Sans titre, 1949-1950
Pendant plusieurs années, Sans titre, le tableau que Jean Paul Riopelle présente à l’exposition parisienne légendaire de 1951, Véhémences confrontées, n’a longtemps été connu que par une mauvaise photo. Depuis, l’original a été retrouvé et inclus dans le Catalogue raisonné du peintre. En conséquence, nous savons désormais que cette œuvre n’a pas été peinte à la spatule, contrairement à ce qui avait d’abord été supposé. Il semble plutôt que le tableau ait été composé avec de la peinture sortie directement du tube que Riopelle a laissé couler librement sur la toile. Les sillons plus ou moins larges semblent avoir été créés par les règles de la gravité, glissant librement sur la surface et les harmonies sont créées par la rencontre de couleurs avoisinantes. Riopelle fait quelques autres tableaux avec cette même technique par laquelle la matière picturale est fluide et apposée de manière aléatoire, mais ils ne sont pas légion, et sont d’importants liens entre ses abstractions libres et la période des mosaïques pour laquelle il sera globalement reconnu. Peu après cette peinture, Riopelle allait s’en tenir à la spatule pour étaler ou sculpter sa couleur.
Organisée par le chef de file du mouvement d’abstraction lyrique, Georges Mathieu (1921-2012), l’exposition Véhémences confrontées s’est tenue à La Dragonne, aussi connue sous le nom Galerie Nina Dausset, où a eu lieu la première exposition solo de Riopelle à Paris, en 1949. Véhémences confrontées est la première exposition réunissant des artistes de l’avant-garde de l’Amérique du Nord, de l’Italie et de la France. Bien que l’événement soit envisagé comme une occasion de voir les œuvres d’artistes qui semblent aux antipodes, dans les faits, il n’y avait que franche camaraderie entre les participants qui y voyaient plutôt une rare occasion d’exposer ensemble. De plus, pour Riopelle, sa participation à l’exposition et le dévoilement de Sans titre ont rehaussé sa réputation tant en Europe qu’aux États-Unis. Considérée comme un exemple de style abstrait audacieux, fermement engagée dans la nouvelle peinture, cette œuvre présente Riopelle comme un jeune peintre à considérer au sein des plus grands artistes de la période.
Georges Mathieu est le fondateur de la revue bilingue United States Lines: Paris Review, publiée par Marcel Coudeyre en France et distribuée gratuitement sur les navires de croisière traversant régulièrement l’Atlantique entre les ports de New York et d’Europe. Dans un compte rendu de l’exposition, il est rapporté que « il [Mathieu] poursuit son rôle d’agent culturel » et Véhémences confrontées est aujourd’hui estimée comme l’une de ses plus importantes réalisations.
En dépit de l’importance historique de cette peinture et de l’exposition qui l’a diffusée, il n’est pas facile de reconstituer précisément le contenu de l’exposition. Par exemple, on sait que Jackson Pollock (1912-1956) y présente un magnifique tableau de 1950, Number 8 (Numéro 8), qui semble faire la synthèse de tout son développement précédent, tout comme Willem de Kooning (1904-1997). Les deux tableaux proviennent de la collection d’Alfonso Ossorio, voisin de Pollock à East Hampton. Par contre, à l’exception de quelques rumeurs, peu d’information est disponible et aujourd’hui, il ne nous reste que des traces de l’influence de cette exposition.