Artiste femme parmi les plus notables au Canada, Helen McNicoll (1879-1915) obtient un succès international considérable pendant sa carrière d’une seule décennie. Sourde depuis l’âge de deux ans, McNicoll est surtout reconnue pour ses représentations impressionnistes de paysages ruraux ensoleillés, de scènes intimes avec des enfants ou des figures féminines modernes. Elle joue un rôle important dans la popularisation de l’impressionnisme au Canada à une époque où ce mouvement était encore relativement inconnu. Avant sa mort prématurée, elle est élue à la Royal Society of British Artists en 1913 et, en 1914, à l’Académie royale des arts du Canada.
Premiers privilèges et premiers défis
Helen Galloway McNicoll a habilement su prendre avantage de sa richesse personnelle et des privilèges qui l’accompagnent pour s’établir comme artiste professionnelle à une époque où ce choix de carrière n’était pas courant chez les femmes. Née le 14 décembre 1879, elle est la première enfant de David McNicoll et d’Emily Pashley. Ses parents, immigrants de la Grande-Bretagne, vivent brièvement à Toronto, où Helen est née, mais bientôt ils s’installent à Montréal. C’est là que naissent ses six frères et sœurs – trois sœurs (Ada, Dollie et May) et ensuite trois frères (Alex, Ron et Charles). Bien que la documentation sur sa vie soit rare, les quelques lettres qui nous sont parvenues et ses croquis suggèrent que la famille McNicoll était unie.
Les McNicoll appartiennent à l’élite anglophone protestante de Montréal. Ayant travaillé dans l’industrie du chemin de fer en Écosse et en Angleterre, David McNicoll a rejoint les rangs du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) dans les années florissantes de1880, s’élevant au titre de vice-président et de directeur dès 1906. Ses activités professionnelles ont permis à sa fille artiste d’entretenir des contacts étroits avec un cercle de familles très en vue, principalement de descendance écossaise, qui vivent dans de grands hôtels particuliers dans le Mille carré doré, aux pieds du Mont Royal. Ce groupe d’industriels contrôle alors la majeure partie du monde des affaires, encore émergent, du Canada : leur réseau social et professionnel instaure les fondements financiers de la ville dans les décennies du tournant du siècle.
La famille McNicoll vit à Westmount dans une grande maison qu’ils ont baptisée Braeleigh. Elle a été conçue par Edward et William S. Maxwell, connus pour leur travail sur deux constructions importantes du Québec : le Château Frontenac à Québec et le bâtiment de l’Art Association of Montreal (AAM), rue Sherbrooke (maintenant devenu le Musée des beaux-arts de Montréal).
La situation avantageuse de la famille de Helen McNicoll dans la communauté contribue à sa carrière d’un certain nombre de façons, parmi lesquelles le fait de lui permettre de peindre librement sans avoir à s’inquiéter de la vente de ses œuvres ou de devoir enseigner pour subvenir à ses besoins. De plus, les relations de sa famille lui ont permis d’être en contact avec les plus importants collectionneurs d’art de l’époque à Montréal, et particulièrement avec William Van Horne (1843-1915), alors président du CFCP. Les habitants du Mille carré prennent le contrôle du monde de l’art alors naissant dans le Montréal anglophone, tout aussi fermement qu’ils le font avec le monde des affaires; l’art francophone, au contraire, est en grande partie lié aux commandes de l’Église.
Malgré ces avantages, McNicoll fait quand même face à des défis. À l’âge de deux ans, elle attrape la scarlatine et subit une sévère perte d’audition. Bien qu’elle ne soit pas inscrite comme sourde lors du recensement de 1901, il n’empêche qu’elle devait compter sur son habileté à lire sur les lèvres et sur l’assistance de sa famille et de ses amis pour lui permettre d’évoluer socialement dans le monde de l’art, ce qui inclut une forme de gestion de réseau et les échanges lors des expositions. Elle n’est pas allée à l’école, mais a reçu une formation privée à domicile.
