Compté parmi les films les plus admirés de l’artiste visuelle Joyce Wieland (1930-1998), Vie de rat et diète en Amérique du Nord est un court métrage qui raconte l’histoire de rats (en fait des gerbilles domestiques) détenus comme prisonniers politiques aux États-Unis (leur geôlier est un chat), qui réussissent à s’évader héroïquement vers le Canada. Bien que l’histoire soit narrée au moyen d’intertitres ironiques, le film de Wieland traduit néanmoins un sentiment de menace et d’urgence. Pour ses protagonistes, le « Canada » représente une destination utopique, une promesse d’abondance, de plaisir et de paix. Le film est réalisé en 1968, à une époque de protestations étudiantes contre l’ordre établi capitaliste et militaire, de la montée d’une nouvelle gauche et de manifestations mondiales contre la guerre du Vietnam; une époque où de nombreux jeunes hommes américains se réfugient au Canada pour échapper au service militaire.
Avec cette œuvre, Wieland actualise la fable animalière que l’on trouve dans de nombreuses cultures, où les mésaventures d’animaux sont considérées comme des allégories morales ou politiques. Dans Rat Life and Diet in North America, le franchissement de la frontière canado-américaine devient un geste politique. D’une certaine manière, la vue de rongeurs réfugiés en terre canadienne, grignotant tranquillement fruits et fleurs, exprime les désirs d’une génération ancrée dans la contre-culture, le pacifisme et la recherche de solutions de rechange à l’idéologie américaine dominante.
Cette rubrique en vedette est extraite de Joyce Wieland : sa vie et son œuvre par Johanne Sloan.