolving Forms (Formes noires en évolution), 1953, seraient influencées par l’approche théorique de l’abstraction défendue par Hofmann – « ses notions spirituelles d’un art créatif plastico-spatial [la théorie du push and pull] ». Ce dernier fait l’éloge du travail à l’aquarelle de l’artiste canadien, affirmant qu’il devrait consacrer le reste de ses jours à la peinture. Macdonald écrit : « Maintenant que j’ai reçu les instructions de Hofmann, je trouve que mes huiles sont faibles, mais il finira bien par se passer quelque chose. » Macdonald devra toutefois attendre presque une décennie avant de surmonter les difficultés que lui pose l’huile.
La peinture non-objective
En 1954, Macdonald devient membre du collectif Painters Eleven, un groupe d’artistes torontois formé dans le but d’exposer et de promouvoir l’art abstrait. Un an après la création du groupe, il écrit : « Les “artistes établis” de Toronto […] aimeraient bien nous faire disparaître. Mais ils n’y peuvent rien, puisque les forces vives de ce groupe sont incroyablement unies dans la poursuite de leurs objectifs et qu’elles croient les unes aux autres. » Encouragé par l’engagement de ses collègues à l’égard de l’abstraction, la qualité de leurs œuvres et leur intérêt pour les pratiques artistiques novatrices sur la scène internationale, Macdonald s’acharne toujours à transposer la fluidité de ses aquarelles dans ses tableaux à l’huile. Avec l’appui de Painters
Lors de son séjour en France au printemps 1955, Macdonald rencontre Jean Dubuffet (1901-1985), dont il admire grandement le travail. Ce dernier lui conseille d’ajouter de la térébenthine et de l’huile de lin à sa peinture, et de se servir de pinceaux longs et souples. « Il vous suffit de trouver la bonne technique, lui dit-il. Tout le reste, vous l’avez déjà. » Macdonald note : « Si j’arrive à trouver ma voie, c’est à Dubuffet que reviendra le mérite de ce changement dans mes huiles – et j’y verrai. »
À l’été 1956, un an après son retour d’Europe, Macdonald peut à nouveau se consacrer à la peinture. Ses collègues lui font découvrir la pyroxyline, une peinture-émail lustrée commercialisée sous le nom de Duco, qu’utilisait Jackson Pollock (1912-1956) pour sa fluidité et son séchage rapide. Son odeur est nocive, mais Macdonald continue d’en faire usage en dépit de ses problèmes pulmonaires antérieurs. Il a enfin trouvé un médium qui lui permet de travailler à une échelle plus grande et plus spectaculaire. Ray Mead (1921-1998) se souvient que Macdonald peignait avec des gants de caoutchouc, les fenêtres de son atelier grandes ouvertes.
Macdonald n’utilisera le Duco que sur une période de huit mois, mais ce médium lui apporte la liberté qu’il cherche depuis longtemps. « J’expérimente exclusivement les peintures de plastique [Duco] tout au long de l’été », écrit-il en 1956. « Leur principal avantage par rapport aux techniques à l’huile est la vitesse de travail qu’elles imposent et leur bref temps de séchage. Il y a aussi, bien sûr, leur qualité fluide. […] Je trouve mon travail beaucoup plus libre — bien moins tendu, plus pictural et, honnêtement, je crois, plus avancé. En hiver, je n’utiliserai plus ce médium, dont je ne pourrais pas endurer l’odeur. »
Obelisk (Obélisque), 1956, est l’une de ces peintures réalisées au Duco. Possiblement pour compenser la planéité de ce nouveau médium, Macdonald mélange du sable à la couche de fond. La palette de couleurs restreinte joue sur les contrastes entre l’ombre et la lumière, les éléments négatifs et positifs, alors que les formes en aplat se chevauchent et s’entrecroisent. Le motif vertical du centre domine la composition par sa simple masse, créant ainsi un effet de monumentalité savamment calculé. À cette époque, Macdonald continue de peindre à l’huile, mais le médium ne lui offre pas autant de possibilités que la peinture plastique.
