Zacharie Vincent prend soin d’adapter les langages, les matériaux et les médiums européens à ses besoins propres. Ses portraits photographiques réalisés en studio sont également utilisés comme sources visuelles pour réaliser les autoportraits peints. Il élabore aussi des expérimentations stylistiques, une initiative fertile qui nuit toutefois, par moments, à la pérennité des productions, notamment les œuvres sur papier.

 

 

Le discours imagé

Art Canada Institute, Zacharie Vincent, The journalist and historian André-Napoléon Montpetit, dressed as Honorary Huron Chief, 1878
Le journaliste et historien André-Napoléon Montpetit, vêtu du costume de chef honoraire huron, photographié par George William Ellisson en 1878, épreuve à l’albumine argentique, Musée national des beaux-arts du Québec.

En 1879, le journaliste et historien André-Napoléon Montpetit rapporte, dans un article, un trait révélateur : Vincent souffrirait de bégaiement, handicap inusité pour un chef à qui l’on prête généralement de l’éloquence. Cette dysfonction expliquerait en partie l’attrait que représente pour lui le médium pictural. Confronté à ses problèmes d’élocution, mais aussi à l’omniprésence des regards externes, il est donc possible que Vincent se tourne spontanément vers le langage des images pour véhiculer son statut, sa condition et les transformations progressives de sa communauté. Ce transfert de la communication orale au langage visuel s’inscrirait dans une relative continuité, si l’on considère que les missionnaires ont eu recours aux images dans leurs campagnes de conversion, et que ces images se sont révélées des outils efficaces de transmission et d’échange.

 

 

Influences

Les analystes affirment, sans toutefois fournir de preuve tangible à l’appui, que le portrait de Vincent réalisé par Antoine Plamondon (1804-1895) serait l’élément déclencheur de l’entreprise artistique de Vincent, et que des artistes réputés de l’époque lui dispensent des leçons. Pourtant, une quinzaine d’années séparent le portrait de Plamondon des premiers autoportraits que Vincent réalise, bien que les productions qui ont pu les précéder demeurent inconnues à ce jour. Au cours des années 1980, Marie-Dominic Labelle et Sylvie Thivierge, qui signent la notice de Vincent dans le Dictionnaire biographique du Canada, reprennent l’hypothèse de la filiation artistique Plamondon/Vincent, tout en admettant : « Les avis concernant l’apprentissage et la formation picturale de Vincent sont tellement partagés qu’il devient impossible pratiquement de se prononcer définitivement sur le sujet. Toutefois, à notre avis, les contacts professionnels (tout au moins) entre Plamondon et son modèle peuvent certainement avoir débouché sur la transmission de conseils artistiques. »

 

Art Canada Institute, Zacharie Vincent, Portrait of Zacharie Vincent, Last of the Hurons, 1838, by Antoine Plamondon
Antoine Plamondon, Le dernier des Hurons (Zacharie Vincent), 1838, huile sur toile, 114,3 x 96,5 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Il est probable que les contacts professionnels existaient entre Plamondon et Vincent, qui pose pour ce portrait.

 

L’historien de l’art Mario Béland demeure également prudent, en établissant uniquement une corrélation entre l’œuvre de Plamondon et l’entreprise de Vincent : « la toile de Plamondon dut sans doute jouer un rôle prépondérant dans le déclenchement d’une carrière artistique chez Vincent ». Selon son collègue Pierre Landry, Vincent bénéficie des conseils de Henry Daniel Thielcke (v. 1788-1874), Antoine Plamondon et Cornelius Krieghoff (1815-1872). Ces hypothèses s’appuient sur les parallèles stylistiques, thématiques ou compositionnels entre les productions de Vincent et celles des artistes de l’époque. Nous croyons toutefois que les œuvres de ces derniers, réalisées au goût de l’académisme britannique, français ou italien, auraient eu des répercussions relatives sur Vincent, qui n’aurait retenu du langage pictural que son pouvoir de représenter, d’évoquer et de reproduire. Par ses autoportraits, Vincent témoigne de son statut d’artiste professionnel, malgré son manque de formation académique, statut que semblent d’ailleurs attester les photographies le montrant installé devant son chevalet.

 

 

Exploration technique

Vincent expérimente des médiums aussi diversifiés que l’huile, la mine de plomb, le fusain, l’encre et l’aquarelle. D’autres témoins affirment par ailleurs qu’il réalise des œuvres religieuses pour l’église de Notre-Dame-de-Lorette, et qu’il pratique la sculpture sur bois. Les supports picturaux qu’il emploie offrent également un large éventail : toile, papier, papier marouflé sur carton, carton, ou encore panneau de fibre de bois. On rapporte enfin qu’il aurait recours à des pigments à base de végétaux utilisés alors pour la teinture des produits artisanaux.

 

Art Canada Institute, Zacharie Vincent, Religious works on display in the church of Notre-Dame de la Jeune-Lorette, Wendake, 1927
Ouvrages religieux dans l’église Notre-Dame-de-Lorette, Wendake, 1927, photographié par Edgar Gariépy, négatif en verre, 17,7 x 12,7 cm, Musée national des beaux-arts du Québec. Vincent aurait réalisé des œuvres religieuses, notamment des sculptures sur bois, pour l’église Notre-Dame de la Jeune-Lorette, lesquelles n’ont toutefois pas été identifiées.
Art Canada Institute, Zacharie Vincent, Religious works on display in the church of Notre-Dame de la Jeune-Lorette, Wendake, 1927
Le retable de l’église de Notre-Dame-de-Lorette, Wendake, 1927, photographié par Edgar Gariépy, négatif en verre, 17,7 x 12,7 cm, Musée national des beaux-arts du Québec.

