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Takao Tanabe exploite le potentiel de l’aquarelle, de l’acrylique, de l’huile, et de plusieurs autres moyens d’expression pour produire une œuvre qui touche tout autant la peinture, le dessin, la gravure que le graphisme. Si les premières pièces de l’artiste sont pour la plupart non figuratives, il développe ses compétences techniques et modifie son style en suivant des formations à Winnipeg, New York, Londres et Tokyo. Après avoir étudié le sumi-e et la calligraphie pendant un an au Japon, Tanabe développe une nouvelle approche dans la création de ses toiles à l’acrylique de grand format, soit le tracé en un seul geste d’une ligne continue qui traverse ses compositions. En revisitant les paysages canadiens tels que les Prairies ou la côte Ouest, il crée un ensemble d’œuvres qui reflète sa perspective unique.


 

 

Abstraction et figuration

Takao Tanabe, A Region of Landlocked Lakes (Une région de lacs enclavés), 1958, huile sur toile, 127 x 68,5 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.
Takao Tanabe, Early Autumn (Début d’automne), 1967, acrylique et Rhoplex sur toile, 152 x 147 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.

Dans les années 1950 et 1960, alors que Takao Tanabe amorce sa carrière artistique, il explore la peinture non figurative à l’aide de deux approches principales. La première est picturale et lyrique, étant influencée par l’expressionnisme abstrait, qui met l’accent sur les formes spontanées et gestuelles. A Region of Landlocked Lakes (Une région de lacs enclavés), 1958, est un exemple frappant de cette approche. L’œuvre semble voilée par la brume et, même si elle fait allusion à un paysage par son titre, les formes demeurent insaisissables. La seconde approche tient en un style de peinture géométrique hard-edge, telle qu’illustrée par Early Autumn (Début d’automne), 1967, une composition dominée par des motifs linéaires forts qui soulignent la planéité de l’espace pictural. Les voyages de Tanabe aux États-Unis, en Europe et au Japon à cette époque influencent profondément le développement de ces deux approches de la peinture. Selon Roald Nasgaard, il absorbe des influences disparates « par vagues successives », produisant « des œuvres sophistiquées et ambitieuses, astucieusement adaptées à leur époque, mais influencées par la région et uniques en leur genre1 ».

 

Alors qu’il fréquente la Winnipeg School of Art à la fin des années 1940, Tanabe s’initie aux leçons du cubisme, comme en témoigne une rare nature morte à l’encre sur papier créée en 1954. Il découvre aussi l’abstraction avec son professeur Joseph (Joe) Plaskett (1918-2014), engagé comme directeur de l’école alors qu’il vient de terminer ses études avec le peintre américain Clyfford Still (1904-1980) à San Francisco et avec l’artiste et éducateur germano-américain Hans Hofmann (1880-1966) à New York. Still et Hofmann sont des figures formatrices de l’expressionnisme abstrait et, tandis que Plaskett s’efforce de démontrer leurs méthodes de travail, Tanabe est intrigué. C’est un voyage à New York en 1951 qui permet à Tanabe d’étudier l’expressionnisme abstrait à la source et qui stimule son intérêt pour l’art non figuratif.

 

Lorsque Tanabe retourne au Canada et s’installe à Vancouver en 1952, il « commence à exposer des peintures intéressantes dans un style ‘abstrait-expressionniste2 ». Ces œuvres, telles que Fragment 35, 1953, sont suffisamment bien accueillies pour que Tanabe reçoive une bourse Emily Carr, ce qui lui permet de s’inscrire à la Central School of Arts and Crafts (aujourd’hui le Central Saint Martins) de Londres et de voyager à travers l’Europe de 1953 à 1955. Au cours de cette période, il s’imprègne de nombreux styles de l’art britannique et européen et produit des œuvres figuratives qui brossent les paysages et l’architecture de son nouvel environnement. Tanabe continue également à étudier et à expérimenter des méthodes d’abstraction. À Londres, il rencontre des artistes comme Roger Hilton (1911-1975), pionnier de l’art abstrait d’après-guerre en Grande-Bretagne, et Patrick Heron (1920-1999), dont la peinture et les écrits promeuvent les idées modernistes.

