William Brymner (1855-1925), un homme en avance sur son temps, est le père de l’art moderne canadien. A. Y. Jackson et Arthur Lismer lui attribuent le mérite d’avoir transformé l’art à Montréal; sans lui, le Groupe de Beaver Hall et le mouvement impressionniste canadien ne s’y seraient pas implantés. Éducateur estimé et admiré à une époque où le Canada s’établit en tant que pays, Brymner compte parmi ses élèves des légendes telles que Helen McNicoll, Edwin Holgate, Clarence Gagnon, Prudence Heward et Anne Savage. Artiste aventureux et voyageur insatiable, tant en Europe qu’au Canada, Brymner cherche constamment de nouveaux sujets. Au plus fort de sa carrière, il est largement reconnu comme un leader artistique au Canada.
L’enfance et les premières œuvres
William Brymner est né à Greenock, en Écosse, en 1855. Il est l’aîné des enfants de Douglas Brymner et de Jean Thomson, qui émigrent au Canada en 1857. Bien que Brymner passe presque toute son enfance et la plus grande partie de sa vie adulte au Canada, ses origines écossaises demeurent un élément important de son identité. Ainsi, lors de sa visite en Écosse en 1878, il confie : « Mon air natal semble me convenir parce que je ne me suis jamais senti aussi bien de ma vie. » Ses amis et collègues au Canada le considèrent également comme un Écossais. Dans les souvenirs qu’il garde du peintre, le marchand d’art William R. Watson remarque que Brymner n’a jamais perdu l’accent écossais qu’il a acquis de ses parents. À la mort de Brymner, une notice nécrologique le décrit comme « grand et mince et typiquement écossais. »
On sait peu de choses sur l’enfance de l’artiste, mais les lettres qu’il a écrites plus tard dans sa vie indiquent qu’il est proche de sa famille, en particulier de ses parents. Ils s’installent d’abord à Melbourne, au Québec, et Brymner fréquente le St. Francis College à Richmond. La famille s’établit ensuite à Montréal en 1864. Adolescent, Brymner s’intéresse au dessin et au design. En 1868, alors qu’il est encore à l’école, il s’inscrit à des cours du soir au Conseil des arts et manufactures de la province de Québec, une école qui propose des cours de dessin pour promouvoir le design industriel. Les parents de Brymner l’encouragent à suivre ses intérêts et, en 1870, lorsqu’il termine ses études, son père prend les dispositions nécessaires pour qu’il suive des cours auprès de l’architecte Richard Cunningham Windeyer (1831-1900). À ce moment-là, l’objectif de Brymner est de devenir architecte (il faudra attendre près de dix ans avant qu’il ne se décide à renoncer à cette carrière). Malheureusement, il est trop jeune pour travailler dans le bureau de Windeyer — il est « si petit qu’il doit se tenir sur un banc pour mettre ses coudes au-dessus de la planche à dessin. » Finalement, Brymner quitte l’architecture pour étudier le français au séminaire de Sainte-Thérèse.
En 1872, la famille Brymner s’installe à Ottawa lorsque Douglas Brymner accepte un poste de commis aux archives pour le gouvernement du Canada. La fédération canadienne, créée depuis cinq ans à peine, c’est-à-dire à l’issue de la signature de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique par l’Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, fait du Canada un dominion au sein de l’Empire britannique. En tant que pays doté d’une nouvelle identité nationale, le Canada n’a pas d’archives officielles. La première tâche de Douglas est de les établir et il se met rapidement à la recherche de documents. Il a sans doute misé sur les liens qu’il a établis dans ce milieu de travail pour aider son fils à obtenir un emploi au bureau de Thomas Seaton Scott (1826-1895), l’architecte en chef du ministère des Travaux publics — il s’agit là de l’une des nombreuses occasions où le soutien du père s’est avéré essentiel pour le fils. Bien que Brymner ne soit pas connu pour avoir conçu des bâtiments pour le ministère alors qu’il y travaillait, il visite la ville de Québec (peut-être à la demande de Scott) en 1876 et fait une série de dessins de ses fortifications et de ses rues. Ces dessins, notamment Mountain Hill Looking Up (La côte de la Montagne, en regardant vers le haut) et Palace Hill (La côte du Palais) témoignent de ses premiers efforts pour maîtriser la perspective et dépeindre l’espace urbain.
Brymner devient un jeune homme aimable mais sérieux. Dans une lettre à son frère, Douglas rapporte que son fils économise pour étudier à la Royal Academy de Londres et commente : « C’est une grande bénédiction qu’il soit si sérieux et qu’il ne s’associe qu’avec des camarades très sérieux, de sorte que nous n’avons jamais la moindre inquiétude à son sujet. » Malgré cette fière affirmation, les parents de Brymner sont vraisemblablement préoccupés par les projets de leur fils. Les possibilités dans le domaine de l’art et du design au Canada sont alors limitées et de nombreuses organisations artistiques n’en sont qu’à leurs premiers balbutiements. L’Académie royale des arts du Canada (ARC) ne sera pas fondée avant 1880. De plus, de nombreux mécènes considèrent encore l’Europe, ses bâtiments et ses collections d’art comme les normes à imiter au Canada. Ainsi, de nombreux artistes canadiens en herbe concluent qu’il est nécessaire d’aller à l’étranger — ce qui constituerait un investissement essentiel pour une carrière future. Ils pensent que l’Europe est le lieu idéal pour apprendre : par exemple, Robert Harris (1849-1919), un artiste canadien en voyage dans la Ville Lumière en 1877, déclare que l’atelier dans lequel il étudie est « peut-être le meilleur de Paris, c’est-à-dire du monde. » Brymner partage sans aucun doute ce point de vue. Bien que la formation en Europe soit coûteuse, à l’hiver 1878, il s’embarque pour la Grande-Bretagne, où il rend visite à des parents en Écosse avant de s’installer dans la capitale parisienne.
