L’artiste montréalais Jean Paul Riopelle (1923-2002) commence sa carrière en participant pleinement au mouvement de l’automatisme québécois. Il contribue et signe le manifeste Refus global, lancé le 9 août 1948, insistant pour que le texte ne soit pas une simple reprise des manifestes européens du surréalisme comme celui qu’il a également signé en 1947 avec André Breton (1896-1966).
Riopelle a de plus défendu le manifeste québécois qui a fait scandale après sa publication historique. Ses travaux du temps sont en harmonie avec les intentions de ses pairs automatistes dont Paul-Émile Borduas (1905-1960) et Marcel Barbeau (1925-2016). Collectivement, ils ont rejeté la figuration au profit d’un acte de création spontané et instinctif. Dans Hochelaga, Riopelle répartit les touches colorées sur toute la surface qui se trouve sillonnée de coulures suggérant la rapidité d’exécution et l’absence de contrôle.
Toutefois, au début des années 1950, Riopelle s’est distancié du mouvement. Dans une œuvre automatiste, l’artiste maintient un certain contrôle en dépit des éléments de hasard employés pour créer la composition. Contrarié par cet état des choses, Riopelle est en quête d’un art qui se veut ouverture totale. Le contrôle visuel exercé sur l’œuvre automatiste, supposant une prise de distance du peintre pour en juger l’effet, est pour lui une restriction du hasard qu’il constate chez ses compatriotes, en particulier Borduas et Barbeau.
Cette restriction est manifeste dans Parachutes végétaux, une œuvre pour laquelle Borduas semble avoir clairement procédé en deux temps. Le fond sombre a été peint d’abord, et après une période de séchage, les « objets » (parachutes végétaux) ont été ajoutés, juxtaposés les uns aux autres, en évitant toute superposition. Cette performance aurait été impossible si Borduas avait procédé les yeux fermés, tel que l’artiste montréalais Guido Molinari (1933-2004) l’a plus tard suggéré. Mais Borduas affirme n’avoir aucune préconception de ce que son tableau deviendra, avant de le commencer – « placé devant la feuille blanche avec un esprit libre de toutes idées littéraires, j’obéis à la première impulsion. Si j’ai l’idée d’appliquer mon fusain au centre de la feuille ou sur l’un des côtés, je l’applique sans discuter et ainsi de suite ». En dépit de cette affirmation, il est difficile d’envisager retirer n’importe quel élément du tout que constitue sa peinture, sans compromettre l’équilibre de la composition. On pourrait en dire autant du tableau de Barbeau, Tumulte à la mâchoire crispée. Ce dernier semble orienter ses taches en V, les extrémités desquelles visent les coins supérieurs à droite et à gauche de la surface picturale. La « restriction du hasard » semble opérer ici aussi.
À l’occasion de l’exposition parisienne Véhémences confrontées, présentée à La Dragonne, aussi connue comme la Galerie Nina Dausset, du 8 au 31 mars 1951, Riopelle joint sa voix à celle de nombreux artistes qui entendent exprimer leur position contre le mouvement : « L’automatisme, qui s’était voulu ouverture totale, s’est révélé comme une restriction du hasard. [. . .] ([L]a main du peintre qui dessine involontairement ne peut que répéter indéfiniment la même courbe que rien ne nous autorise à préférer à celle tracée sur une des arrêtes du pistolet.) [. . .] Seul peut être fécond un hasard total. »
Ironiquement, quand Riopelle se prononce contre l’automatisme à Paris, sa contribution pour l’exposition Véhémences confrontées, Sans titre, incarne cet appel au « hasard total » caractéristique du mouvement. Toutefois, suivant l’exposition de cette peinture, il se retire complètement du groupe qui semble l’avoir trahi en ce qu’il prône une « ouverture totale », mais qui limite néanmoins les occasions pour que ne survienne la vraie spontanéité.
Pourtant, Riopelle ne peut envisager l’automatisme comme un « refus de conscience », principe générant la restriction du hasard qu’il condamne. « L’essentiel, c’est l’intensité » affirme-t-il, et de conserver un « état de pureté, de disponibilité face à l’œuvre ». Sans quoi, la démarche conduirait à la monotonie, aux répétitions, à une « impasse », déclare-t-il.
Cet essai est extrait de Jean Paul Riopelle : sa vie et son œuvre par François-Marc Gagnon.