 

Takao Tanabe, Fragment 35, 1953, huile sur toile, 78,6 x 119 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.

 

Par ses expérimentations sur les formes, Tanabe repousse également les limites de ses propres moyens d’expression. Il commence à exploiter la peinture à l’huile dès le début de sa carrière à Winnipeg, utilisant principalement ce matériau tout au long des années 1950. C’est en 1951, alors qu’il fréquente la Brooklyn Museum Art School, que Tanabe découvre la peinture acrylique. Bien que ce matériau ne soit pas accessible à grande échelle avant les années 19603, il devient son principal moyen d’expression et jouera un rôle déterminant dans la production de ses importantes peintures des Prairies.

 

Takao Tanabe, Small Valley (Petite vallée), 1961, huile et Lucite sur toile, 50,6 x 83,6 cm, Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax.

Tanabe réalise sa première peinture à l’acrylique en 1961, alors qu’il vit à Vancouver. Au début des années 1960 (1961-1965), il arrive que le peintre combine l’huile et l’acrylique (Lucite) dans une même œuvre, comme dans Small Valley (Petite vallée), 1961. Il emploie l’acrylique à séchage rapide pour esquisser les formes de base sur la toile, puis, lorsque la surface est sèche, il complète la composition à l’huile. Tanabe commence à travailler exclusivement à l’acrylique après 19664.

 

Ce changement de matériau l’incite à s’engager plus pleinement dans son sujet, et il commence à produire des peintures abstraites en réponse aux paysages qui l’entourent. Entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, Tanabe produit un certain nombre de paysages abstraits, inspirés par les panoramas ruraux qu’il aperçoit en Pennsylvanie et dans l’État de New York pendant ses fréquents trajets entre Philadelphie et New York. Ces œuvres, telles que The Land III (La terre III), 1972, et Landscape Study #4 (Étude de paysage no 4), 1972, présentent des bandes de couleurs ternes et non naturelles combinées à des figures géométriques mollement dessinées, aux arêtes douces, pour suggérer des formes dans le paysage. Comme le note Nancy Tousley, ces tableaux de transition illustrent l’effort naissant de Tanabe « de peindre ce qu’il voit, des lieux réels en temps réel, et de le faire en réduisant la distorsion au minimum5 ».

 

 

Vitesse, précision et sérialité

Le déménagement de Tanabe à Banff, au cours de l’été 1972, renforce sa conviction qu’il doit peindre des paysages. Il n’est cependant pas intéressé par les panoramas montagneux dont il est le témoin quotidien. Il se tourne plutôt vers les Prairies canadiennes, un changement de sujet qui l’oblige à reconfigurer son approche de la peinture.

 

Travaillant à partir de ses croquis et de photographies de ce vaste territoire, il développe de nouvelles solutions techniques et stylistiques pour traduire la prairie sur toile. C’est là qu’intervient sa formation au Japon, où il a appris les techniques du sumi-e et de la calligraphie. Grâce à une bourse du Conseil des arts du Canada, Tanabe se rend au Japon entre 1959 et 1961. Tout en étudiant auprès de peintres et de calligraphes de renom, il adopte une méthode caractérisée par la rapidité et la précision, une nécessité pour peindre à l’acrylique. Tanabe mélange sa peinture avec de la colle jusqu’à ce qu’elle atteigne une consistance de crème de table pour ensuite l’appliquer sur une toile non apprêtée. Il aborde ses matériaux comme un calligraphe, en étirant sa toile à plat sur la surface horizontale d’une table, en travaillant rapidement et en rejetant toute image imparfaite.

 

Takao et sa mère, Tomie Tanabe, au mont Fuji, Japon, 1961, photographie non attribuée.
Takao Tanabe, Setting Sun (Soleil couchant), 1960, encre sumi et aquarelle sur papier, 31,8 x 59 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.