Les études à Paris
En mars 1878, Brymner arrive à Paris avec l’intention d’étudier l’art et le design — il envisage toujours de devenir architecte. La ville lui offre un accès inégalé aux œuvres d’art : des peintures de grands maîtres au Louvre aux expositions d’œuvres d’artistes français contemporains dans d’autres musées, des peintres académiques aux impressionnistes auxquels il s’intéressera plus tard dans sa vie. Paris accueille également une communauté dynamique d’étudiants expatriés et attirés par les écoles d’art de la ville qui proposent des programmes s’appuyant sur celui de l’École des beaux-arts. Les élèves commencent par dessiner des moulages, souvent de statues antiques, avant de passer au dessin de modèles vivants et, enfin, à la peinture. Cette approche de la formation artistique est promue par l’École, mais il est difficile d’être admis dans cette institution, car l’offre de places aux étudiants non français est limitée et l’admission nécessite la réussite d’examens difficiles. De nombreux étudiants internationaux, dont Brymner, se retrouvent dans des écoles alternatives et dirigent leurs études eux-mêmes.
À son arrivée dans la Ville Lumière, Brymner décroche un emploi dans la section canadienne de l’Exposition de Paris, où il participe à la mise en espace des œuvres. Comme les autres expositions universelles, cette édition présente un large éventail d’objets, avec un accent particulier sur les ressources naturelles et les produits manufacturés. Elle sert également à montrer la puissance coloniale de l’Europe, reflet de la domination européenne dans la politique mondiale. (Les expositions canadiennes se trouvent dans la section consacrée à l’Empire britannique.) Pour le jeune homme, le poste implique de longues heures en échange d’un salaire bien nécessaire, mais il trouve tout de même le temps d’explorer les expositions d’autres pays, en notant : « Cela vaut la peine de se promener pour voir les différentes méthodes de travail et les types d’outils utilisés par les Russes, les Chinois, les Néerlandais et les Espagnols. » Mais Brymner est venu à Paris pour étudier l’art et il a déjà commencé à suivre des cours du soir à l’École gratuite de dessin.
En juillet 1878, le travail de Brymner à l’exposition se termine, ce qui lui donne plus de temps pour se consacrer à ses études artistiques. Il commence à prendre des cours de dessin supplémentaires avec un nouveau professeur, puis, en octobre, il s’inscrit à l’Académie Julian. Parmi ses professeurs figurent les célèbres peintres français Jules-Joseph Lefebvre (1836-1911), Gustave Boulanger (1824-1888), Tony Robert-Fleury (1837-1911) et William Bouguereau (1825-1905), tous reconnus pour leur talent dans la représentation de la figure humaine. Le programme de Brymner à l’Académie s’apparente à la progression traditionnelle suivie à l’École des beaux-arts. Le dessin est au centre de ses préoccupations et il commence à esquisser des moulages en plâtre. Au début du mois de janvier 1879, il se lance dans le dessin d’après modèles vivants.
Tout au long de ses études, Brymner entretient une longue correspondance avec ses parents où il donne de nombreux détails sur son travail ainsi que sur ses inquiétudes financières. Il explique à plusieurs reprises les coûts auxquels il doit faire face. Déterminé à montrer qu’il est économe, il réduit ses dépenses au point d’avoir souvent faim; rétrospectivement, il estimera que cette privation l’empêchait de se concentrer sur son travail. Il a également le mal du pays. Trente ans plus tard, il se confie à un ami : « Je me souviens du sentiment de ne jamais recevoir assez de lettres de chez moi […] Après un certain temps, malheureusement, on commence à ne plus s’en soucier autant et puis peut-être pas du tout. Je n’ai pas encore atteint ce stade et j’espère ne jamais y arriver. »
Bien qu’il doute de ses capacités, Brymner laisse entrevoir dans sa correspondance qu’il est un étudiant concentré et discipliné. Il admire tout particulièrement l’approche pédagogique de Robert-Fleury, soulignant : « J’aime beaucoup sa façon de corriger […] Il ne met aucune ligne sur le papier ou du moins très rarement, mais sa façon de mettre les choses en pièces est ahurissante. » Robert-Fleury est un professeur encourageant et, lorsqu’il remarque que Brymner semble se forcer à dessiner, il conseille une pause, déclarant : « il fant [sic] vous amuser en dessinant. »
En dehors de ses cours à l’Académie, Brymner cherche des possibilités d’apprentissage en ville. Il visite de nombreux sites connus à Paris et aux alentours, mais explore aussi des lieux choisis au hasard dans la campagne française, faisant des croquis des endroits qu’il voit. Comme de nombreux autres étudiants en art de la ville, il étudie également en copiant des œuvres du Louvre, une expérience qu’il représente plus tard dans une gravure.
