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Helen McNicoll, une des principales artistes impressionnistes au Canada, a connu un succès considérable au pays et en Angleterre pendant sa courte carrière. Faisant partie de la dernière génération d’artistes canadiens à recevoir une formation et à travailler à l’étranger, son rôle est important pour la mise en relation des mondes de l’art de chaque côté de l’Atlantique. Elle a vécu à une époque passionnante pour les artistes femmes dont l’acceptation professionnelle semble alors se concrétiser. Bien qu’elle soit aujourd’hui reconnue pour ses représentations ensoleillées de femmes et d’enfants, ses peintures proposent un discours plus complexe sur la vie domestique et la féminité.

 

 

Relations entre le Canada et l’étranger

Emily Carr, « Liverpool », dans Sister and I from Victoria to London (Ma sœur et moi de Victoria à Londres), 1910-1911, aquarelle et encre sur papier, 23,4 x 18,6 cm, Fonds d’archives Emily Carr, Musée royal de la Colombie-Britannique, Victoria.
Première page de la lettre de McNicoll provenant de France et décrivant l’émergence de la Première Guerre mondiale et la mobilisation des troupes françaises. Lettre de H. McNicoll à D. McNicoll, 4 août 1914, dossier d’artiste de Helen McNicoll, Robert McLaughlin Gallery, Oshawa.

Helen McNicoll mérite d’être reconnue comme une artiste qui joue un rôle crucial dans l’histoire de l’art canadien et comme une importante contributrice à un réseau plus large d’échange artistique transnational au tournant du vingtième siècle. Elle fait partie des artistes canadiens qui étudient à l’étranger durant les décennies entre la Confédération et la Première Guerre mondiale. Si les générations précédentes d’artistes avaient été limitées par l’importante distance de la traversée de l’Atlantique, des innovations significatives dans les domaines de la communication et du transport, après les années 1870, permettent désormais que les mondes de l’art de l’Amérique du Nord et de l’Europe soient liés plus que jamais auparavant. Des artistes comme Emily Carr (1871-1945) ont documenté, dans des carnets de croquis, leurs voyages en navire à vapeur et par chemin de fer, tandis que McNicoll a décrit ses voyages dans ses lettres à sa famille. Le périple à l’étranger est alors considéré comme une étape nécessaire dans le processus de professionnalisation des jeunes artistes canadiens : même si Montréal et Toronto croissent rapidement en renommée comme centres d’enseignement des arts et d’expositions, elles demeurent encore à la traîne derrière les villes européennes.

 

Après leur formation au sein des meilleures écoles à Paris et à Londres, beaucoup d’artistes canadiens, comme James Wilson Morrice (1865-1924) et William Blair Bruce (1859-1906), restent à l’étranger pour y poursuivre leurs carrières. Bien que McNicoll ne soit jamais retournée vivre à Montréal de manière permanente, elle expose annuellement à l’Art Association of Montreal (AAM) et à l’Académie royale des arts du Canada (ARC), parmi d’autres institutions canadiennes, et ses accomplissements à l’étranger sont suivis par la presse locale. À ce titre, elle fait partie d’un important groupe d’artistes expatriés qui a joué un rôle significatif dans la transmission des styles internationaux et des sujets modernes au Canada. McNicoll a particulièrement contribué à la portée de l’impressionnisme au Canada à une période où le mouvement n’avait pas encore de succès critique ou populaire au pays.

 

McNicoll étudie à Londres plutôt qu’à Paris, alors la capitale reconnue du monde de l’art, probablement à cause de ses antécédents familiaux et de la langue qui, avec sa perte d’audition, en fait une destination naturelle pour elle. Il est aussi possible que la capitale britannique ait été une option plus attrayante pour les artistes femmes étudiant à l’étranger : Paris avait alors cette réputation « d’immoralité bohème » peu convenable pour des jeunes femmes respectables de classe moyenne ou supérieure, vivant loin de leurs parents. D’autres femmes canadiennes sont allées en Angleterre durant cette période, notamment Frances Jones Bannerman (1855-1940), Sophie Pemberton (1869-1959) et Mary Bell Eastlake (1864-1951). Il y a peu de traces d’artistes de couleur ou d’artistes canadiennes-françaises étudiant en Angleterre à cette période.