 

Comme le note Nancy Tousley, la peinture acrylique séchant plus lentement que l’encre, « l’intervalle de temps dont disposait Tanabe pour agir était plus long que celui d’un calligraphe6 ». Bien qu’il allonge la durée de ce créneau en pulvérisant de l’eau sur sa toile, il lui faut toujours peindre de manière décisive. C’est en « posant d’abord les couleurs de la terre et en les laissant sécher, puis en brossant ensuite le ciel, écrit-elle, que Tanabe est capable de réaliser même une grande peinture de prairie en quarante-cinq minutes à une heure7 ».

 

En peignant les Prairies canadiennes, Tanabe développe sa technique emblématique du trait en un seul geste, qu’il perfectionne en réduisant son sujet à l’essentiel, comme dans The Land 20 (La terre 20), 1977. Tousley explique également que l’artiste aborde ces œuvres dans le cadre d’un long processus de planification et de préparation : « La sélection et le recadrage d’une image à peindre parmi ses photographies et ses croquis, le choix de la palette, le prémélange des couleurs dans des pots et la planification de l’ordre dans lequel les appliquer pouvaient prendre plusieurs jours à Tanabe. Il quadrille ensuite la photographie et transfère l’image sur une grille correspondante sur la toile. […] Lorsque l’image dépouillée rencontre et coïncide avec l’essence dépouillée du processus de peinture du trait en un seul geste de Tanabe, la qualité essentielle de chacune devient évidente8. »

 

Dans la dernière étape du processus pictural, Tanabe unifie l’image peinte, renforce le sens de l’espace et l’isole de la personne spectatrice en recouvrant la surface du tableau d’un mince lavis de peinture noire9. Des œuvres telles que Prairie Hills 10/78 (Collines des Prairies 10/78), 1978, et The Land 22/77 (La terre 22/77), 1977, illustrent comment la technique du trait en un seul geste de Tanabe se développe grâce à ses leçons de sumi-e, où les lavis d’encre évoquent des effets atmosphériques. Le choix du lavis noir par Tanabe pour rendre Collines des Prairies 10/78 est particulièrement troublant, la couleur créant un sentiment de calme avant une tempête dans ce coin de pays.

 

La série de peintures réalisées avec cette technique entre 1972 et 1984 change la façon dont les Prairies et les contreforts de l’Alberta sont perçus par le public. Commentant ce qu’il considère comme leurs qualités essentielles, Tanabe explique : « Ma perception de la prairie est sans doute romantique, mais c’est un espace d’apparence extrêmement simple et, dans toute cette simplicité, il est très, très riche, très subtil10. »

 

Takao Tanabe, Prairie Hills 10/78 (Collines des Prairies 10/78), 1978, acrylique sur toile, 106,7 x 182,9 cm, collection privée.

 

Dépourvues de tout élément humain, les peintures des Prairies de Tanabe semblent à première vue peu complexes, avec des aplats de couleur utilisés pour représenter les caractéristiques topographiques. Ces paysages sont peints en couche mince, avec peu ou pas d’impasto à la surface de la toile. Par cette approche simplifiée, l’artiste met l’accent sur la planéité comme qualité essentielle de la terre. Tanabe déclare : « La prairie que je peins est plate. Un morceau de terre aussi plat que possible et divisé horizontalement, le ciel ou les nuages, ou quoi que ce soit d’autre au sommet, un morceau de terre avec quelques petites subdivisions11. »

 

Bien que ces œuvres aient une qualité sérielle, que Tanabe souligne par son recours à une convention de titrage cohérente, elles recomposent des vues subtiles et distinctives, porteuses d’un désir de connexion avec ces vastes horizons qui s’étendent devant l’œil. Même si ces œuvres sont délibérément à la limite de l’abstraction, elles comptent parmi les images les plus révélatrices de la prairie dans l’art canadien. Comme l’observe Jeffrey Spalding (1951-2019), ces œuvres sont « saluées à l’échelle nationale comme l’image de marque omniprésente de l’Ouest12 ». Cependant, en 1980, Tanabe sent que le moment est venu de changer; il quitte donc l’Alberta et retourne en Colombie-Britannique.

 

Arrêt sur image de la série documentaire Landscape as Muse, 2009, photographie de Cam Koroluk. 