C’est lors de son séjour en Europe que Brymner se décide à devenir peintre. En février 1879, il annonce à son père avoir « abandonné toute idée d’être architecte [et] s’efforc[er] de s’orienter vers la peinture. » Un an plus tard, il déclare : « Je dois rester encore un an. Je n’ai maintenant plus aucun doute sur la possibilité de réussir ce que j’ai commencé avec tant de peur et de tremblements. » Il est non seulement déterminé à devenir un artiste, mais également résolu à ne pas enseigner l’art, confiant à sa mère : « J’espère du fond du cœur ne jamais avoir besoin de devenir maître dans une école d’art. » En 1880, cependant, la nécessité financière l’oblige à rentrer au Canada et à se mettre à l’enseignement.
L’artiste ambitieux
Brymner réalise Self Portrait (Autoportrait), 1881, à son retour à Ottawa. L’œuvre révèle un jeune homme confiant, même si l’artiste commence à peine à établir sa carrière. Il espère éviter l’enseignement, mais il a besoin d’un revenu. C’est pour cette raison qu’il accepte, comme solution temporaire, un poste à l’École d’art d’Ottawa. Au cours de l’été 1881, Brymner retourne à Paris avec l’intention de reprendre officiellement ses études, mais il est atteint de rhumatisme articulaire aigu et rentre à Ottawa à l’automne. Au printemps, il est rétabli et accepte une commande pour créer les illustrations du livre de l’écrivain Joshua Fraser, Shanty, Forest and River Life in the Backwoods of Canada (1883), vraisemblablement parce qu’il est à court d’argent. Il retourne à l’École d’art d’Ottawa cet automne-là, mais n’y reste que jusqu’au printemps.
Brymner regagne l’Europe à l’été 1883. Il passe du temps à peindre en Bourgogne avec l’artiste britannique Frederick Brown (1851-1941) et se rend également à Paris, où il reprend son travail à l’Académie Julian. Il estime que le fait d’être en Europe présente plusieurs avantages. Dans une lettre à sa mère, il note que « les modèles sont beaucoup moins chers et plus faciles à trouver qu’au Canada. » À son père, il explique : « Je préfère de loin faire mon travail d’été de ce côté-ci avec d’autres, qui savent peindre, plutôt que d’aller travailler tout seul au Canada. Je pense aussi qu’il sera plus facile de vendre les travaux réalisés ici. » Il souhaite en outre demeurer au fait de l’art européen. À l’hiver 1884, Brymner visite l’exposition commémorative consacrée à Édouard Manet (1832-1883), à l’École des beaux-arts, une expérience dont il se souviendra plus tard dans sa vie. Il admire Manet parce qu’il peint en plein air et il croit que ses œuvres tardives, entre autres Un bar aux Folies Bergère, 1882, resteront longtemps dans les mémoires.
Au printemps 1884, Brymner se rend dans le Yorkshire avec l’artiste britannique Frederick W. Jackson (1859-1918) et l’artiste canado-britannique James Kerr-Lawson (1862-1939), qui travaillaient tous deux à Paris cet hiver-là. Le groupe choisit de rester à Runswick Bay, où Brymner produit un ensemble de peintures décisives. Parmi celles-ci, figurent A Wreath of Flowers (Une gerbe de fleurs), 1884, une œuvre vaste et complexe qui lui permet de présenter son diplôme à l’Académie royale des arts du Canada (ARC), The Lonely Orphans Taken to Her Heart (Les orphelines esseulées qu’elle a prises en affection), 1884, ainsi que des œuvres de plus petits formats.
Bien qu’il soit artistiquement productif en Angleterre, Brymner a toujours peur de manquer d’argent et doute de la faisabilité d’une carrière en peinture. Son père essaie de vendre ses œuvres au Canada, mais le succès est limité et, lorsqu’elles ne se vendent pas, Brymner déclare qu’il n’a plus « le même courage pour continuer à peindre. » Après plusieurs mois dans le Yorkshire, il reprend ses études à Paris en janvier 1885. Il s’inscrit à nouveau à temps partiel à l’Académie Julian, estimant que ce devrait être son dernier hiver là-bas, car « ce que je fais de plus doit être fait pour moi-même. Mais je pense qu’il est important pour moi d’avoir ce dernier tour. » Brymner veut également créer une œuvre qui améliorerait sa réputation d’artiste et en cela il a réussi : Border of the Forest of Fontainebleau (Au bord de la forêt de Fontainebleau), 1885, une peinture de paysage inspirée par la collectivité de Barbizon, est acceptée pour être exposée au Salon de Paris. Pour Brymner, il s’agit d’une réalisation majeure.