Les croquis qu’elle a faits d’étudiants de la Mackay Institution for Protestant Deaf-Mutes (Institution Mackay pour sourds-muets protestants, connue comme « l’École orale » ), datant de 1899, suggèrent que McNicoll a dû participer, à un certain degré, aux programmes ou aux cours de l’école, même si son nom ne figure ni dans les inscriptions ni dans les rapports scolaires. Kristina Huneault soutient que la fréquentation de l’école aurait exposé McNicoll aux débats de l’époque concernant les conditions de vie des sourds-muets en Amérique du Nord. L’attitude envers eux et la compréhension des possibilités de gestion de cette invalidité évoluaient alors considérablement : la lecture labiale, par exemple, était davantage préconisée que le langage des signes, en tant que forme plus efficace de communication et comme moyen de mieux intégrer les personnes souffrant de perte auditive dans la société courante.
Bien qu’il n’en soit jamais question dans les analyses contemporaines de son travail, la surdité de McNicoll a probablement influencé certains choix déterminants dans sa carrière artistique, par exemple, sa décision d’étudier à Londres plutôt qu’à Paris, étant donné la barrière linguistique, ou encore sa manière « calme » et « détachée » d’envisager les sujets de son art. Huneault et Natalie Luckyj notent toutes deux une certaine distance entre l’artiste et ses sujets de même qu’entre les sujets de ses peintures. Dans une œuvre comme On the Cliffs (Sur les falaises), 1913, les figures, absorbées dans leur monde intérieur, ne se préoccupent pas les unes des autres, pas plus qu’elles ne répondent au regard du récepteur de l’œuvre.
Débuts montréalais
La carrière de Helen McNicoll débute à Montréal. Durant les décennies précédant la Première Guerre mondiale, l’art y était florissant, les artistes bénéficiaient de meilleurs moyens de transport et de communication leur permettant de se former à l’étranger, de participer à des expositions, ce qui les familiarisait avec les tendances européennes. L’Art Association of Montreal (AAM), fondée en 1860, organise sa première exposition annuelle en 1880 et commence à proposer des cours aux artistes locaux. Au tournant du siècle, le marché de l’art canadien était dominé par quelques galeries commerciales et par les expositions de printemps et d’automne de l’AAM.
Les premières leçons de dessin de McNicoll se sont vraisemblablement déroulées à la maison : son père dessinait durant ses voyages en chemin de fer, et sa mère peignait sur porcelaine et écrivait de la poésie. C’est à l’école de l’AAM que McNicoll a commencé formellement son apprentissage des arts, où on lui attribue, en 1899, une bourse pour ses dessins de moulages en plâtre. Au début du vingtième siècle, l’AAM est la principale maison d’enseignement des arts au Canada. Les étudiants y suivent un programme d’études académiques tel qu’établi depuis longtemps par les écoles européennes prestigieuses. Ils apprennent à dessiner d’après des reproductions de maîtres anciens et d’après des copies en plâtre de sculptures antiques avant de pouvoir travailler d’après des modèles vivants nus. L’étude au fusain et crayon de McNicoll, Academy (Académie), 1899-1900, démontre bien le type d’éducation qu’elle a reçue dans ces premières années, par l’attention soignée qu’elle porte au modelage de la musculature et au travail subtil des ombres et des lumières. L’AAM adopte alors une attitude progressiste de l’enseignement des arts en donnant, tant aux étudiantes femmes qu’aux étudiants hommes, la même possibilité de dessiner d’après modèle vivant nu.
Durant ses années d’étude à l’AAM, McNicoll étudie auprès de William Brymner (1855-1925). Étant parmi les premiers artistes canadiens à avoir étudié à Paris, entre 1878 et 1880, Brymner se révèle être un important modèle pour de jeunes artistes ambitieux. Il revient au Canada avec beaucoup d’enthousiasme pour les dernières tendances de l’art français – peinture en plein air, naturalisme et impressionnisme. À titre de directeur de l’école de l’AAM pendant plus de trois décennies, Brymner exerce une énorme influence sur au moins deux générations d’artistes canadiens. Il encourage les étudiantes femmes à poursuivre des carrières professionnelles et son impact sur McNicoll, ainsi que sur beaucoup d’artistes du futur Groupe de Beaver Hall, est important.
