Peintre abstrait dans les années 1950, Paterson Ewen (1925-2002) embrasse les coups de pinceau expressifs et exubérants reconnus à certains automatistes et expressionnistes abstraits. Dans ses pastels sans titre sur papier Fabriano du début des années 1960, il observe avec fascination que « la texture du papier qui transparaît à travers le pastel suggère que quelque chose se passe, c’est vivant ». Le processus physique de la création artistique l’attire : à propos des œuvres mixtes qu’il commence dans les années 1970, il déclare : « Les œuvres sont devenues beaucoup plus amusantes quand j’ai pu commencer à clouer des trucs dessus ». Et, bien sûr, cette physicalité trouve son expression la plus puissante dans les œuvres sur papier fait à la main d’Ewen, comme Lune, 1975, et particulièrement dans ses œuvres emblématiques en contreplaqué toupillé, telle que Moon over Water (Lune au-dessus de l’eau), 1977.

 

Paterson Ewen, Lune, 1975
Paterson Ewen, Moon (Lune), 1975
Papier bleu fait main et acrylique, 48,8 x 49,9 cm, McIntosh Gallery, London, Ontario. Au début des années 1970, le graveur Helmut Becker apprend à Ewen à fabriquer son propre papier. Ici, les bosses et les sillons du papier évoquent la surface de la lune, et la méthode d’Ewen pour appliquer la couleur, en tenant son pinceau comme un couteau et en frappant l’image, imite les forces violentes par lesquelles la lune a été créée.

La technique de gougeage d’Ewen, qui combine la peinture, la sculpture et même l’estampe, définit un nouveau type de peinture gestuelle au Canada et à l’étranger. Ewen décrit son processus :

 

« Une image surgit dans ma tête d’une façon ou d’une autre, d’un endroit ou d’un autre, et je vis avec cette image pendant un certain temps. . . . L’image veut s’échapper, mes mains et mes yeux sont prêts pour l’attaque sur le contreplaqué, mon intelligence exerce une retenue automatique, l’adrénaline coule et la lutte commence.

 

« Le début physique suppose de rassembler les matériaux et les outils avant la lutte, le bois, les machines-outils, les outils à main, la peinture et une myriade de choses. Un bout de fil de fer devient de la pluie, un morceau de grillage devient du brouillard et ainsi de suite; visiblement se joue une activité physique parallèle aux images qui fermentent dans ma tête.

 

« Dès que je dépose le contreplaqué sur le chevalet de sciage et que j’en effleure la surface avec un stylo-feutre pour esquisser une vague représentation de l’image, l’activité commence à s’accélérer. Le croquis est suivi du travail avec la toupie pendant que des images de couleurs, de textures, de matériaux tournent dans mon esprit . . . des objets sont cloués, collés, incrustés, ou gravés pour produire une estampe. . . .

 

« Je peux peut-être me permettre de dire quelque chose que seul l’artiste sait ou oserait révéler, à savoir qu’une fois commencée, l’œuvre ne peut pas échouer parce que je la fais jaillir. »

 

Paterson Ewen travaillant à la toupie, dans son atelier, à la Western Ontario University, London, 1979, photographié par Mary Handford.
Paterson Ewen travaillant à la toupie, dans son atelier, à la Western Ontario University, London, 1979, photographié par Mary Handford. Au départ, Ewen plaçait le contreplaqué, qui était parfois assemblé bout à bout, contre un mur et il le toupillait verticalement. Cependant, après un quasi accident avec la toupie en 1973 ou 1974, il commence à poser le contreplaqué sur des chevaux de sciage, grimpant souvent sur le plan de travail et toupillant à quatre pattes.

Ewen applique ensuite la couleur à l’aide de rouleaux et de pinceaux, selon la surface et la zone à couvrir, en suivant approximativement le dessin au pastel qui a précédé le tracé. Pour les contreplaqués, il utilise la peinture acrylique qui adhère mieux que la peinture à l’huile et dont les nuances sourdes révèlent mieux le bois brut.

 

Paterson Ewen, Tonnerre et chaîne, 1971
Paterson Ewen, Thunderchain (Tonnerre et chaîne), 1971
Boulons, fils et chaînes en acier, acier galvanisé, linoléum gravé et bois, 94 x 183 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto

Les surfaces animées et richement texturées d’Ewen rendent tangibles les forces de la nature. Essentiellement, rien dans son travail n’est immobile. Ewen a compris que le changement est la seule constante et rarement représente-t-il un paysage idyllique dénué de mouvement. La pluie tombe et est poussée par le vent; les courants marins sont portés par des lames de fonds, comme le montre Ocean Currents (Courants marins), 1977. La rotation des étoiles autour de Polaris, les phases de la lune, les comètes, les levers et couchers de soleil, les éclipses solaires et même le cannibalisme galactique, comme dans Cannibalisme cosmique, 1994, tous témoignent du mouvement dans l’univers.

 

Paterson Ewen, Cannibalisme cosmique, 1994
Paterson Ewen, Cosmic Cannibalism (Cannibalisme cosmique), 1994
Acrylique et métal sur contreplaqué toupillé, 243,5 x 235,9 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto

Qu’il s’agisse des motifs irréguliers de l’œuvre en apparence statique Blackout, 1960, ou de la surface brute du papier fait à la main dans Coastline with Precipitation (Littoral avec précipitations), 1975, ou des rainures profondes dans le contreplaqué qui rappellent celles sculptées par les larves d’insectes qui s’enfouissent dans l’écorce des arbres ou celles creusées par les glaciers qui coulent sur la roche, Ewen révèle la mutabilité de ce qui semble immuable et nous fait prendre conscience de forces inconnues au sein du familier. Ses œuvres donnent l’impression de se transformer sous nos yeux. Comme l’écrit Shelley Lawson : « Les résultats sont des œuvres puissantes, aussi rudes et sauvages que le paysage canadien, aussi impitoyablement toutes-puissantes que les phénomènes naturels qu’elles représentent, et avec le même caractère, à la fois imposant et sensible, que celui d’Ewen. »

 

Cet essai est extrait de Paterson Ewen : sa vie et son œuvre par John G. Hatch.

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