La terre III 1972
La terre III est l’une des premières toiles de Tanabe représentant un paysage, en l’occurrence la campagne de Pennsylvanie. Comme ses premières œuvres sur papier, telles que Waterview (Vue sur l’eau), 1965, la composition évite les détails. Nous ne voyons pas de bâtiments, d’arbres ni de routes, mais plutôt des reliefs massifs et de larges taches de couleurs vives – vert, jaune, bleu et orange – qui délimitent la terre, mais sont atténuées par un mince lavis de peinture noire qui unifie l’ensemble. Le noir du ciel est profond et à peine modulé en haut à droite. La ligne d’horizon est nettement délimitée, mais moins que dans les premières abstractions hard-edge de Tanabe, telles que Kitselas, 1970.
Ce qui frappe également dans cette œuvre, c’est l’absence de coups de pinceau. La couleur semble se fondre dans la toile, mais il ne s’agit pas d’une peinture mouchetée, à la manière de l’artiste des États-Unis Helen Frankenthaler (1928-2011). Tanabe apprête soigneusement sa surface et dilue ses peintures, de sorte que sa touche n’est pas perceptible. Il s’agit d’une stratégie délibérée de sa part. Comme il l’explique, « l’idée est d’être aussi anonyme que possible en tant qu’artiste ». Cette approche devient la marque de fabrique de ses futures œuvres paysagistes. L’image est là, se révélant d’elle-même comme par enchantement. C’est ce sentiment de légèreté et d’éphémère que Tanabe recherche et qu’il parvient à atteindre. L’œuvre a une résonance et une puissance à la fois profondes et durables, ce qui souligne le génie du praticien.
En 1968, Tanabe et son épouse, Patricia Anne White (1925-2017), quittent Vancouver pour l’est des États-Unis, où White s’inscrit à des études supérieures au Bryn Mawr College en Pennsylvanie. Tanabe vit d’abord à Philadelphie, mais déménage rapidement à New York où il trouve un atelier. À cette époque, bien qu’il ait déjà peint des paysages en Europe dans les années 1950, il se concentre sur ses abstractions, dont beaucoup s’inscrivent dans le hard-edge. Il fait souvent la navette entre New York et Bryn Mawr pour rendre visite à White, et il s’intéresse à la topographie de la région.
Au début des années 1970, Tanabe commence à réaliser des études de paysage sur papier, comme Mirror Image (Image miroir), 1971, et Landscape Study #4 (Étude de paysage no 4), 1972, qui suggèrent toutes deux un ciel et un horizon. Comme l’observe Tanabe, « j’ai commencé à essayer délibérément d’approcher le paysage de diverses façons. La plupart des œuvres sont très colorées et abstraites, mais il est clair que c’est le paysage qui est au cœur des compositions. Ensuite, lorsque j’ai décidé d’aborder le paysage comme sujet, il y a un certain nombre d’œuvres sur papier qui sont très proches des premières peintures paysagistes que j’ai réalisées en 1972 ».
Tanabe explique pourquoi ces œuvres, malgré leur valeur artistique, sont moins connues et rarement exposées : « La raison pour laquelle je n’ai pas exposé les œuvres sur papier est peut-être que j’ai toujours voulu montrer les peintures à l’huile ou à l’acrylique sur toile que je faisais. À mes yeux, c’étaient les œuvres les plus difficiles et les plus importantes. »