 

Helen McNicoll, The Blue Sea (On the Beach at Saint Malo) (La mer bleue [sur la plage de Saint-Malo]), v. 1914, huile sur toile, 51,4 x 61 cm, collection privée.
Lawren Harris, North Shore, Lake Superior (Côte nord, Lac Supérieur), 1926, huile sur toile, 102,2 x 128,3 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Avec des œuvres réalisées avant et après la Première Guerre mondiale, McNicoll et Harris montrent des approches différentes dans le genre du paysage marin.

 

McNicoll et sa génération ont été, toutefois, les derniers à devoir systématiquement se rendre à l’étranger pour leur formation. Quand la guerre éclate en 1914, le voyage vers l’Europe, qu’il soit d’agrément ou d’étude, devient une aventure pratiquement impossible. Après la guerre, un esprit nationaliste très fort pousse les artistes à choisir des sujets et des styles qui soient uniquement canadiens, comme le démontrent si bien les œuvres du Groupe des Sept. Les toiles impressionnistes de McNicoll, comme The Blue Sea (On the Beach at Saint Malo) (La mer bleue [sur la plage de Saint-Malo]), v. 1914, sont alors considérées comme trop européennes et démodées en comparaison aux paysages canadiens modernistes d’artistes comme Lawren Harris, et tombent en défaveur. Néanmoins, comme le monde de l’art est aujourd’hui de plus en plus globalisé, McNicoll et ses pairs fournissent déjà un important modèle pour comprendre les réseaux artistiques transnationaux contemporains.

 

 

Accès des femmes au monde de l’art

Ethel Wright, Dame Christabel Pankhurst, 1909, huile sur toile, 160 x 94 cm, National Portrait Gallery, Londres. Pankhurst est une figure importante du mouvement suffragiste dans les années précédant la Première Guerre mondiale.

Toute discussion sur McNicoll doit prendre en compte le rôle que la question des genres a joué dans la production de son œuvre. La peintre travaille d’ailleurs à une période clé pour les artistes femmes professionnelles. Dès la fin du dix-neuvième siècle, les femmes en Europe et en Amérique du Nord amorcent un combat spectaculaire et durable pour que l’accès à la formation artistique et aux possibilités d’expositions soit équivalent à celui de leurs pairs masculins. Bien que les femmes continuent d’être exclues de l’École des beaux-arts de Paris jusqu’en 1897, un certain nombre d’écoles d’art rivales ont essaimé pour répondre aux demandes d’étudiantes sérieuses; parmi les premières s’impose la Slade School of Fine Art de Londres, que McNicoll a fréquentée de 1902 à 1904. Pourtant, même si les artistes femmes obtiennent du succès sur le plan de l’éducation, bien d’autres portes leur restent fermées, et ce, bien après la mort de McNicoll : ce n’est qu’en 1933, par exemple, que Marion Long (1882-1970) est devenue la première artiste femme à être élue à l’adhésion complète de l’Académie royale des arts du Canada, depuis Dame Charlotte Schreiber en 1880.

 

En réponse à ces exclusions, les femmes ont créé leurs propres occasions professionnelles. McNicoll devient membre de la Society of Women Artists (SWA) de Londres dont sa collègue, Dorothea Sharp (1874-1955), est vice-présidente. D’abord fondée en 1856 comme la Society of Female Artists, son but est d’obtenir pour les femmes l’accès à un monde de l’art dominé par les hommes. Les lettres de McNicoll révèlent pourquoi elle trouve attrayant le fait d’être membre d’une société pour femmes seulement. Après son élection comme membre associée de la Royal Society of British Artists (RBA) en 1913, elle décrit une expérience qu’elle y vit comme étant « une réunion orageuse » quand l’artiste et activiste suffragiste britannique Ethel Wright (1866-1939) se plaint de la façon dont ses peintures avaient été accrochées à une exposition :

 

Elle, Dolly [Dorothea Sharp] et moi étions les seules femmes là … [et elle] a protesté [que] les responsables de l’accrochage étaient « des ratiers » et que l’accrochage était un déshonneur. Vous n’avez jamais vu autant d’hommes qui semblaient fâchés et impuissants – quand l’un d’eux, celui qui souhaitait la voir exclue de la société, a dit que si elle ne faisait pas d’excuses, elle devait démissionner. Et elle a réellement démissionné, séance tenante. C’était dommage parce que bien que son travail soit plutôt extrême, il était intéressant et contribuait à enrichir l’exposition.