L’admission au Salon est prestigieuse mais peu lucrative et Brymner rentre au Canada. Il passe l’été 1885 à Baie-Saint-Paul, dans le Bas-Saint-Laurent, au Québec, un endroit qu’il a peut-être choisi parce qu’il lui rappelle la campagne française. Il y continue de travailler sur des sujets similaires à ceux qu’il a peints en Europe, notamment les enfants qui jouent dehors. Four Girls in a Meadow, Baie-Saint-Paul (Quatre jeunes filles dans un pré à Baie-Saint-Paul), 1885, et The Books They Loved They Read in Running Brooks (Ils aimaient à lire dans les ruisseaux fuyants), 1885, sont parmi ses premières peintures à l’huile représentant le Québec rural, un sujet qu’il reprend à maintes reprises tout au long de sa carrière. Il finit par être connu pour ses représentations des paysages et des habitants du Canada français. En 1885, cependant, ses œuvres de Baie-Saint-Paul laissent voir son intention de créer une continuité thématique dans sa peinture malgré son départ d’Europe.
Un an plus tard, Brymner se rend dans l’Ouest du Canada. Le Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) est achevé en novembre et il s’agit là d’un projet transformateur pour l’ensemble du pays. La Colombie-Britannique s’est jointe à la Confédération en 1871, à la suite d’un accord qui stipule que le Canada doit construire un chemin de fer qui la relie aux provinces de l’est du pays — l’Ontario, le Québec et les Maritimes. L’achèvement du chemin de fer permet de tenir cette promesse, mais il conduit également le gouvernement à encourager la colonisation massive des Prairies et, du même souffle, à forcer les peuples autochtones à s’installer dans des réserves à coups de mesures de plus en plus draconiennes.
Brymner est témoin de tous ces changements lors de ce voyage d’une importance capitale pour son œuvre. Il s’agit d’une autre décision stratégique : il est au courant que le CFCP commande des paysages représentant les montagnes Rocheuses à des artistes du Canada et de l’étranger. John Arthur Fraser (1838-1898), notamment, a reçu une commande d’aquarelles; l’une des œuvres qu’il a créées pour cette occasion est Summit Lake near Lenchoile, Bow River, Canadian Pacific Railway (Lac Summit près de Lenchoile, rivière Bow, Canadien Pacifique), 1886. Pour démontrer ses capacités, Brymner, alors qu’il séjourne près du col Rogers, entame une peinture de cinq pieds de long, une œuvre « destinée à battre cet Aitkins [sic], qui sort de Glasgow pour peindre les Rocheuses pour le CFCP. » (Il est manifestement au courant que James Alfred Aitken (1846-1897) travaille pour le chemin de fer). Peindre à une telle échelle est un défi et, quelques jours plus tard à peine, il déclare : « Un tableau de 5 pieds, ce n’est pas de la rigolade. » Il n’écrit rien de plus sur ce tableau, qu’il n’a probablement pas terminé. Plus tard dans sa carrière, cependant, Brymner peint d’autres vues des montagnes.
Ce voyage de 1886 est également important car Brymner passe des semaines dans la réserve de la nation Siksika près de Gleichen (aujourd’hui en Alberta). Les étrangers ne sont généralement pas autorisés à y vivre, mais l’agent des Indiens local, Magnus Begg, lui donne son accord pour quelques semaines. On ne sait pas très bien pourquoi cette exception est accordée (ni même pourquoi Brymner souhaite y vivre). Le peintre pense que Begg a pris la décision de son propre chef et il craint de demander une autorisation officielle aux autorités fédérales à Ottawa. C’est à la réserve qu’il réalise l’une des œuvres les plus marquantes de sa carrière, Giving Out Rations to the Blackfoot Indians, NWT (Distribution de rations aux Pieds-Noirs, T.N.-O.), 1886, une image obsédante illustrant les rations alimentaires gouvernementales distribuées au peuple Siksika. Le temps passé dans la réserve a un impact limité sur son œuvre dans l’ensemble, mais les souvenirs de sa visite sont toujours vifs plus de vingt ans plus tard lorsqu’il les relate en détail dans une longue lettre à un ami, l’artiste Edmund Morris (1871-1913).
Cultiver sa réputation d’artiste représente un défi, mais, entre 1882 et 1886, Brymner connait des années parmi les plus productives de sa carrière. C’est à cette époque qu’il produit plusieurs peintures à l’huile de grand format qui lui permettent de s’imposer comme artiste professionnel, notamment Au bord de la forêt de Fontainebleau, 1885. En plus de soumettre régulièrement ses œuvres à des expositions, Brymner est élu, en 1886, membre à part entière de l’ARC. La même année, ses tableaux Une gerbe de fleurs, 1884, et Crazy Patchwork (La courtepointe bigarrée), 1886, sont sélectionnés pour la Colonial and Indian Exhibition (Exposition coloniale et indienne), un événement de grande envergure tenu à Londres destiné à célébrer l’Empire britannique et en particulier les possessions impériales de la Grande-Bretagne en Inde. Il s’agit de réalisations notables pour un jeune artiste canadien, mais elles ne génèrent pas de succès financier significatif. Pour Brymner, l’argent demeure une source de préoccupation importante.
