Cheval et train de l’artiste canadien Alex Colville (1920-2013) est l’une des images les plus reconnaissables de l’art canadien sans compter qu’elle incarne bien la singularité de l’œuvre du peintre. Les dualités contradictoires de la nature et de la machine, de l’ordre et du chaos, du monde éveillé et du monde des cauchemars sont toutes suggérées dans cette image simple, emblématique. Il est tentant de voir en ce petit tableau une réponse au surréalisme, avec ses juxtapositions discordantes, mais la genèse de Cheval et train se trouve plutôt dans un poème de l’auteur sud-africain Roy Campbell (1901-1957) :
Je méprise le pas de l’oie de leur attaque groupée
Et me bat avec ma guitare en bandoulière sur le dos,
Contre un régiment, j’oppose un cerveau
Et un cheval noir contre un train blindé.
Campbell a fait le tour de l’Amérique du Nord en 1953, avec un arrêt à l’Université Mount Allison à Sackville, au Nouveau-Brunswick, pour une séance de lecture; c’est là que Colville rencontre le poète. Un croquis daté de mars 1954, où figurent des dessins préparatoires pour Cheval et train, comporte ces lignes du poème, écrites de la main de Colville.
Ce tableau révèle de nombreuses interprétations possibles. Est-ce une métaphore de la vie humaine, le cheval représentant l’individu, la voie ferrée, le temps, et le train, la mort? L’artiste regrette-t-il la mécanisation du monde et ses effets déplorables sur la nature? Comme l’observe le conservateur David Burnett, peu importe l’interprétation qu’on lui donne, l’impact du tableau demeure le même : « Une façon de voir un cheval noir n’en exclut pas d’autres […]. Toutes les interprétations sont poétiquement aiguisées par la stupéfaction et la surprise ressenties devant l’image. »
Cette rubrique en vedette est tirée de l’ouvrage Alex Colville : sa vie et son œuvre écrit par Ray Cronin.