Bien qu’il soit avant tout connu comme sculpteur, l’artiste canadien Sorel Etrog (1933-2014) exprime sa soif d’innovation par l’entremise d’autres types de créations. À partir de la fin des années 1960, il se lie d’amitié avec de célèbres intellectuels et personnalités artistiques, notamment les dramaturges Samuel Beckett (1906-1989) et Eugène Ionesco (1909-1994), le théoricien des médias Marshall McLuhan (1911-1980) et le compositeur américain John Cage (1912-1992), avec qui il collabore pour plusieurs projets. Etrog coproduit des livres d’artistes, des scénographies, des décors, des spectacles multimédias, différentes expériences artistiques qui révèlent son inventivité, sa curiosité et sa polyvalence artistiques.
La première collaboration d’Etrog se fait avec le poète français Claude Aveline (1901-1992). L’artiste crée d’abord des sculptures inspirées par le poème d’Aveline Portrait de l’Oiseau-Qui-N’Existe-Pas pour le pavillon du Canada à la Biennale de Venise en 1966. Après la Biennale, il approche Aveline pour lui offrir d’illustrer le même poème dans un livre. Cette idée se matérialise en 1967 dans un livre d’artiste intitulé L’Oiseau qui n’existe pas, qui révèle l’habileté d’Etrog – lui-même écrivain et poète – à traduire des mots en un univers visuel distinct, donnant ainsi une nouvelle signification au texte. Associer littérature et art visuel devient une pratique courante pour Etrog, qui conçoit et illustre six livres d’artistes en collaboration avec d’importants écrivains, dont Chocs en 1969 avec Ionesco, qui a été créé à partir d’un poème du dramaturge.
La plus significative de ces amitiés transformées en collaboration est celle qu’Etrog entretient avec Samuel Beckett, l’auteur de la pièce En attendant Godot et de plusieurs autres œuvres. Quand les deux se rencontrent en Grande-Bretagne en 1969 dans le cadre d’un projet financé par le mécène canadien d’Etrog, Samuel J. Zacks (1904-1970), Etrog est dans la mi-trentaine et Beckett, au début de la soixantaine. Ils se lient rapidement d’amitié et demeurent amis jusqu’au décès de Beckett en 1989. Plus tard, Etrog se souvient avoir immédiatement commencé à esquisser le portrait de l’écrivain lors de leur première rencontre : « Étonnement, j’ai commencé à dessiner la tête de Beckett, qui me hante depuis que je l’ai rencontré. Je ne suis pas trop portraitiste et je dirais plutôt que j’ai tenté de saisir la tension intérieure de notre rencontre. (La sienne? La mienne? Ou les deux? Je ne le sais pas.) »
Etrog commence rapidement à travailler sur des illustrations pour le court texte en prose de Beckett, Imagination morte imaginez (1965). Le projet n’est publié qu’en 1982, quand l’écrivain et éditeur canado-écossais John Calder (1927-2018) lance un ouvrage dans une édition limitée. Le critique d’art John Bentley Mays (1941-2016) fait l’éloge d’Etrog pour sa capacité à « lire un texte moderniste aussi complexe et dense que celui de Beckett, à le comprendre et – plutôt que de simplement l’illustrer – à replacer les mots dans un espace visuel imaginatif, créant en fait un nouvel ouvrage, avec une signification nouvelle et émergente ».
Etrog crée son œuvre révolutionnaire The Bodifestation of Kite (L’incarnation du cerf-volant), 1984, en l’honneur du 78e anniversaire de Beckett. Dans cette prestation, Etrog inscrit et illustre son propre poème The Kite/Le cerf-volant « en direct » sur les murs de la Grunwald Gallery à Toronto pendant que Gloria Luoma du Ballet national du Canada danse la chorégraphie d’Etrog au son de la musique électronique qu’il a composée. Parmi les quelque 150 personnes qui assistent à la prestation se trouve l’historien d’art Joyce Zemans, qui écrit que c’était une « œuvre émouvante et un hommage mérité pour Samuel Beckett ».
Bien que ces collaborations soient des aspects moins connus de la carrière d’une cinquantaine d’années d’Etrog, leur importance réside dans la façon dont elles révèlent l’extraordinaire portée du talent, de la créativité et de l’originalité de l’artiste. Ces collaborations jettent une lumière neuve sur la grande œuvre sculpturale en bronze pour laquelle Etrog est reconnu sur la scène internationale en la plaçant dans le contexte plus large de la soif et de l’engagement constant de l’artiste pour l’expérimentation et l’innovation.
Cet essai est extrait de Sorel Etrog : sa vie et son œuvre par Alma Mikulinsky.