Le professeur d’art ambivalent
À l’automne 1886, Brymner accepte un poste de professeur à la Art Association of Montreal (AAM). Il y enseigne pendant plus de trente ans, mais à l’époque, il a plus ou moins d’intérêt pour cet emploi et a plutôt l’ambition de faire progresser sa propre création. En mars 1889, il écrit à son père qu’il n’a vendu aucune peinture récemment et qu’il prévoit donc de conserver son poste d’enseignant pour l’année scolaire qui vient : « Je crois que ce serait trop risqué de laisser tomber l’École, qui est une certitude, pour les trop vagues possibilités qui se profilent en ce moment. » Brymner ne quitte son poste à la AAM qu’en 1921, mais le fait qu’il l’envisage en 1889 montre qu’il est toujours déterminé à travailler sur ses propres tableaux.
Le prédécesseur de Brymner, Robert Harris, est nommé directeur et instructeur principal de la AAM en 1883. Harris a également étudié à Paris, et le programme d’études qu’il élabore pour l’école s’inspire de la tradition académique française : les élèves commencent d’abord par la maîtrise du dessin d’après moulages avant de passer à celle du dessin d’après nature. Brymner poursuit dans cette même veine, mais il ajoute progressivement des cours à ceux offerts par l’École, notamment le dessin en plein air (1889) et le dessin élémentaire (1898).
Le peintre donne également à l’occasion des conférences spéciales, comme par exemple une présentation sur l’impressionnisme dans laquelle il offre une étude de ce mouvement artistique ainsi que des courants artistiques en général. Il est très critique envers tous ceux qui aspirent à travailler dans un style spécifique, déclarant : « On voit beaucoup d’écrits sur les hommes qui sont des classiques et les hommes qui sont des naturalistes et d’autres qui sont des romantiques, etc. […] Il n’y a vraiment que deux types de peintres. Ceux qui nous montrent sincèrement ce qu’ils voient et ressentent et ceux qui sont les disciples de quelqu’un d’autre. » Son point de vue sur la formation axée sur un style donnée par les « écoles d’art » est qu’elle représente un point où « l’individualité se perd et la conventionnalité commence. » La conviction de Brymner qu’un artiste ne doit pas essayer d’imiter un style particulier est essentielle à son œuvre. Dans le même esprit, encourager l’individualité est la base des conseils qu’il adresse à ses élèves.
Ce poste d’enseignement à la AAM assure à Brymner un revenu stable et une position professionnelle. Sa pratique artistique durant cette période se définit par une soif avide de voyages. Il se rend à Paris au cours de l’été 1889, retourne à l’Académie Julian et visite l’Exposition universelle. Bien qu’il sache que l’exposition est particulièrement célèbre pour la Tour Eiffel, construite à cette occasion, Brymner s’intéresse davantage à l’art qu’à l’architecture. Il croit n’avoir jamais eu auparavant « une aussi bonne occasion d’étudier ce qui se fait dans le domaine de l’art pictural dans le monde entier. La collection est énorme et bien organisée. Non seulement les images de chaque pays sont conservées ensemble, mais l’œuvre de chaque homme est conservée autant que possible à part. » Le peintre a toujours été curieux du travail des autres artistes et il apprécie cette occasion, mais il ne laisse aucune trace des œuvres qui l’ont le plus intéressé.
Malgré que Brymner gagne un modeste salaire à la AAM, voyager l’été fait partie de sa routine annuelle. En 1891, il travaille à Killarney, en Irlande, et rencontre des amis, notamment l’artiste James M. Barnsley (1861-1929). Plus tard cet été-là, il se rend aux Pays-Bas et en Belgique, à Amsterdam, à Haarlem et à Anvers, pour voir des tableaux de Rembrandt van Rijn (1606-1669), Frans Hals (v.1582-1666) et Peter Paul Rubens (1577-1640). Brymner admire tout particulièrement les œuvres de Rubens, déclarant que l’artiste fait « tout aussi naturellement que l’oiseau vole »; il décrit Rembrandt comme laborieux dans son travail et Hals comme insuffisant par rapport à Rubens. En plus de lui donner l’occasion de voir plus d’œuvres de première main, les voyages de Brymner en Europe sont déterminants pour son statut professionnel, car de nombreux collectionneurs montréalais accordent plus d’importance aux grands maîtres et aux peintures européennes modernes qu’à tout autre art. Ainsi, comprendre ces œuvres est non seulement une occasion de mieux saisir l’histoire de l’art occidental, mais aussi de mieux cerner les goûts de ses mécènes potentiels à Montréal.
Brymner ne voyage cependant pas qu’en Europe. En 1892, le Canadien Pacifique commandite son voyage dans l’Ouest du Canada ainsi qu’un second en 1893. Sous la direction de William van Horne, son influent directeur général, la compagnie commandite de nombreux voyages d’artistes pendant cette période, dans l’intention de commander des œuvres représentant les montagnes Rocheuses. Bien que Brymner ait déjà peint lors d’un précédent voyage dans l’Ouest, le périple de 1892 lui permet de créer une importante série et de participer au formidable projet artistique de la compagnie. Lequel projet consiste à représenter les Rocheuses comme des paysages faisant partie intégrante de l’identité nationale canadienne, tout en étant une occasion pour la compagnie de célébrer l’achèvement du chemin de fer. Les dessins et les études peintes que Brymner a réalisés au cours de ces voyages sont devenus des sources importantes pour de nombreuses œuvres ultérieures.
