Les hiboux, 1970
Il est impossible de donner une idée du nombre d’œuvres figurant un hibou dans la production de Jean Paul Riopelle. Dans cette seule lithographie, Les hiboux, on en compte soixante-dix-neuf, disposés en six rangées superposées. L’artiste a si souvent représenté des hiboux qu’on pourrait penser que le sujet était chez lui une fascination. Des déclarations vont par contre dans le sens contraire :
Si on me demande pourquoi j’ai dessiné 2000 hiboux, je dirais : « C’est pour faire des lithos ». Mais en réalité, c’est d’avoir fait les 2000 hiboux qui m’intéresse. Pas parce que ce sont des hiboux. Je me fous des hiboux. Ils ne sont pas pour autant des symboles. Je n’ai pas pensé à ce qu’ils signifiaient lorsque je les ai faits. Je les ai faits.
Lors de sa formation chez Henri Bisson (1900-1973), le jeune Riopelle peint un tableau intitulé Hibou premier, 1939-1941. Cette tentative précoce est inspirée d’un oiseau naturalisé, probablement un produit de chasse de Bisson. Si le tableau n’est pas très bon, ça n’est pas le plus mauvais de cette période. Riopelle le peint de manière plus libre que d’autres de ses tableaux. L’influence de Vincent van Gogh (1853-1890) y est manifeste, en dépit du fait que l’intérêt de Riopelle pour ce peintre était pourtant interdit chez Bisson.
Dans les années 1970, et après plus de vingt ans dédiés à l’abstraction, le thème du hibou revient en force dans l’art de Riopelle tout comme la figuration de manière générale. Il les traite par des œuvres sur papier, comme Les hiboux, 1970 ; les peintures sur toile comme Hibou Jet-Black, 1970; et en sculpture, comme Hibou-Roc, 1969-1970 (fonte en bronze 2010), ce qui démontre l’incroyable talent de Riopelle dans une variété de moyens d’expression. Dans le premier exemple, la multiplication des profils de hiboux, tous distincts, dépersonnalise le hibou. Dans l’autre, le seul détail de la forme sculptée convainc de sa présence monumentale et de son identité singulière. Ces sculptures en bronze de Riopelle sont marquées par les traces de ses doigts : les pièces façonnées dans l’argile révèlent l’acte même de création par ces émouvantes traces du « faire ».
Peu de temps après l’émergence des hiboux dans son œuvre, paraissent les oies blanches du Cap Tourmente. Elles viennent par milliers chaque année à la saison de la chasse, et Riopelle, chasseur, va à leur rencontre. Une fois la chasse terminée, il créé des centaines d’images et de dessins. Comme il le disait : « L’essentiel c’est de faire ». Toute cette production prenant des volatiles pour thèmes relève moins d’un bestiaire que de l’art cherchant appui dans la nature qui lui sert de prétexte. Pour Riopelle, il n’y a pas de hiatus entre sa production dite abstraite et l’autre, dite figurative. L’une et l’autre relèvent du même acte, du « faire ».