Brymner incite ses étudiants à voyager en Europe pour une formation plus approfondie. McNicoll suit ce conseil et déjà, en 1906, elle avait largement dépassé l’approche relativement traditionnelle de son professeur. Elle peint des paysages de la vie rurale et des scènes de genre, mais elle développe un style frais, brillant, basé sur les principes de l’impressionnisme français classique, qui devient en fait son langage propre. L’œuvre de Brymner A Wreath of Flowers (Une couronne de fleurs), 1884, par exemple, est une image beaucoup plus retenue d’enfants dans un champ de fleurs sauvages que l’œuvre étonnamment moderne de McNicoll, Buttercups (Les boutons d’or), v. 1910.
Une éducation européenne
Bien que l’école de l’Art Association of Montreal soit la plus renommée au Canada, les écoles d’art européennes ont quand même plus de prestige et les jeunes artistes canadiens aspirant à devenir professionnels séjournent à Paris ou à Londres pour parfaire leur formation et acquérir de l’expérience. C’est ce que fait McNicoll, se rendant à Londres en 1902. Elle s’inscrit à la Slade School of Fine Art, une institution progressiste renommée pour son ouverture et sa considération envers les étudiantes femmes. Pour elles, le tournant du vingtième siècle est une époque passionnante puisque leur lutte pour un accès égal au monde de l’art permet d’accroître considérablement leurs occasions de participer à des expositions et de bénéficier d’enseignement spécialisé. Déjà en 1883, l’artiste Charlotte J. Weeks vantait les mérites de l’école Slade qui accueillait autant les étudiants hommes que femmes « selon précisément les mêmes conditions et donnant aux deux sexes des opportunités égales. » Ainsi, l’école était une destination populaire pour les artistes femmes canadiennes : les contemporaines de McNicoll, Sophie Pemberton (1869-1959), Sydney Strickland Tully (1860-1911) et Dorothy Stevens (1888-1966), y ont étudié.
Londres est alors un centre d’art prospère et McNicoll y a sans doute découvert un travail encore plus progressiste que ce qui pouvait se faire au Canada. Ses professeurs de la Slade sont parmi les plus fervents partisans du modernisme en Angleterre. Forts de leurs antécédents au sein du groupe d’avant-garde appelé New English Art Club, Henry Tonks (1862-1937), Fred Brown (1851-1941) et Philip Wilson Steer (1860-1942) privilégient des sujets représentant la vie moderne et accordent une grande attention aux effets d’atmosphère et de lumière. La formation que McNicoll reçoit à la Slade transparaît dans son obsédant portrait intitulé The Brown Hat (Le chapeau brun), v. 1906, dans lequel une jeune femme, vêtue de tons sombres, regarde fixement le spectateur d’une manière qui rappelle les portraits de l’artiste britannique bien connue Gwen John (1876-1939), une étudiante de la Slade presque contemporaine de McNicoll.
Après deux ans d’étude, McNicoll quitte l’école avec la mention First Class Honours (très honorable) et se rend à St Ives, dans la région retirée du sud-ouest de Cornouailles, pour étudier à la Cornish School of Landscape and Sea Painting. Lorsqu’elle s’y inscrit en 1905, les colonies d’artistes qui peignent des scènes de la vie rurale et des scènes marines étaient nombreuses et populaires. Des milliers d’artistes s’éloignaient des centres urbains, particulièrement pendant l’été, pour peindre en plein air dans des villages à travers l’Europe et l’Amérique du Nord. Quand, en 1877, le développement ferroviaire a permis de relier St Ives au reste de la Grande-Bretagne, la ville a alors bénéficié d’une grande popularité parmi les touristes-artistes en provenance du monde entier. Outre l’innombrable quantité de sujets à peindre au charme pittoresque, le St. Ives Arts Club est également un attrait en tant que lieu de rencontre pour les artistes et pour les critiques d’art; McNicoll le fréquente à au moins une occasion. Pour les artistes femmes, ces colonies d’artistes permettent un style de vie qui s’équilibre entre la respectabilité distinguée et une vie de bohème indocile. En dehors des strictes normes sociales imposées à Londres ou à Montréal, les artistes femmes semblent avoir eu plus d’occasions de participer aux réseaux informels du monde de l’art moderne.