À la fin des années 1890, Brymner passe plus de temps dans la région du Bas-Saint-Laurent; il se rend à Beaupré en 1896 et en 1897. Cette même année, il se rend également à Paris et en Belgique. Ensemble, ces voyages témoignent d’un profond engagement envers l’étude de l’art et la recherche de nouveaux sujets. Ils sont également déterminants pour sa situation professionnelle à Montréal. L’Académie royale des arts du Canada (ARC) et la AAM organisent toutes deux des expositions annuelles, auxquelles le peintre contribue presque chaque année, en soumettant plusieurs œuvres dont les sujets sont inspirés de ses voyages. In County Cork, Ireland (Dans le comté de Cork, en Irlande), exposée à la fois à l’ARC et à la AAM en 1892, est la plus importante de ces œuvres. Brymner a également tenu des expositions dans des galeries privées, parfois annoncées en faisant référence à ses voyages récents en France, aux Pays-Bas ou au Québec.
En plus de ces explorations approfondies, Brymner cherche d’autres opportunités artistiques à Montréal. Il est membre du Pen and Pencil Club, créé pour réunir les artistes et les écrivains de Montréal. L’organisation tient régulièrement des réunions au cours desquelles les membres sont invités à partager leurs idées sur un thème précis, en proposant soit un croquis, soit un bref texte. Bon nombre des contributions de Brymner ont subsisté dans l’album du club. Le peintre y apprécie sans aucun doute l’environnement social. C’est d’ailleurs grâce à lui que certains de ses amis se joignent au club en tant que nouveaux membres, par exemple les artistes Edmond Dyonnet (1859-1954) et Maurice Cullen (1866-1934). Au tournant du siècle, ces deux amitiés professionnelles sont devenues importantes pour sa pratique artistique.
Un réseau d’amitiés
Au début des années 1900, la double carrière de Brymner, à la fois artiste et professeur, est bien établie. Il enseigne toujours à la Art Association of Montreal (AAM). Parmi ses élèves de l’époque figurent William Henry Clapp (1879-1954), Clarence Gagnon (1881-1942), Kathleen Moir Morris (1893-1986), Emily Coonan (1885-1971) et Randolph Hewton (1888-1960). De plus, Brymner participe régulièrement à des expositions de la AAM et de l’Académie royale des arts du Canada (ARC) et présente son travail au sein d’expositions internationales.
Mais, surtout, le peintre commence à tisser un solide réseau de relations. Sociable depuis longtemps, il développe maintenant des amitiés étroites et vitales pour sa pratique artistique. Brymner continue à voyager l’été, souvent avec d’autres artistes. Entre 1896 et 1903, il se rend à Beaupré, Québec, presque tous les étés, passant souvent du temps avec Maurice Cullen, Edmond Dyonnet et Edmund Morris. James Wilson Morrice (1865-1924) y est à l’été 1903. Brymner apprécie la camaraderie et les possibilités artistiques qu’offrent ces visites et les amitiés qu’il noue sont durables.
Au début des années 1900, Brymner retourne en Europe. Avec Cullen et Morrice, il visite Venise en 1901 et de nouveau en 1902, lorsqu’ils se rendent également à Florence. Ces voyages eu Europe lui permettent de mieux comprendre l’œuvre de Morrice en particulier. Elle est plus expérimentale que celle de Brymner, notamment parce que son créateur s’intéresse davantage aux effets de coups de pinceau expressifs et d’aplanissement de l’espace pictural. En dépit de leurs différences, Brymner déclare : « Je l’apprécie et j’apprécie son travail et je ne connais personne qui fasse mieux », avisant Gagnon que « vous ne pouvez avoir un meilleur homme que Morrice pour vous faire une suggestion à l’occasion. » Les périples de Brymner le conduisent aussi à créer des œuvres inspirées de nouveaux sujets européens — des vues de Venise, par exemple — dont certaines figurent dans une exposition spéciale de ses œuvres et de celles de Cullen tenue à la AAM en décembre 1904.
L’amitié de Brymner pour Cullen est l’une des plus importantes de la fin de sa carrière. En plus de voyager et d’exposer ensemble, les deux artistes partagent un atelier. Au cours de l’été 1905, ils construisent de concert un atelier à Saint-Eustache, une municipalité en banlieue de Montréal suffisamment éloignée de la ville pour leur offrir de nombreux sujets ruraux. Brymner peint plusieurs scènes à Saint-Eustache, tant à l’huile qu’à l’aquarelle. Dans une lettre à Gagnon en 1908, il note qu’il y passe tout l’été et qu’il est « très confortablement installé », mais souhaiterait « qu’il n’y ait pas d’école où aller. »
La doléance de Brymner à propos de l’école est révélatrice. Même après des années d’expositions et de reconnaissance importante, il ne se sent toujours pas assez sûr financièrement pour quitter son poste d’enseignant. Beaucoup plus tard, l’artiste du Groupe des Sept A. Y. Jackson (1882-1974) se souvient que « quelqu’un a dit à William Brymner que si les artistes avaient davantage de capacités commerciales, ils pourraient gagner décemment leur vie, ce à quoi il a rétorqué : “Au Canada, un artiste doit être un génie financier simplement pour rester en vie.” » Pour lui, enseigner signifie « pain + beurre » et il est conscient de chaque vente conclue. En dépit de sa frustration, William Brymner est un artiste établi, à l’aube de sa plus prestigieuse réalisation.
