L’artiste albertain William Kurelek (1927-1977) a souvent exploré son héritage ukrainien et la diversité culturelle de notre nation dans ses peintures bien connues. S’il s’est d’abord attaché à représenter l’expérience des immigrants ukrainiens au Canada, le nationalisme multiculturel croissant des années 1960 l’incite à peindre plusieurs séries consacrées à d’autres grands groupes ethniques et culturels du Canada des années 1970.
Kurelek développe dans sa jeunesse ce qu’il appellera plus tard sa «conscience ethnique», à l’école publique de son Manitoba rural, à peu près au même moment où son identité artistique a commencé à émerger. Sa confiance en art et son ardeur envers l’héritage de ses parents sont de plus nourries par des cours culturels qu’il suit pendant son adolescence et qu’il renforce à l’université à travers son implication dans le club étudiant de l’Université du Manitoba et son amitié avec Zenon Pohorecky, un autre étudiant (et futur anthropologue de la culture ukrainienne) dont l’art révèle un intérêt profond pour l’«interaction entre la recherche créative et l’identité ethnique».
Si les questions de conscience sociale et celles entourant son propre rétablissement après ses troubles mentaux prennent une place centrale dans les préoccupations artistiques de Kurelek pendant les années 1950, les thèmes d’ethnicité et d’identité culturelle reviennent néanmoins dans plusieurs de ses premières œuvres, de Zaporozhian Cossacks (Cosaques zaporogues), 1952, à The Maze (Le labyrinthe), 1953. Ses représentations de la culture ukrainienne deviennent plus fréquentes au début des années 1960, notamment avec son cycle An Immigrant Farms in Canada (Un immigrant travaille la terre au Canada) de 1964, qui comprend des œuvres comme Manitoba Party (Fête manitobaine). Par contre, cette série est moins une célébration de l’identité ethnique qu’une tentative d’honorer et de réparer sa relation avec ses parents, surtout avec son père.
À l’approche du centenaire du Canada en 1967 et avec l’émergence d’un nationalisme multiculturel, Kurelek commence à réorienter sa conception de l’héritage ukrainien vers une réflexion sur l’histoire du concept canadien de nation. Entre 1965 et 1967, il complète un cycle de tableaux sur les rôles des femmes ukrainiennes au Canada. Le moment de cette série et sa fonction publique ne sont pas anodins : en effet, elle sert à marquer le quarantième anniversaire de la Ukrainian Women’s Association of Canada (Organisation des femmes ukrainiennes du Canada) et le soixante-quinzième anniversaire de l’immigration ukrainienne au Canada. Le cycle The Ukrainian Pioneer Woman in Canada (La pionnière ukrainienne au Canada), formé de vingt tableaux, dont Ukrainian Canadian Farm Picnic (Pique-nique ukrainien canadien à la ferme), 1966, exposé au Pavillon ukrainien d’Expo 67 à Montréal, est présenté comme un signifiant national canadien. En 1983, le gouvernement fédéral acquiert et installe son œuvre monumentale à panneaux multiples The Ukrainian Pioneer (Le pionnier ukrainien), 1971, 1976, sur la colline Parlementaire, où elle demeurera jusqu’à son transfert en 1990 au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa.
Dès le début des années 1970, Kurelek peut affirmer avec confiance que les «jours de la domination anglo-saxonne sont révolus». Dans ces mêmes années, il élargit son répertoire et inclut des expressions optimistes du multiculturalisme de l’après-guerre. Il traverse le pays pour essayer de capter la diversité culturelle de ses habitants et crée un cycle de tableaux et des publications honorant les peuples canadien, juif, polonais, irlandais, francophone et inuit. À sa mort soudaine en 1977, Kurelek planifiait deux autres cycles, l’un sur les Canadiens d’origine allemande et l’autre sur ceux d’origine chinoise.
Les représentations que fait Kurelek des peuples non-européens et autochtones n’est pas sans problème, par contre. Le titre de son livre publié en 1976, The Last of the Arctic (Les derniers de l’Arctique), par exemple, véhicule une idée erronée fréquemment répétée, voulant que la culture inuite soit un ensemble statique de croyances et de coutumes sur le point de disparaître à cause de l’infiltration des institutions et des technologies du sud. Ces conceptions ne se retrouvent pas seulement chez Kurelek : c’est Christopher Ondaatje, propriétaire de Pagurian Press, la maison d’édition qui a publié le livre de Kurelek, qui lui a commandé une vue nostalgique de la vie dans l’Arctique, «de la peindre avant ses lampadaires et ses motoneiges et ses poteaux téléphoniques». Ces représentations vétustes ont depuis été supplantées par les œuvres d’artistes inuites de renom, telles qu’Annie Pootoogook, Shuvinai Ashoona et Oviloo Tunnillie, qui ont traduit la vie contemporaine dans l’Arctique telle qu’elles l’ont vécue.
Cet essai est tiré de l’ouvrage William Kurelek : sa vie et son œuvre écrit par Andrew Kear.