La cueilleuse de pommes v. 1911
Parmi les plus grandes toiles de McNicoll, La cueilleuse de pommes est parente avec The Little Worker (La petite ouvrière), v. 1907, dans la représentation du travail féminin en région rurale, qui n’idéalise, ni ne dramatise son sujet. La figure centrale s’étire pour cueillir une pomme; une main écarte une branche alors que l’autre se tend vers l’arbre. La pomme qu’elle cherche à atteindre est à peine suggérée, une touche de rouge dissimulée parmi les coups de pinceau verts et jaunes qui composent le feuillage. La femme, portant un long tablier, est concentrée sur son travail : sa posture, bras dans les airs, le dos cambré d’une manière qui semble inconfortable, doit être dure à supporter et fera souffrir son corps à la fin de sa journée. (Ce qui était peut-être aussi le cas du travail de la modèle). Elle besogne depuis un certain temps puisque son panier est presque plein et que ses joues sont rougies d’un coup de soleil.
Les scènes de paysannerie sont populaires à la fin du dix-neuvième siècle, particulièrement auprès d’un public urbain, de classe moyenne, nostalgique de l’âge préindustriel. Ces représentations ont contribué à répandre l’idée courante que l’apparence physique du corps révèle la classe sociale d’une personne. Tout en n’étant pas aussi engagée politiquement que d’autres artistes qui ont exploité le sujet du travail rural – Gustave Courbet (1819-1877) ou Jean-François Millet (1814-1875), par exemple – McNicoll participe à ce discours par ses images du travail rural au féminin, dépourvues de sentimentalité. Dans The Gleaner (La glaneuse), v. 1908, par exemple, bien que la femme soit jeune et jolie, ses cheveux sont négligemment ramassés en un chignon désordonné, son visage et son cou sont brûlés par le soleil et sa main, qui serre la lourde botte de foin, est rêche. Les contemporains ont pu interpréter ces caractéristiques comme des signes qui la distinguent des femmes de la classe moyenne, l’idéal féminin à la peau blanche, représentées dans d’autres œuvres de McNicoll (notamment In the Shadow of the Tree [À l’ombre de l’arbre], v. 1914).
Les œuvres à sujets ruraux de McNicoll sont bien reçues par les critiques au Canada, qui comparent son travail favorablement à celui de ses pairs français. « Son travail se caractérise par la simplicité de la composition et l’ampleur du traitement, à quoi s’ajoutent une force indéniable et un œil pour cerner le poétique des objets communs », affirme un commentateur à propos des œuvres soumises pour l’exposition de 1909; il ajoute : « son travail est extrêmement prometteur et semble indiquer que, plus tard, elle peut faire, pour les différents types d’habitants du Canada français, quelque chose de similaire à ce que Millet a fait pour la paysannerie française. » Lorsque La cueilleuse de pommes est présentée à l’exposition de printemps de l’Art Association of Montreal en 1911, le critique William R. Watson l’a décrite comme l’une des « œuvres délicieusement ensoleillées dont Mlle McNicoll est maintenant devenue un maître presque parfait. »
McNicoll a représenté le sujet des vergers à un certain nombre d’occasions, comme dans Orchard (Verger), s. d., et Apple Time (Le temps des pommes), s. d. Natalie Luckyj avance que ces œuvres peuvent être inspirées de la période durant laquelle McNicoll peint avec l’artiste et professeur britannique Algernon Talmage (1871-1939) à St Ives – un professeur qui encourageait ses étudiants à peindre en plein air et qui donnait ses cours dans un verger local. Le sujet était aussi très populaire auprès des impressionnistes – le paysagiste français Camille Pissarro (1830-1903) l’a abordé, tout comme l’Américaine Mary Cassatt (1844-1926). La peinture murale de Cassatt pour le Women’s Building de la Chicago World’s Fair de 1893 (Exposition universelle de Chicago) représente un groupe de femmes cueillant des fruits comme une allégorie de la femme moderne; la peintre imprégnant son sujet du thème féministe « de jeunes femmes cueillant les fruits de la connaissance et de la science ».