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Miss Chatelaine 1973

Miss Chatelaine, 1973

Suzy Lake, Miss Chatelaine, 1973

Épreuve à la gélatine argentique sur papier baryté (imprimée en 1996), 22,3 × 22,4 cm

Metropolitan Museum of Art, New York

Miss Chatelaine est composée d’une grille de douze portraits dans lesquels Lake est représentée le visage enduit de maquillage blanc, avec, collées sur la tête, différentes coiffures découpées dans les pages des magazines féminins. Ses expressions faciales sont naturelles – elle regarde, réfléchit, allume une cigarette, tout en semblant parler avec quelqu’un hors champ – mais les cheveux élégamment coiffés, surmontant son visage anonyme, sont un commentaire satirique sur la représentation des femmes dans les médias. Progressivement, l’œuvre s’attaque au stéréotype de la féminité. Créée à la même époque que l’œuvre On Stage (Sur scène), 1972-1974, Miss Chatelaine révèle également les dessous de la création d’un soi public. Ainsi, en parodiant les pressions sociales auxquelles sont soumises les femmes, cette pièce en devient une importante de l’art féministe.

 

Suzy Lake, Imitations of Myself #2 (Imitations de moi-même no 2), 1973/2013, 24 épreuves chromogènes, dimensions de l’ensemble : 79 x 84,8 cm, Georgia Scherman Projects, Toronto.

Le titre Miss Chatelaine fait référence au populaire magazine féminin canadien Chatelaine. Sous la direction de la légendaire rédactrice en chef Doris Anderson, la revue publie courageusement des articles sur l’équité salariale pour les femmes, l’avortement et le divorce, tout en veillant à maintenir son attrait grâce à l’attention habituelle accordée aux improbables normes de la mode, de la beauté et de l’entretien ménager. Dans cette œuvre, Lake s’identifie aux normes de beauté imposées aux femmes en même temps qu’elle les renie. Comme elle l’explique, « Je savais à quoi je devais ressembler […] On me l’a dit toute ma vie. » Cependant, elle ne cherche pas à lier son travail à des questions évidentes du féminisme contemporain. Miss Chatelaine peut être considérée comme une intervention précoce dans les hypothèses sur le genre et les normes sociétales de la féminité qui sont appliquées au corps des femmes. Les images ont pour effet de dissimuler les traits du visage même que le maquillage est censé définir.

 

Dans l’œuvre de Lake, la grille, avec ses liens avec l’art conceptuel en tant que stratégie visuelle rationnelle d’organisation, révèle souvent une charge expressive axée sur le soi. Des artistes américaines telles qu’Eleanor Antin (née en 1935), une mentor pour Lake, et Hannah Wilke (1940-1993) ont elles aussi exploré cette fusion de la raison et de l’émotion. À son tour, Lake influence plus tard l’artiste américaine Cindy Sherman (née en 1954) par son utilisation de la grille comme dispositif narratif, documentation de performance et support pour les jeux de rôle.

 

Dans Imitations of Myself #1 (Imitations de moi-même no 1), 1973, Lake recourt au visage blanc pour explorer la formation et la dissimulation de l’identité. Dans cette grille séquentielle de quarante-huit images, Lake est assise à une table de cuisine chargée de produits de beauté, enduisant son visage à la fois de maquillage blanc et cosmétique, notamment de l’ombre à paupières, du crayon pour les yeux et du rouge à lèvres. Dans la première photo, son visage est masqué par une feuille de papier blanc sur laquelle est griffonné « Simulation authentique de… ». Cette image est suivie de quatre autres qui figurent Lake, sans maquillage, affublée d’un gilet beige et d’une chemise rose, plaçant ses cheveux derrière les oreilles tout en fumant une cigarette. Comme dans A One Hour [Zero] Conversation with Allan B. (Une conversation d’une heure [zéro] avec Allan B.), 1973, elle semble encore entretenir une conversation enjouée avec un protagoniste hors champ.

 

Cette attention accordée par Lake à ce qui se passe à l’extérieur du cadre de l’image peut s’expliquer de plusieurs façons : elle peut regarder la caméra, un spectateur ou son propre reflet, par exemple. Cette ambiguïté est un élément crucial de sa performance et de son interprétation de la notion de construction du soi. Alors qu’elle enduit son visage de maquillage blanc et qu’elle le rehausse ensuite avec du maquillage cosmétique, elle dirige son attention tantôt sur un miroir hors champ, tantôt sur la caméra elle-même. Le photographe capte des images à intervalles réguliers, ce qui permet de documenter visuellement la performance de Lake.

 

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