 

 

Côte du Pacifique et strates de paysage

Le retour de Tanabe sur la côte Ouest en 1980 l’amène à changer de sujet et à modifier progressivement son approche du trait en un seul geste développée dans ses peintures des Prairies. Il est fasciné par ce qu’il appelle les « strates de paysage » ainsi que par la façon dont la lumière est rendue dans les environnements côtiers de la Colombie-Britannique. Ce ne sont pas les paysages ensoleillés qui attirent Tanabe; peut-être en réaction à son enfance, il fait remarquer qu’il est plus à l’aise dans les environnements brumeux et gris, comme dans Westcoast 6/86, Late Afternoon (Côte Ouest 6/86, fin d’après-midi), 1986.

 

Takao Tanabe, Westcoast 6/86, Late Afternoon (Côte Ouest 6/86, fin d’après-midi), 1986, acrylique sur toile, 40 x 122 cm, Museum London.

 

Réfléchissant à la manière dont cela influence son œuvre, Tanabe explique : « La côte Ouest a ses jours clairs et lumineux où tout est dévoilé, mais les vues que je préfère sont les brumes grises, les îles obscurcies par la pluie et les nuages qui masquent les détails […]. Le temps typique de la côte est ainsi, avec juste assez de détails révélés pour le rendre intéressant, mais pas assez clair pour être banal ou écrasant13 ». Pour Tanabe, la représentation idéale de la côte est une image assombrie par les détails ambiants, une image qui ne met pas tout en évidence, mais qui invite à une contemplation plus profonde.

 

Takao Tanabe, Sunset 4/86: Crossing the Gulf (Coucher de soleil 4/86 : traversée du Golfe), 1986, acrylique sur toile, 113,3 x 212,7 cm, Mira Godard Gallery, Toronto.

Ce nouveau paysage pousse Tanabe à adapter sa méthode de travail afin de pouvoir peindre davantage sur toile. Contrairement à l’exécution rapide caractéristique de ses peintures des Prairies canadiennes, les paysages de la côte Ouest sont créés lentement, sur une période de plusieurs mois, et nombre d’entre eux comportent plusieurs couches de matière14. L’artiste ne borne pas son intérêt pour les paysages de la Colombie-Britannique à une région particulière. Au contraire, il voyage beaucoup dans la province, se servant de son appareil photo pour archiver les scènes qui retiennent son attention et qui pourraient plus tard servir de base à une peinture. La documentation est un élément important de la pratique de Tanabe, mais elle est également cruciale dans la relative lenteur avec laquelle il aborde ses paysages de la côte Ouest, un processus qui lui permet d’observer en profondeur les particularités d’un lieu donné.

 

Avec ses peintures de la côte Ouest, l’objectif de Tanabe est de réaliser des œuvres qui « apparaissaient simplement », malgré tout le temps et le travail nécessaires à leur production. Le peintre explique cette démarche lui-même : « J’ai essayé de submerger mon idée artistique d’être un individu par des traces de pinceau personnalisées […]. J’essaie de la rendre aussi anonyme que possible. Je voulais que l’image apparaisse comme par magie. L’énergie de la main qui dépose la peinture sur la surface n’est pas ressentie comme une marque […]. Elle est là, elle apparaît tout simplement15 ».

 

Des œuvres telles que Strait of Georgia 1/90: Raza Pass (Détroit de Géorgie 1/90 : Raza Pass), 1990, et Rivers 2/00: Crooked River (Rivières 2/00 : rivière Crooked), 2000, mettent l’accent sur l’atmosphère plutôt que sur le sujet. Cependant, c’est peut-être Low Tide 2/94, Hesquiat Bay (Marée basse 2/94, Hesquiat Bay), 1994, qui est la démonstration la plus remarquable de son approche introspective de la peinture fondée sur le lieu. Apparemment sans « sujet », l’œuvre consiste en d’innombrables couches de peinture acrylique finement appliquées, ce qui évoque de manière discrète mais convaincante l’atmosphère limpide de l’air côtier. L’œuvre est subtilement détaillée, mais jamais laborieuse. Comme Tanabe l’envisageait, elle semble simplement exister. En plus de 40 ans, en date de 2022, il a produit 435 toiles à l’acrylique qui saisissent l’imagerie essentielle de la côte Ouest à travers sa perspective unique16. Cet ensemble d’œuvres place Tanabe parmi les peintres les plus prolifiques – et sans doute les plus marquants – de la côte Ouest.