Un leader professionnel
Brymner est élu président de l’Académie royale des arts du Canada (ARC) en 1909 et il le restera jusqu’en 1917. Son élection témoigne à la fois de son intérêt personnel pour l’institution et du rôle de premier plan qu’il joue dans la communauté artistique canadienne. Il s’est toujours engagé à exposer ses propres œuvres et il soumet régulièrement des peintures aux expositions organisées par l’ARC, la Art Association of Montreal (AAM) et le Canadian Art Club. Il expérimente un large éventail de sujets, notamment la côte de Louisbourg en Nouvelle-Écosse et le nu féminin. Il continue également à enseigner. Parmi ses élèves du début des années 1910, on compte Edwin Holgate (1892-1977), Lilias Torrance Newton (1896-1980) et Adrien Hébert (1890-1967). En dehors de ces activités, son travail en tant que président de l’ARC lui permet de se faire connaître et ses réalisations dans ce rôle renforcent son héritage.
Sa présidence est marquée par deux grandes expositions spéciales sur l’art canadien. La première, en 1910, est préparée à l’origine dans le cadre du Festival of Empire prévu à Londres. Pour Brymner et d’autres artistes canadiens, c’est l’occasion unique de faire partie d’une exposition se jouant sur la scène internationale. Sous sa direction, l’ARC organise l’envoi d’une sélection de 118 tableaux (des huiles, pour la plupart). Parmi les artistes dont les œuvres sont exposées, on compte Robert Harris, George Agnew Reid (1860-1947), Mary Hiester Reid (1854-1921), Homer Watson (1855-1936), Helen McNicoll (1879-1915), J. E. H. MacDonald (1873-1932) et A. Y. Jackson. Brymner propose ses œuvres Miss Dorothy and Miss Irene Vaughan (Mlle Dorothy et Mlle Irene Vaughan), 1910, October in Canada (Octobre au Canada), 1910, Under the Apple Tree (À l’ombre du pommier), 1903, et Blackfoot Indian (Indien Pieds-Noirs), v.1888 ou 1906 — aujourd’hui connu comme le Chef de la Nation des Pieds-Noirs). Au moment où le festival est annulé en raison de la mort d’Édouard VII, l’art canadien est déjà en route pour la Grande-Bretagne, sous la garde d’Edmond Dyonnet, à qui Brymner a demandé d’accompagner le précieux envoi. Avec l’approbation de son président, Dyonnet prend rapidement d’autres dispositions pour que les œuvres d’art soient présentées à la Walker Art Gallery de Liverpool, où leur exposition est bien accueillie et très fréquentée. Bien que le Canada soit un dominion depuis 1867, il fait toujours partie de l’Empire britannique et les artistes et critiques canadiens sont satisfaits des éloges de la critique britannique.
La Première Guerre mondiale provoque la deuxième grande exposition spéciale dont Brymner est le fer de lance. Comme de nombreux Canadiens, le peintre est horrifié à la vue des listes brutales de morts et de blessés. En septembre 1914, il écrit à Eric Brown, le directeur du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) : « Je vois par les bulletins de ce matin que le massacre dans certains des régiments anglais est effrayant. » Il est déterminé à faire quelque chose pour soutenir l’effort de guerre. Des artistes de l’ARC, de la Ontario Society of Artists (OSA) et du Canadian Art Club acceptent de collaborer avec lui afin d’organiser une exposition patriotique. Brymner préside le comité d’exposition et l’ARC s’engage à couvrir les dépenses essentielles.
Connue sous le nom de Exhibition of Pictures Given by Canadian Artists in Aid of the Patriotic Fund (Exposition d’images données par des artistes canadiens au profit du Fonds patriotique), l’exposition fait le tour du Canada entre 1914 et 1915, de Halifax à Winnipeg, en passant par Saint John, Québec, Montréal, Ottawa, Toronto, Hamilton et London. Les artistes y contribuent par une grande variété d’œuvres. Ozias Leduc (1864-1955), par exemple, fait don de Effet gris (neige), 1914, Lawren Harris (1885-1970), de The Corner Store (Le magasin du coin), 1912, et Emily Coonan, de Girl in Green (Jeune fille en vert), 1913. Brymner lui-même fait don d’une peinture de paysage intitulée Late Afternoon (Fin d’après-midi), v.1913, (dont on ignore l’emplacement actuel). En plus de permettre l’acquisition des œuvres, l’exposition recueille des fonds grâce à la vente de billets et du catalogue. En reconnaissance de ce succès financier et critique, Brymner est nommé membre de l’Ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, un honneur accordé par le roi George V en reconnaissance des services distingués rendus à l’Empire britannique. Pour célébrer cet événement, ses collègues artistes lui organisent un dîner et, en 1916, montent une exposition personnelle de ses œuvres au Arts Club of Montreal afin de marquer l’apogée de son illustre carrière.