 

En tant que femmes, McNicoll, Sharp et Wright étaient intensément conscientes de leur position précaire au sein de l’association. Les alternatives comme la SWA leur fournissaient un réseau fort de commanditaires et d’assistance professionnelle quand les institutions traditionnelles manquaient à le faire; au Canada, la Women’s Art Association répond à ce besoin après 1890. À l’AAM, la Women’s Art Society fait la promotion du travail des artistes femmes, comme McNicoll qui remporte leur prix pour Under the Shadow of the Tent (À l’ombre de la tente) en 1914.

 

Helen McNicoll, Watching the Boat (Observant le bateau), v. 1912, huile sur toile, 64,1 x 76,8 cm, collection privée, Vancouver.
Two Girls by a Lake, c. 1912, Dorothea Sharp
Dorothea Sharp, Two Girls by a Lake (Deux filles au bord d’un lac), v. 1912, huile sur toile, 47 x 76 cm, collection privée.

 

Deborah Cherry et Janice Helland ont démontré que des relations personnelles informelles contribuent aussi à promouvoir la carrière professionnelle d’une artiste femme. La relation intime entretenue par McNicoll et Dorothea Sharp est l’une parmi de nombreuses forgées par les Canadiennes à cette période : Florence Carlyle (1864-1923), par exemple, vit et travaille avec Judith Hastings (dates inconnues); et Harriet Ford (1859-1938), avec Edith Hayes (1860-1948). Au Canada, le partenariat entre Frances Loring (1887-1968) et Florence Wyle (1881-1968) est devenu le cœur d’un cercle important d’artistes à Toronto pendant les années 1920, tandis que les femmes du Groupe de Beaver Hall à Montréal forment un réseau serré estompant la frontière entre le personnel et le professionnel.

 

Atelier de Helen McNicoll à St Ives, Cornouailles, v. 1906, photographe inconnu, dossier d’artiste de Helen McNicoll, Robert McLaughlin Gallery, Oshawa. McNicoll loue un atelier dans un hangar à poisson converti à St Ives, et c’est là où elle rencontre Dorothea Sharp.

Pour une expatriée comme McNicoll, entretenir ce type de relations est particulièrement important pour connaître le succès dans un nouveau pays. Ensemble, des femmes comme McNicoll et Sharp peuvent partager les coûts d’un atelier, se soutenir l’une l’autre pendant leurs voyages et s’échanger des critiques et commentaires immédiats alors qu’elles peignent. Les deux peignent d’ailleurs fréquemment des sujets similaires, comme on l’observe dans Watching the Boat (Observant le bateau) de McNicoll et Two Girls by a Lake (Deux filles au bord d’un lac) de Sharp, les deux œuvres datant de 1912 environ. Tenant compte de la surdité de McNicoll, on peut croire que Sharp a certainement été d’une aide précieuse dans la gestion des aspects plus pratiques de la production artistique : embauche de modèles, location de logements, et achats de matériel. Il semble aussi que Sharp ait joué un rôle important auprès de McNicoll en l’encourageant à exposer publiquement ses œuvres à Montréal et à Londres et aussi à se joindre à des associations professionnelles reconnues. La correspondance montre que Sharp milite avec force en faveur de McNicoll avant son élection à la RBA. « Dolly a travaillé très dur, » écrit McNicoll à son père. « Elle est allée parmi les membres et les a conduit jusqu’à mes peintures [;] s’ils ne les aimaient pas, elle retournait en chercher d’autres. » En retour, McNicoll permet à Sharp de présenter son travail au Canada et celle-ci expose au moins à une occasion à l’AAM.