 

Takao Tanabe, Low Tide 2/94, Hesquiat Bay (Marée basse 2/94, Hesquiat Bay), 1994, acrylique sur toile, 137,2 x 304,8 cm, collection privée.

 

 

Cadres et encadrement

Tout au long de sa carrière, Tanabe est soucieux de la manière dont ses œuvres sont présentées. Cette sensibilité se manifeste de deux manières : dans le soin avec lequel il exécute ses peintures, mais aussi dans la façon dont il les encadre. Depuis les années 1950, Tanabe fabrique les cadres de ses toiles, une activité inhabituelle pour un artiste de sa stature17.

 

Takao Tanabe, Inside Passage (Passage intérieur), 1994, acrylique sur toile, 13,5 x 20 cm, collection privée.

Au cours des années 1990, Tanabe produit un groupe d’œuvres de petite taille à l’acrylique. À cette occasion, l’artiste collabore à la réalisation des cadres avec Kevin Kanashiro de la Paul Kuhn Gallery de Calgary18. Bien que Tanabe ne les ait pas fabriqués, les cadres ont été choisis par l’artiste et adaptés en fonction de chaque œuvre. Inside Passage (Passage intérieur), 1994, met parfaitement en lumière la relation entre ces deux éléments. L’œuvre ne mesure que 13,5 x 20 cm, mais le paysage représenté est grandiose, avec des collines sombres émergeant de chaque côté de la toile, ce qui crée le passage étroit évoqué par le titre de l’œuvre. Tanabe a sélectionné un cadre en bois argenté avec une façade arrondie et a demandé à Kanashiro d’utiliser du Plexiglas pour vitrer l’œuvre. Ce cadrage minutieux attire le regard vers un point de vue situé légèrement au-dessus de l’eau, comme si la personne spectatrice se trouvait à bord d’un petit navire et regardait à travers le pare-brise. La bordure argentée rappelle et renforce le gris velouté du ciel nuageux.

 

Les cadres des peintures de Tanabe sont élégants et d’une simplicité discrète. Ils protègent l’œuvre sans amoindrir sa puissance.

 

 

Estampe

Bien que l’estampe ne soit pas au cœur de la pratique de Tanabe, il s’y intéresse tout au long de sa carrière, pratiquant les procédés de la taille-douce (eau-forte, aquatinte, pointe-sèche, photogravure et gravure), ainsi que le monotype, la linogravure, la sérigraphie, la lithographie, la gravure sur bois, en plus de nombreuses combinaisons de ces moyens d’expression. Lorsque Tanabe se lance dans le graphisme et l’estampe à Vancouver, au début des années 1950, il est immédiatement considéré comme un important nouveau talent dans ce domaine. Parmi ses premières œuvres, Trees and Sky (Arbres et ciel), 1951, est particulièrement magistrale. L’image, qui représente la vue d’une canopée, est rendue par des techniques subtiles et sensibles de taille-douce, soit l’eau-forte et l’aquatinte. Les riches variations de tons (blanc, gris et noir) évoquent le monde naturel tout en tendant vers l’abstraction.

 

Takao Tanabe, Trees and Sky (Arbres et ciel), 1951, taille-douce sur papier, 36,4 x 49 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.

 

Grâce à son imprimerie fondée en 1953, Periwinkle Press, Tanabe réalise des projets de typographie sur feuille in-plano, publie plusieurs livres de poésie de même que certaines de ses propres sérigraphies. L’artiste crée ensuite un fabuleux éventail d’estampes dans différents styles. Les sérigraphies de la fin des années 1960, telles que Wing (Aile) et Cut-Corners, C + O (Les coins ronds, C + O), toutes deux de 1968, sont à la fois techniquement habiles et incroyablement imaginatives dans la manipulation de l’espace pictural qu’elles donnent à voir. Tanabe crée ces œuvres à une époque où il expérimente l’abstraction hard-edge et géométrique en réaction à l’expressionnisme abstrait, dans lequel, comme le fait remarquer l’artiste, « on nous inculquait que l’espace devait être peu profond, qu’il fallait y entrer et en ressortir […] J’ai décidé de rendre [l’espace] aussi compliqué que possible, de le faire rebondir et de le rendre complètement déroutant19 ».