Même si le journal local remarque de façon désobligeante que les chevalets des peintres femmes amatrices de St Ives sont « comme des coquillages » recouvrant la plage, McNicoll fréquente le lieu pour y travailler sérieusement. L’école, fondée en 1896 par l’artiste suédois Julius Olsson (1864-1942), s’annonce comme recrutant une clientèle « d’étudiants peintres qui aspirent à la professionnalisation. » Les ateliers sont installés dans un hangar à poisson converti donnant sur la plage de Porthmeor. Les photographies de McNicoll à St Ives la montrent au travail dans son atelier privé tout aussi sommaire. Emily Carr (1871-1945), étudiante avec McNicoll, décrit Olsson comme un professeur dur et très critique : il exige de ses étudiants de peindre en plein air sous toutes les conditions climatiques, portant un lourd équipement et les réduisant régulièrement aux larmes par ses critiques.
Carr préfère l’assistant d’Olsson, le peintre britannique Algernon Talmage (1871-1939). McNicoll développe d’ailleurs une proche relation avec Talmage; ses lettres révèlent qu’elle admire son travail et son style d’enseignement et que, pour son anniversaire, il lui a cédé une peinture « de lumière jaune soleil » pour un prix bien en-dessous de sa valeur – un cadeau qui a fait des remous parmi ses collègues. Carr se rappelle que Talmage l’avait encouragée à trouver « le soleil aussi dans les ombres », un conseil qui lui a servi pour le reste de sa longue carrière. Il a sûrement aussi encouragé McNicoll à chercher la lumière et le soleil. Après son séjour à St Ives, son travail s’est transformé et ses œuvres sont devenues aérées et lumineuses. Au cours de sa carrière, les critiques ont systématiquement loué la qualité de lumière de ses peintures.
Durant son séjour à St Ives, McNicoll rencontre la peintre britannique Dorothea Sharp (1874-1955), avec qui elle demeure amie jusqu’à la fin de sa vie. Sharp était déjà une artiste établie : elle avait étudié à Londres et à Paris, avait exposé à la Royal Academy of Arts et au Salon de Paris, et elle était membre de la Society of Women Artists. McNicoll et Sharp – « Nellie » et « Dolly » entre elles – voyagent, vivent et travaillent ensemble jusqu’à la mort prématurée de McNicoll en 1915.
De proches relations entre femmes professionnelles étaient courantes à cette époque, car cela permettait aux célibataires de poursuivre une vie publique indépendante avec une certaine mesure de respectabilité. Pour McNicoll, la vie publique implique un degré supplémentaire d’obstacles en raison de sa perte d’audition, et une compagne est particulièrement importante. Elle apprécie l’habileté de Sharp à négocier avec les modèles – particulièrement les enfants qu’elle incite à poser. Comme elles peignent ensemble, les deux artistes produisent fréquemment des sujets comparables dans des styles semblables, comme on peut le voir dans Girl with Parasol (Fille au parasol), v. 1913, de McNicoll, et Cornfield in Summertime (Champ de maïs en été), s. d., de Sharp. Elles posent aussi l’une pour l’autre (par exemple, Sharp est représentée dans l’œuvre de McNicoll, The Chintz Sofa (Le divan de chintz), v. 1913). Les critiques ont régulièrement relevé ces ressemblances, penchant parfois en faveur de l’une ou de l’autre.