 

Le plus grand défi pour les artistes femmes était sans doute la reconnaissance à titre de « professionnelles ». Bien que les femmes – particulièrement les femmes de haute position sociale comme McNicoll – soient, depuis longtemps, encouragées à dessiner et à peindre comme une expression de leur raffinement, elles parviennent difficilement à dépasser le statut d’amatrice aux yeux des historiens de l’art et des conservateurs. McNicoll ne semble pas avoir souffert de cette perception; elle a beaucoup exposé et vendu ses œuvres à des institutions publiques et à des collectionneurs privés. En effet, sa chronique nécrologique souligne justement son professionnalisme, affirmant que « Mlle McNicoll n’était pas une amatrice – peu de peintres du dominion considéraient leur art avec autant de sérieux qu’elle. »

 

Beneath the Trees, c. 1910, Helen McNicoll
Helen McNicoll, Beneath the Trees (Sous les arbres), v. 1910, huile sur toile, 60 x 49,5 cm, McMichael Canadian Art Collection, Kleinburg.

 

Il demeure toutefois que la reconnaissance de McNicoll après sa mort semble avoir été affectée par cette question de statut. Quand les premières histoires de l’art canadien ont été écrites dans les années 1920, le nom McNicoll est omis, comme l’est celui de la majeure partie de ses collègues femmes. Dans une nouvelle forme de récit nationaliste, les vastes paysages sauvages ont préséance sur les calmes scènes domestiques comme Beneath the Trees (Sous les arbres), v. 1910, de McNicoll. Ce n’est qu’à la toute fin du vingtième siècle que l’on commence à accorder un peu de reconnaissance à cette artiste et à ses pairs, à titre de professionnelles, et ce, grâce aux efforts d’historien(ne)s de l’art et de conservateurs(trices) féministes qui se sont efforcés de réhabiliter leur travail. Toutefois, la recherche sur les artistes femmes canadiennes dans les années précédant la Première Guerre mondiale est encore bien loin derrière celle consacrée à leurs pairs féminins en France, en Angleterre et aux États-Unis.

 

 

Féminité, vie domestique et « sphères séparées »

Helen McNicoll, Study of a Child (Étude d’un enfant), v. 1900, huile sur toile, 61 x 50,8 cm, Musée des beaux-arts de Montréal.
Berthe Morisot, Le berceau, 1872, huile sur toile, 56 x 46 cm, Musée d’Orsay, Paris.

Les questions de genre sont également importantes à considérer dans l’analyse des choix de sujets de McNicoll pour ses peintures. Aujourd’hui, elle est reconnue principalement comme peintre de douces scènes impressionnistes de femmes et d’enfants. Les critiques et les historien(ne)s de l’art la comparent à d’autres artistes femmes impressionnistes, en particulier Berthe Morisot (1841-1895) et Mary Cassatt (1844-1926) – le lien entre McNicoll et Cassatt a été fait assez tôt, dès 1913, par un critique pour le journal montréalais Le Devoir. Ces artistes femmes partagent le même intérêt pour les qualités transitoires de la vie moderne quotidienne, ce qui est manifeste dans leur volonté de capter des scènes de la vie bourgeoise contemporaine, dans des salons et des jardins privés plutôt que dans les espaces publics de la ville moderne.

 

Griselda Pollock et d’autres spécialistes soutiennent que les femmes impressionnistes ont peint des scènes domestiques non parce qu’elles sont biologiquement portées vers des sujets « féminins », mais parce qu’elles y étaient confinées par les normes sociales de l’époque. À la fin du dix-neuvième siècle, la théorie des « sphères séparées » repose sur l’idée que les femmes de la classe moyenne sont liées à la sphère privée de la maison, alors que les hommes sont associés à la sphère de la vie publique. Il aurait été inapproprié pour McNicoll de peindre des scènes de la vie parisienne moderne comme celles peintes par son collègue impressionniste canadien James Wilson Morrice (1865-1924). Plutôt, les artistes femmes peignent des sujets de leur vie quotidienne, utilisant souvent amies, mères, sœurs et enfants comme modèles.

 

James Wilson Morrice, A Wet Night on the Boulevard Saint Germain, Paris (Un soir de pluie sur le boulevard Saint Germain, Paris), v. 1895-1896, huile sur toile, marouflée sur panneau de fibres, 22,9 x 19,1 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Scrapbook, c. 1900, Helen McNicoll
Photographie d’une page de l’album-souvenir de McNicoll, v. 1900, collection privée, Acton.