 

Son approche de l’espace dans Aile et Les coins ronds, C + O reflète ses sentiments à l’égard de l’abstraction. Aile brouille notre lecture de l’espace qui est à la fois plat et non plat. Les formes noires de part et d’autre ont une solidité qui est démentie par les lignes qui y sont insérées et les motifs vibrants de la bande centrale. Il arrive que les parties blanches soient projetées devant les noires, et tout ce mouvement se trouve freiné par les forts traits horizontaux en haut de l’image. Les gravures Les coins ronds, C + O compliquent encore ces idées spatiales en faisant de la feuille elle-même un objet dans l’espace, en raison de la découpe des coins. Les formes imprimées font écho aux bords éboutés en les contredisant parfois. Dans ces images, l’espace n’est jamais statique.

 

Takao Tanabe, Cut-Corners, C + O (Les coins ronds, C + O), 1968, sérigraphie, 45,5 x 45,5 cm, Museum London.
Takao Tanabe et Periwinkle Press (imprimeur), Wing (Aile), 1968, sérigraphie sur papier, 33,1 x 50,8 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.

 

En tant que graveur, Tanabe travaille souvent en collaboration. À Banff, il s’associe au praticien des arts d’impression, Jack Lemon (né en 1936), avec qui il produit de nombreuses lithographies. Il réalise également une série de gravures sur bois avec le maître graveur, spécialiste de l’impression sur bois sculpté, Masato Arikushi (né en 1947). Depuis qu’il s’est installé en Colombie-Britannique, Tanabe revient occasionnellement à la pratique de l’estampe et obtient des résultats remarquables. Ses collaborations avec Arikushi sont les plus signifiantes, à commencer par Gogit Passage, Queen Charlotte Islands (Gogit Passage, Haïda Gwaii), 1988. L’art de Tanabe n’est pas linéaire, ses paysages sont dépourvus d’arêtes nettes, à l’exception de la ligne d’horizon. Il est donc logique qu’il travaille avec un sculpteur et graveur comme Arikushi, qui n’utilise pas de blocs principaux linéaires.

 

Takao Tanabe et Masato Arikushi (imprimeur), Gogit Passage, Queen Charlotte Islands (Gogit Passage, Haïda Gwaii), 1988, gravure sur papier, 60 x 90 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.

 

À première vue, une gravure comme Gogit Passage est d’une simplicité trompeuse. Le ciel semble vide, mais une observation plus approfondie révèle des silhouettes de nuages vaporeux. À gauche de la composition se trouve un groupement d’îles, puis à l’horizon se dresse un autre archipel presque imperceptible. L’eau est composée d’un riche mélange de formes vibrantes, ce qui rappelle qu’Arikushi exploite le grain du bois pour rappeler les vagues. La subtilité de sa méthode d’impression graduelle est visible dans la zone des îles, dont la plupart sont colorées du clair au foncé, suggérant le passage de la lumière à travers le paysage. Notons également les îlots plus sombres qui se profilent juste à gauche du centre. La composition compte de nombreux éléments qui ne fonctionnent que s’ils collaborent. La précision de la gravure et de l’impression sur bloc constitue un hommage à l’habileté d’Arikushi à transformer l’image de Tanabe.

 

Traduire une peinture de Tanabe en gravure sur bois est ardu, pouvant nécessiter « jusqu’à sept blocs, vingt-sept impressions et peut-être trente couleurs » et implique souvent une impression graduelle, une méthode qui demande que l’artiste varie la quantité d’encre sur le bloc afin que la couleur de l’image imprimée puisse être modulée20. Les gravures sur bois qui résultent de cette collaboration sont des images imprimées particulièrement impressionnantes de la côte de la Colombie-Britannique.

 

Takao Tanabe, Early Evening, Narrow Passage (Début de soirée, passage étroit), 1991, lithographie couleur, 56,8 x 76,5 cm, Art Gallery of Greater Victoria.

 

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