Londres et vie ultérieure
McNicoll a mené une vie cosmopolite et a ainsi joué un rôle important dans la diffusion de l’impressionnisme européen au Canada. Elle conserve son atelier de Londres de 1908 jusqu’à sa mort, et l’utilise comme pied-à-terre alors qu’elle voyage partout en Angleterre et sur le continent, le plus souvent accompagnée de Dorothea Sharp et parfois aussi d’une sœur ou d’une cousine. Elle fréquente, en France et en Angleterre, un certain nombre de colonies d’artistes qui préconisent les scènes de la vie paysanne. En 1913, dans une des lettres écrites à son père depuis Runswick Bay, dans le Yorkshire, elle relate les agréments inattendus que lui procure son style de vie nomade, soulignant que les chambres louées chez le boulanger local leur donnent l’occasion de manger « de délicieux pains et gâteaux. » Elle mentionne aussi que ce village éloigné est comme une sorte de centre artistique pour Canadiens à l’étranger; en effet, la famille chez qui elle réside était une connaissance de son ancien professeur William Brymner.
McNicoll passe aussi beaucoup de temps en France. Même si l’on sait qu’elle a brièvement travaillé à Paris – les revues d’expositions canadiennes de 1909 notent que ses œuvres figurant aux expositions sont envoyées depuis cette ville – les détails sur cette période de sa vie sont somme toute peu nombreux. Elle ouvre un atelier à Grez-sur-Loing, une colonie d’artistes au sud de Paris où Britanniques, Américains et Scandinaves se retrouvent. Elle peint aussi fréquemment en Normandie et en Bretagne, où elle réalise des scènes de marché aux tons chauds comme Market Cart in Brittany (Chariot de marché en Bretagne), v. 1910, et Marketplace (Place du marché), 1910. D’autres œuvres témoignent de voyages en Belgique, à la Méditerranée et en Italie, notamment l’œuvre très colorée réalisée à Venise, Footbridge in Venice (Pont piétonnier à Venise), v. 1910.
Tous ces voyages ont certainement mis McNicoll en contact direct avec les styles artistiques novateurs qui bouillonnaient dans ces communautés – particulièrement l’impressionnisme. Trente années après son explosion sur la scène parisienne, le mouvement avait perdu une grande partie de son impact révolutionnaire. Sa popularité, qui se poursuit par ailleurs dans toute l’Europe, est largement le fait de l’influence des artistes qui circulent dans les colonies artistiques, propageant ainsi les principes du mouvement. McNicoll est une des premières peintres canadiennes à avoir connu le succès en travaillant dans ce style, comme on peut le voir dans une de ses premières œuvres, Landscape with Cows (Paysage avec vaches), v. 1907. Puisqu’elle envoie régulièrement les œuvres qu’elle réalise à l’étranger aux expositions canadiennes, McNicoll joue un rôle important dans la diffusion et le développement de l’impressionnisme au pays.
Réussite professionnelle
Bien qu’elle ne revienne jamais au Canada de manière permanente et qu’elle ait vécu à l’étranger pour le reste de sa vie, McNicoll fait des voyages annuels à Montréal et y conserve un atelier durant de nombreuses années. C’est d’ailleurs au Canada qu’elle connaît ses premiers succès professionnels. En 1906, elle fait ses débuts en exposant six peintures à l’exposition annuelle de l’Art Association of Montreal; la même année, elle expose à l’Académie royale des arts du Canada (ARC) et à la Ontario Society of Artists (OSA).