Un an plus tard, alors qu’il commence à utiliser la Lucite 44, Macdonald effectue une dernière percée décisive. Cette peinture acrylique fluide qui sèche rapidement lui permet enfin de s’attaquer à de grandes toiles, comme Desert Rim (Horizon désertique), 1957, et de transposer sa maîtrise de l’aquarelle à la peinture à l’huile. Après une trentaine d’années de pratique picturale, Macdonald a vraiment le sentiment d’avoir « trouvé son rythme ». Combinant la Lucite avec l’huile, sa peinture devient « beaucoup plus libre, moins rigide, plus picturale et plus avancée », tel qu’il l’écrit à Pailthorpe – des qualités qu’il recherche depuis ses débuts en peinture. « Maintenant que j’ai trouvé ma voie – une voie bien à moi – je peins sans arrêt lorsque je n’enseigne pas. »
Macdonald est également stimulé par les encouragements qu’il reçoit du critique d’art américain Clement Greenberg (1909-1994). En août, il écrit à Maxwell Bates (1906-1980) qu’il trouve que ses tableaux sont « tout à fait différents de ce que j’ai fait jusqu’à maintenant […] et de loin supérieurs […] Greenberg m’a donné une telle confiance que je ne me souviens pas avoir jamais connu un progrès si rapide. La seule comparaison que je puisse faire remonte à la période de cinq mois durant laquelle je produisais des aquarelles automatiques chaque jour. Ce que je fais maintenant est aussi dans la technique de l’automatisme – non-objectif, mais différent de ce que font les autres. »
À l’automne de 1959, Macdonald peint une série de magnifiques toiles jaunes, qu’il qualifie de « douces, délicates et éthérées ». Dans Young Summer (Jeune été), 1959, le fond jaune miroite et s’unit aux formes disséminées sur la surface dans un rapport de réciprocité dynamique. Il est difficile de ne pas penser aux diapositives montrant des gouttes d’acide que Macdonald projette à ses élèves à cette époque – un « porte-objet contenant des gouttes d’acide qui ressemblaient à des ailes de papillon et suggéraient de belles images à peindre ». Comme les modalités réalisées à Nootka, ces œuvres traitent de l’esprit de la nature – de sa structure et de son caractère fondamental – et de la création d’une nouvelle forme d’art représentative de son temps.
L’aisance apparente et la fluidité des toiles qu’il réalise à la fin de sa vie – telles que Airy Journey (Voyage éthéré), Flood Tide (Marée montante) et Iridescent Monarch (Monarque irisé), toutes de 1957; Contemplation et Legend of the Orient (Légende de l’Orient), 1958; Heroic Mould (Moule héroïque), Fleeting Breath (Souffle fugitif) et Fugitive Articulation (Articulation fugitive), toutes de 1959; et Nature Evolving (Évolution dans la nature), All Things Prevail (La prédominance de toutes choses), Far Off Drums (Tambours lointains) et Growing Serenity (Sérénité grandissante), toutes de 1960 – sont stupéfiantes. Dans une lettre adressée à son amie et ancienne étudiante Thelma Van Alstyne (1913-2008), Macdonald écrit : « Les chefs-d’œuvre non-objectifs sont créés de manière intuitive – ils sont animés d’un rythme spirituel et sont en harmonie avec l’ordre cosmique qui régit l’univers. » Reconnues pour leur qualité exceptionnelle tant par les critiques canadiens qu’américains, ces peintures sont uniques dans l’histoire de l’abstraction du milieu du vingtième siècle.
Maxwell Bates résume le mieux la carrière de Macdonald : « L’explorateur d’idées, lorsqu’il s’agit d’un peintre, ne peut se contenter d’une carrière assurée en trouvant rapidement un style convenable. Il trace plutôt sa voie en marge des sentiers battus et appréciés des amateurs d’art. Les explorateurs sont non seulement les artistes les plus créatifs, ce sont ceux qui contribuent le plus à l’art. Leurs épreuves arrivent tôt; le succès se fait parfois attendre. Jock Macdonald est un de ces explorateurs d’idées visuelles. »