 

Il est clair que ces sujets retiennent l’attention de McNicoll. Elle garde un album qui rassemble des images de femmes et d’enfants à côté de reproductions d’œuvres réalisées par des artistes femmes célèbres, comme Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842) et l’illustratrice américaine Jessie Willcox Smith (1863-1935). Un certain nombre de peintures de McNicoll reprend ces mêmes sujets, représentant des femmes dans des intérieurs domestiques, occupées à des activités « féminines » comme la couture ou la lecture. McNicoll a aussi joué un rôle important dans la compréhension nouvelle de l’enfance moderne par des œuvres comme Cherry Time (Le temps des cerises), v. 1912. Par cette peinture, et ses représentations idylliques de jeunes filles insouciantes cueillant des fleurs ou jouant sur la plage, elle contribue à un corpus d’images qui, selon Anne Higonnet, reflète et construit tout à la fois l’idée de l’enfance comme une phase spéciale et séparée de la vie. Il faut toutefois comprendre que ces concepts de sphères séparées et d’enfance idéale étaient spécifiques aux familles de race blanche de classe moyenne et supérieure. Les œuvres de McNicoll mêmes, représentant des femmes et des enfants travaillant dans le milieu rural, mettent en évidence les limites de ces discours.

 

Cherry Time, c.1912, Helen McNicoll
Helen McNicoll, Cherry Time (Le temps des cerises), v. 1912, huile sur toile, 81,7 x 66,4 cm, McMichael Canadian Art Collection, Kleinburg.

 

 

« Un contraste saisissant »

En y regardant de plus près, le travail de McNicoll révèle un inconfort avec les sujets stéréotypés dits « féminins » ou « domestiques » et, d’ailleurs, sa chronique nécrologique dans Saturday Night note qu’elle « présente un contraste saisissant par rapport au type dominant d’artiste peintre femme. » Kristina Huneault soutient que les accords traditionnels de féminité et de sphère privée s’effondrent dans les peintures de McNicoll – par exemple, dans In the Shadow of the Tree (À l’ombre de l’arbre), v. 1914, par le manque de contact entre la femme et l’enfant; dans Interior (Intérieur), v. 1910, par l’absence de la femme présumée dans l’espace domestique; et dans les deux versions de The Victorian Dress (La robe victorienne), v. 1914, par la robe démodée. « Il y a quelque chose de flou, mais de quand même perceptible dans ces exemples », écrit-elle, « cela permet de soutenir l’argument que la féminité ne réside pas directement dans le monde que McNicoll perçoit. »

 

Helen McNicoll, The Open Door (La porte ouverte), v. 1913, huile sur toile, 76,2 x 63,5 cm, collection privée.

Huneault suggère que la perte d’audition de McNicoll dès son jeune âge peut expliquer en partie le sentiment de silence et de détachement qui ressort de plusieurs de ses œuvres. Les personnages ne communiquent pas entre eux, pas plus qu’ils ne reconnaissent la présence du spectateur en lui retournant son regard. Les femmes et les enfants semblent enfermés dans leur propre monde intérieur. D’un autre côté, il est possible de comprendre l’inconfort subtil de McNicoll par rapport aux représentations traditionnelles de la féminité par le biais des études queer. Bien qu’il n’y ait aucune preuve formelle de la nature exacte de sa relation avec Dorothea Sharp, il semble évident à tout le moins, qu’elle n’ait pas choisi de vivre une vie qui inclut un mariage hétérosexuel et des enfants à elle, mais qu’elle ait plutôt opté pour un partenariat avec une femme, sa vie durant.

 

L’exemple le plus évident de cette distance par rapport au discours traditionnel de la féminité bourgeoise de race blanche est sans doute l’œuvre de McNicoll The Open Door (La porte ouverte), v. 1913. Peinte la même année que son élection à la prestigieuse Royal Society of British Artists, l’œuvre représente une femme seule, entièrement vêtue de blanc, en train de coudre sur un tissu blanc, son corps se découpant sur un fond de porte ouverte. L’utilisation des mêmes nuances de blanc, de gris, d’argent et de beige, tant sur la robe que le tissu, le mur, la table, le miroir et le plancher, rend indiscernable la frontière entre forme et fond, créant l’impression que tout dans cette pièce – incluant la femme – fait naturellement partie de l’espace. Mais La porte ouverte contient aussi des signes qui indiquent le malaise de l’artiste avec la représentation traditionnelle de la vie de famille domestique, d’abord et surtout par la porte menant vers le monde extérieur, mais aussi par l’étrangeté du miroir qui ne reflète rien, par l’incertitude dans laquelle nous sommes de savoir ce que coud la femme et par la singularité de sa position debout. De plus, le titre de l’œuvre suggère un monde riche de possibilités : le manteau et le chapeau de la femme sont accrochés derrière la porte, prêts à être portés. Dans l’ensemble, la peinture est une métaphore d’un nouvel accès des femmes au monde de l’art et de l’écart entre la vie à laquelle on s’attend d’une femme blanche de la classe de McNicoll, et la vie qu’elle vit en réalité.