Charles Gill, un critique pour le journal montréalais Le Canada, souligne sa contribution à l’exposition de l’AAM : « Mlle H.G. McNicoll a du talent; ses six envois en attestent. » Il retient surtout l’œuvre In the Sun (Au soleil), date et emplacement inconnus, comme étant particulièrement digne de mention – il devient ainsi le premier critique à porter une attention spéciale aux toiles ensoleillées de McNicoll. L’année suivante, d’autres critiques louent surtout sa technique originale et son traitement de la lumière. Un auteur du Montreal Standard retient l’œuvre The Little Worker (La petite ouvrière), v. 1907, exposée à l’ARC, et déclare : « Mlle McNicoll a fait de grands progrès depuis l’année dernière et on en parle maintenant comme d’une artiste qui se trouvera sans aucun doute au premier plan très bientôt. »
Ce critique était visionnaire : en 1908, on attribue à McNicoll le prix inaugural Jessie Dow de l’Art Association of Montreal pour son œuvre September Evening (Soir de septembre), 1908. Le prix d’une valeur de 200 $, qu’elle partage avec un autre Montréalais, W. H. Clapp (1879–1954), lui aussi ancien étudiant de Brymner, est remis pour « la plus méritoire peinture à l’huile d’un artiste canadien. » L’œuvre primée de McNicoll est exposée à côté de deux de ses sujets campagnards représentant des enfants, The Farmyard (La basse-cour), v. 1908, et Fishing (À la pêche), v. 1907, ce qui offre, au sein de l’exposition, une belle visibilité à son travail qui reçoit des critiques enthousiastes de la presse. Un critique du Montreal Gazette relève que la concurrence avait été féroce, et souligne que « L’art de Mlle McNicoll s’est approfondi et développé depuis les quelques années passées et ses quatre toiles à l’exposition de cette année ont d’emblée suscité discussion et reconnaissance. » Tout au long de sa carrière, l’artiste continue de recevoir des éloges pour ses paysages et ses sujets de la vie rurale, comme par exemple, l’œuvre Moonlight (Clair de lune), v. 1905.
Avant la fin de la décennie, McNicoll est reconnue au Canada comme ayant adopté une technique impressionniste aboutie; son traitement de la lumière et de l’atmosphère et son utilisation hardie des couleurs font que ses peintures sont appréciées des critiques et ses toiles sont accrochées auprès de celles d’artistes canadiens s’inscrivant dans ce style, notamment, Clapp, Clarence Gagnon (1881-1942) et Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté (1869-1937). Elle connaît un nouveau succès professionnel quand la toile A September Morning (Un matin de septembre), date et emplacement inconnus, est achetée par l’ami et collègue de son père William Van Horne à l’exposition de printemps de l’AAM en 1909. En 1914, elle est élue membre associée à l’ARC, le plus haut niveau de notoriété qu’une artiste femme pouvait atteindre à l’époque. De surcroît, en 1914, l’Association culturelle des femmes de Montréal choisit son œuvre Under the Shadow of the Tent (À l’ombre de la tente), 1914, et lui octroie son prix annuel reconnaissant la meilleure peinture réalisée par une artiste femme canadienne.
La carrière de McNicoll s’épanouit aussi dans le monde très compétitif de l’art britannique. À Londres, elle participe aux activités de la Society of Women Artists, où Dorothea Sharp est vice-présidente. En 1913, elle est élue membre associée à la Royal Society of British Artists (RBA) – une alternative notoire à la prestigieuse mais conservatrice Royal Academy of Arts de Londres. Comme la plupart des institutions dans lesquelles McNicoll a été impliquée, cette société a été saluée pour son attitude progressiste envers les femmes. Dès sa fondation en 1824, les femmes ont été acceptées comme membres associées et elles ont bénéficié des privilèges complets de l’adhésion en 1902. Vers les années de son élection à la RBA, McNicoll a de plus en plus concentré son attention sur des études rapprochées de figures féminines modernes, comme on peut le voir dans White Sunshade #2 (Parasol blanc no 2), v. 1912, The Victorian Dress (La robe victorienne), 1914, et Le divan de chintz, v. 1913.