Les dernières années
Le 6 mai 1917, Brymner se réveille et découvre qu’il ne peut pas bouger son côté gauche. Il est victime d’un accident vasculaire cérébral. Il passe les trois mois suivants à l’Hôpital Royal Victoria avant de se rendre à l’Île d’Orléans pour sa convalescence. Même s’il a reçu son congé de l’hôpital, il se débat avec les tâches quotidiennes et décrit son rétablissement comme étant « sacrément lent […] Je suis resté au lit et j’ai été aussi tranquille que possible. On m’a dit que je devais me comporter le plus possible comme une huître. » Il rentre à Montréal au début de l’automne et, le 12 septembre, il épouse Mary Caroline Massey Larkin. On sait peu de choses de la relation qu’il a entretenue avec Larkin, mais il a confié à Clarence Gagnon qu’il aurait souhaité l’épouser « bien avant. » Larkin fait partie du personnel de la Art Association of Montreal (AAM) et ils se connaissent probablement depuis plusieurs années au moment de leur mariage. Bien que la vie personnelle de Brymner soit à ce moment heureuse, sa vie professionnelle exige des changements. Edmond Dyonnet le soutient pendant sa convalescence et lui apporte une aide inestimable en gérant temporairement les affaires de l’Académie royale des arts du Canada (ARC), mais Brymner ne croit pas être en mesure de pouvoir y reprendre son travail de président et démissionne de son poste. Il semble peu probable qu’il ait peint pendant sa convalescence.
Finalement, Brymner retrouve suffisamment la santé pour reprendre son enseignement à la AAM, bien qu’il marche dorénavant avec une canne. Parmi les élèves des dernières années de sa carrière, on compte Anne Savage (1896-1971), Regina Seiden (1897-1991), Prudence Heward (1896-1947) et Robert Pilot (1898-1967). Malgré ses ennuis de santé, il demeure un excellent professeur, déterminé à encourager ses élèves à développer leur style personnel. Des décennies plus tard, Savage le décrit comme « un homme vraiment magnifique […] très en avance sur son temps » qui réussit à inspirer ses étudiants et étudiantes à embrasser l’innovation même s’il est « à l’emploi du groupe de personnes les plus conventionnelles que l’on puisse imaginer. » En 1921, lorsque Brymner prend finalement sa retraite, la AAM organise un thé spécial en son honneur. À cette occasion, ses élèves lui remettent un parchemin portant l’inscription « avec toute l’affection et l’appréciation de ceux à qui il a enseigné et qu’il a inspirés. » Bien qu’à plusieurs reprises il ait exprimé, à sa famille et à ses amis les plus proches, ses réticences à l’égard de l’enseignement, le peintre canadien est un pédagogue extrêmement doué. Plusieurs de ses élèves ont non seulement mené des carrières remarquables d’artistes professionnels, mais ils sont également devenus des leaders de l’art moderne au Canada en tant que membres influents du Groupe de Beaver Hall et du Groupe des peintres canadiens.
Au moment de sa retraite, Brymner annonce son intention de voyager en Europe pendant trois ans, notamment en France, en Espagne et en Italie. Il ne soumet plus d’œuvres aux grandes expositions après son départ de Montréal avec sa femme, mais il continue de peindre. La Carthusian Monastery, Capri (La chartreuse de Capri), v.1923, est l’une de ses dernières œuvres. En juin 1925, Brymner meurt alors qu’il rend visite à des parents de sa femme en Angleterre. Il est honoré par deux expositions posthumes, l’une à la Watson Art Galleries de Montréal à la fin de 1925 et l’autre à la AAM au début de 1926.
À bien des égards, l’art canadien a déjà évolué en 1925. Le Groupe des Sept et le Groupe de Beaver Hall se sont tous deux formés en 1920, et les artistes de ces groupes, avec leurs différentes approches du modernisme, attirent l’attention du monde artistique canadien. Brymner est un artiste d’une génération différente : il soutient farouchement l’intérêt de ses étudiants pour le modernisme, mais il n’entreprend pas lui-même d’expérimentations stylistiques radicales. Par contre, les critiques qui commentent ses expositions commémoratives encensent la diversité de son œuvre. En effet, il a beaucoup travaillé à l’huile et à l’aquarelle mais, surtout, il a exploré un très large éventail de sujets, des habitants de la réserve de Siksika aux villages européens.
Pour ces critiques et pour les historiens et historiennes de l’art qui suivent, l’extraordinaire variété des œuvres de Brymner rend sa carrière difficile à résumer. Tout bien considéré, cette diversité reflète son implacable résolution en faveur de l’expérimentation. En transmettant cet enthousiasme à ses élèves — par son travail d’enseignant et par l’exemple de sa carrière — Brymner a inspiré une génération de modernistes et s’est assuré une place de choix dans l’histoire de l’art canadien.