Au bord de la forêt de Fontainebleau 1885
Au bord de la forêt de Fontainebleau, 1885, est une vue lugubre de la campagne française par temps froid, dans laquelle deux personnages ratissent des feuilles. Le sujet est d’importance – la forêt de Fontainebleau est située près du village Barbizon, et ces deux endroits sont décisifs pour les peintres paysagistes français modernes tels que Jean-François Millet (1814-1875), Théodore Rousseau (1812-1867) et Narcisse Diaz de la Peña (1807-1876), artistes qui sont aujourd’hui les plus célèbres de la collectivité de Barbizon. Brymner peint cette œuvre pour démontrer son propre talent de paysagiste. Il cherche à impressionner les critiques et ses pairs par la complexité de sa composition et il projette de la soumettre au Salon de Paris, alors considéré comme l’un des espaces d’exposition les plus prestigieux au monde. Le tableau est accepté pour y être présenté en 1885.
William Brymner décrit l’œuvre dans sa correspondance avec son père : « Mon image est purement un paysage. Un rideau d’arbres sous lesquels se trouvent des feuilles mortes, un ciel gris et un village, et quelques champs qu’on entrevoit à travers [les arbres]. Le sujet est si plein de détails à cause des branches des arbres que c’est très fastidieux à travailler, mais je pense que ça ira une fois achevé si je peux travailler l’ensemble comme j’ai fait une partie. La seule chose est qu’il n’y a peut-être pas assez d’effet. L’ensemble est (dans sa nature) d’une couleur extrêmement délicate. » Le tableau reflète la détermination obstinée de l’artiste à peindre en plein air. Rendant compte de ses progrès, il note : « pendant la dernière semaine ou dix derniers jours, j’ai dû le faire sous une pluie battante sous un parapluie bleu, j’ai été trempé trois ou quatre fois et j’ai finalement dû poser les deux figures qui ramassent des feuilles dans l’atelier. » Le mauvais temps est en effet évident dans le tableau abouti.
Au bord de la forêt de Fontainebleau invite à la comparaison avec les œuvres de l’école de Barbizon, mais le lien est complexe. Brymner a choisi son sujet de manière stratégique; il sait qu’il peint dans une région où Millet, Rousseau et Diaz ont vécu. Les artistes de cette école sont reconnus pour pratiquer la peinture en plein air, observer la nature avec sensibilité et traiter le paysage comme un sujet sérieux, et le peintre canadien partage ces objectifs. Il est bien conscient que la région est un pôle artistique, observant en 1881 que Barbizon « est à la lisière de la forêt et est presque exclusivement un lieu où les artistes se réfugient. Tous les villages alentour sont fréquentés par la même confrérie […] Il y a beaucoup de bons peintres ici, de sorte que j’apprends toujours quelque chose en les regardant travailler dans la nature. »
Même si Brymner croit qu’il faut apprendre des principes et des pratiques des autres artistes, il n’est pas pour autant en faveur de l’émulation stylistique. En commentant les œuvres des émules de Barbizon, il note que bien qu’il admire Rousseau et Millet, il considère que ces peintres « sont devenus une école » dont les disciples sont tombés « dans l’abîme de la noirceur et du bitume. » On peut affirmer sans risque de se tromper qu’il ne se considère pas comme l’un d’eux, sans doute parce qu’il voit Au bord de la forêt de Fontainebleau comme une œuvre expérimentale. Le tableau demeure important pour son créateur pendant de nombreuses années et figure parmi les œuvres qu’il a présentées à l’Exposition universelle de Chicago en 1893.