L’année où McNicoll est élue à la RBA, ses trois contributions à l’exposition de printemps — dont Sunny September (Septembre ensoleillé), 1913 – sont commentées avec beaucoup d’éloges à Londres. McNicoll relate à son père que, des huit nouveaux membres, elle est seule avec un autre à n’être que « des inconnus ». Elle ajoute de plus que son élection a été contestée à cause des qualités d’avant-garde de son art, jugées ‘dangereuses’ : « Ce sont les plus vieux membres qui n’ont pas aimé mes choses, un vieil homme a dit à Dolly, ‘si cette image est juste, alors toute la National Gallery est dans l’erreur’. Un homme gentil a dit à D., ‘ce sera une pilule amère pour certains maintenant que votre amie est élue’. Je suppose que je devrais envoyer certaines de mes plus vieilles œuvres. » Au Canada, pendant ce temps, son élection est source de fierté nationale. Un critique du Montreal Daily Star écrit : « Considérant qu’il n’y a eu que huit élections cette année, il est particulièrement satisfaisant pour les Canadiens que Mlle McNicoll soit une des élues. » L’article est accompagné de photographies de l’artiste et de son atelier londonien. Au moment où elle contribue à augmenter la visibilité de l’impressionnisme au Canada par sa carrière transnationale, elle contribue aussi à élever le statut de l’art et des artistes canadiens à l’étranger par sa participation à la scène artistique britannique.
Rien ne prouve que McNicoll ait tenté de vendre ses œuvres par l’entremise des galeries commerciales privées et des négociants qui dominaient alors le marché de l’art à Montréal. Il est fort probable, tel qu’évoqué plus tôt, que provenant d’une famille aisée, elle ait eu la liberté financière d’expérimenter dans son art des styles modernes comme l’impressionnisme, qui, à ce moment, était encore controversé au Canada. De son vivant, deux de ses œuvres entrent dans des institutions publiques : Stubble Fields (Champs de chaume), v. 1912, achetée par le Musée des beaux-arts du Canada, et The Farmyard (La basse-cour), v. 1908, par le Saint John Art Club. Toutefois, le catalogue de son exposition commémorative de 1925 à l’AAM montre que nombre de ses œuvres font partie des collections des membres de l’élite du Mille carré doré de Montréal.
Une mort précoce
McNicoll est en France avec Dorothea Sharp, travaillant à Saint-Valery-sur-Somme, lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale. Ses lettres à son père décrivent avec agitation la mobilisation des troupes, le manque de nouvelles dignes de confiance et la camaraderie des gens du pays et des étrangers. Bien qu’elle écrive qu’elle et Sharp « préfèrent être ici que n’importe où ailleurs », la direction du CFCP ne veut pas risquer que la fille de son vice-président soit prise au piège sur le continent; tout est alors organisé par le directeur européen de l’entreprise et par l’ambassadeur français à Londres pour que McNicoll et Sharp soient envoyées à la maison. McNicoll écrit les chroniques de son voyage, notant les barrages routiers et les contrôles de passeports, elle se désole d’avoir dû abandonner ses bagages et parle de rumeurs d’invasion allemande – « certains d’entre eux étant apparemment de la nature la plus sauvage. » Au moment où elle termine cette lettre à Londres, elle planifie déjà un autre voyage de peinture – cette fois au Pays de Galles.
En 1915, la carrière de McNicoll est brutalement interrompue alors qu’elle développe des complications dues à son diabète et meurt à Swanage, en Angleterre, à l’âge de trente-cinq ans. À ce moment, elle avait déjà à son actif un nombre impressionnant de plus de soixante-dix œuvres exposées tant au Canada qu’en Grande-Bretagne. Plusieurs commentateurs de la saison d’exposition 1915 au Canada parlent de sa mort, et pleurent la perte d’une artiste en pleine ascension. Le Saturday Night déclare que : « Quiconque a vu ses œuvres ne peut douter que si elle avait été épargnée, elle aurait ajouté substantiellement à ses propres lauriers et à la réputation de l’art canadien à l’étranger. »
Des commentaires critiques se rapportant à son œuvre continuent de se faire entendre après sa mort, dans les années 1920 : un auteur, commentant l’exposition de printemps de l’Art Association of Montreal de 1922, associe McNicoll à Tom Thomson (1877-1917), dont le travail était aussi exposé à titre posthume : « Ces exemples ajoutent beaucoup à l’intérêt de l’exposition, mais … nous laissent avec un sentiment de regret au sujet de ce que ces peintres auraient pu transmettre. » En 1925, l’AAM organise une exposition commémorative de cent cinquante des peintures de McNicoll, célébrant une carrière prolifique terminée trop tôt.