 

Vincent utilise probablement ce qu’il a sous la main, selon les moyens à sa disposition, tout en faisant assurément preuve d’audace technique. La précarité de sa condition et sa difficulté à se procurer du matériel de qualité expliqueraient aussi le fait que le mode d’application du pigment à l’huile varie d’une œuvre à l’autre, passant d’une facture très empâtée à un style plus graphique, où les traces de mine de plomb demeurent perceptibles sous la mince couche picturale.

 

L’artiste expérimenterait également des moyens techniques lui permettant de reproduire plus rapidement certains détails : on pense au stencil, au papier calque ou encore à la photographie peinte. Quant aux autoportraits, ils seraient réalisés à partir de miroirs ou de photographies de studio, notamment celles prises par Louis-Prudent Vallée (1837-1905).

 

Art Canada Institute, Zacharie Vincent, Fire at the Paper Mill in Lorette, c. 1862
Zacharie Vincent, Incendie du moulin à papier de Lorette, v. 1862, huile sur carton, 44,4 x 59,4 cm, Musée de la civilisation, Québec.

 

 

Fonction de la photographie

Art Canada Institute, Zacharie Vincent, A late nineteenth-century calling card from the Halifax photography studio of William Notman
Carte de visite tirée au studio Notman de Halifax. Ce format, breveté en France par A.A.E. Disdéri en 1854, devient très populaire, au cours des années 1870-1880, dans les studios Notman de Montréal, Toronto, et Halifax, avant de s’étendre rapidement au reste du Canada.

Au cours des années 1860, les studios de Livernois et Vallée à Québec et celui de William Notman (1826-1891) à Montréal, Halifax et Toronto, connaissent un essor florissant. Ce médium, qui n’entre pas en compétition avec celui de la peinture, puisqu’il revêt essentiellement un statut d’image objective, de type documentaire, fournit alors aux artistes plusieurs avantages utilitaires, tels que la promotion de leur statut professionnel.

 

La photographie est également utilisée comme source visuelle pour les œuvres peintes, notamment les portraits et paysages. Dans Les Chutes de Lorette, v. 1860, Vincent tire sans doute son inspiration d’une photographie ou d’une gravure représentant ce site pittoresque. À l’époque, des versions gravées sont publiées dans des journaux, des magazines et des livres illustrés. Certains de ces motifs sont également reproduits sur les plats de service et autres pièces de poterie et de céramique.

 

Les qualités de communicabilité des images photographiques et mécaniquement reproductibles présentent alors un potentiel commercial recherché. Pour plusieurs artistes de l’époque, le médium photographique devient un outil pour promouvoir leur statut professionnel. C’est le cas du format de la carte de visite, qui suscite un engouement important durant les années 1870

 

Vincent tire sans doute bénéfice du médium photographique, afin de rejoindre un public élargi et de diffuser efficacement son image d’artiste. Mais les photographies tirées au studio de Louis-Prudent Vallée lui permettent également d’attester de l’authenticité de son statut d’artiste professionnel, et de démontrer au public qu’il est bien l’auteur de ses autoportraits, comme en témoigne notamment Zacharie Vincent Telariolin chef huron et son portrait peint par lui-même, v. 1875.

 

En réponse à l’image du sujet passif, voué à disparaître, Vincent impose ainsi celle du sujet individuel, actif et créatif. L’autoportrait lui permet d’actualiser l’image du sujet autochtone, de la prolonger dans le temps et l’espace, de se réapproprier l’autorité du regard sur sa propre communauté, et d’instaurer un dialogue avec le public. La photographie vient compléter ce processus d’affirmation, en révélant la dimension concrète et objective de l’expérience de Vincent.

 

 

Attribution des œuvres

Les œuvres répertoriées à ce jour sont généralement en mauvais état, un constat qui peut s’expliquer notamment par les conditions incertaines de conservation et la fragilité des matériaux.

 

Les œuvres de Vincent ne portent aucune signature et l’artiste ne laisse aucun écrit ou témoignage permettant d’éclairer sa démarche. À l’époque, l’absence de signature et de légende d’identification présente sans doute un problème d’attribution, d’autant plus que des portraits du chef et de son aîné, réalisés par d’autres artistes, sont alors en circulation. Pour dissiper les doutes, Vincent prendra soin par la suite d’accompagner ses autoportraits d’une légende jusqu’à ce que les photographies le présentant à l’œuvre attestent qu’il en est l’auteur.

 

Art Canada Institute, Zacharie Vincent, Huron Chief Zacharie Vincent Telariolin Painting a Self-Portrait, c. 1875
Zacharie Vincent, Zacharie Vincent Telariolin chef huron et son portrait peint par lui-même, s.d., fusain sur papier, 65,4 x 49,6 cm, Musée national des beaux-arts du Québec. Certaines œuvres de Vincent, incluant celle-ci, se trouvent en piètre état, en raison des conditions de conservation, de la mauvaise qualité des matériaux, ou de l’utilisation de pigments végétaux qui ont été altérés.
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