 

 

Un héritage oublié

Vue nord-ouest de l’exposition Helen McNicoll de 1999 au Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto. Le mur de gauche présente Sunny September (Septembre ensoleillé) et On the Cliffs (Sur les falaises), deux œuvres de 1913. Sur le mur de droite, on discerne la peinture Picking Flowers (La cueillette de fleurs) et son esquisse, toutes deux datées de 1912 environ. 

La reconnaissance critique qu’a connue McNicoll de son vivant n’a pas eu de suite pendant une grande partie du vingtième siècle. Il est possible que ce désintérêt critique et populaire envers McNicoll et ses pairs formés en Europe soit dû au fait qu’à titre d’expatriés, ils n’ont pas été reconnus comme suffisamment canadiens pour avoir leur place dans les histoires de l’art national. Entre la domination du Groupe des Sept et la célébration d’une école canadienne de peinture, McNicoll a été effacée de la place publique. En 1926, lors de l’exposition inaugurale de la Art Gallery of Toronto (maintenant Art Gallery of Ontario/Musée des beaux-arts de l’Ontario) mettant en vedette seulement trois artistes femmes, trois des œuvres de McNicoll ont été exposées : Reading (La lecture), Sewing (La couture) et Children Playing in the Forest (Enfants jouant dans la forêt), dates et localisations inconnues. Elle reçoit alors une attention critique et publique relativement limitée durant les quelques années qui vont suivre, cependant ses œuvres sont exclues des ouvrages généraux sur l’histoire de l’art canadien et sont, en grande partie, absentes des collections publiques. À l’occasion de l’exposition commémorative de McNicoll à l’Art Association of Montreal (AAM) en 1925, un auteur conclut que les œuvres exposées « la désignent plutôt comme une peintre anglaise. »

 

Les premiers signes d’une reconnaissance nouvelle sont apparus au milieu des années 1970, quand la célébration de l’Année internationale de la femme en 1975 a conduit à redonner une visibilité aux artistes femmes au Canada et dans le monde entier. Cette même année, les œuvres de McNicoll font partie d’une exposition majeure, From Women’s Eyes: Women Painters in Canada (Dans les yeux d’une femme : peintres femmes au Canada), organisée par Natalie Luckyj et Dorothy Farr du Agnes Etherington Art Centre à Kingston, Ontario. De plus, au milieu des années 1970, un grand nombre des œuvres de McNicoll, qui pour la plupart étaient restées dans des collections familiales et privées, sont exposées pour la première fois depuis l’exposition commémorative de 1925, à la Morris Gallery de Toronto. McNicoll est l’objet d’un intérêt de la part de spécialistes de l’impressionnisme au Canada et son travail est inclus dans un certain nombre de catalogues et d’expositions dans les années 1980 et 1990.

 

En 1999, Helen McNicoll: A Canadian Impressionist (Helen McNicoll : une impressionniste canadienne), une exposition majeure organisée par Luckyj au Musée des beaux-arts de l’Ontario, a permis à McNicoll de retrouver l’attention du public. Le catalogue de l’exposition de Luckyj présente l’artiste à un public plus étendu et a préparé le terrain pour de nouvelles études sur son travail. Depuis, ses peintures ont été achetées et exposées par des institutions majeures et ont atteint des sommets de prix dans les ventes aux enchères. McNicoll prend maintenant sa place parmi les principaux artistes du Canada.

 

Helen McNicoll, The Chintz Sofa #2 (Le divan de chintz no 2), v. 1913, huile sur toile, 81,3 x 99 cm, collection privée. Plusieurs œuvres de McNicoll, comme Le divan de chintz no 2, représentent des femmes modernes s’occupant avec sérieux au travail artistique.
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