L’artiste de Kinngait (Cape Dorset) Oviloo Tunnillie (1949-2014) est l’une des rares femmes à avoir obtenu une reconnaissance nationale comme sculptrice sur pierre au Canada. S’il n’est pas inhabituel que des femmes s’adonnent à la sculpture, particulièrement dans les communautés moins centrées sur l’art graphique, c’est le travail des hommes qui obtient une large attention. En fait, mise à part Oviloo, seule Lucy Tasseor Tutsweetok (1934-2012) a jouit d’une réputation à l’international. À bien des égards, l’art d’Oviloo peut être abordé par le prisme du féminisme. L’artiste est consciente que son intérêt pour la sculpture s’écarte des rôles sociaux convenus au sein de la culture inuite, mais elle ne dévie jamais de son rôle non-traditionnel de sculptrice. Comme elle l’explique : « Il fut un temps, quand j’étais plus jeune, où j’étais timide, presque gênée de sculpter. Si une femme était sculptrice, c’était une chose très inhabituelle. Les gens voyaient ça comme du travail d’homme, mais aujourd’hui, la femme doit être davantage reconnue. Les femmes sont des ménagères et des mères, mais les femmes sont aussi des sculptrices aujourd’hui. Je veux que les femmes soient fortes, afin de tenter de mettre leurs talents à profit. »
Pour Oviloo, son rôle de mère a toujours été important et elle représente ses relations maternelles dans ses sculptures, mélangeant les deux aspects de son identité. Par exemple, en 2000, elle a sculpté un Self-Portrait with Daughter Alasua in 1972 (Autoportrait avec ma fille Alasua en 1972), se représentant elle-même avec sa fille aînée en nourrisson dans son amautik (parka). Elle tient une hache dans une main et un morceau de pierre à sculpter dans l’autre. Une photographie d’Oviloo « emballant » (ou portant) dans son amautik la fille d’Alasua, Tye, qu’Oviloo a adoptée, prise par le photographe canadien Jerry Riley en 1990, a été utilisée pour la couverture d’un numéro de l’Inuit Art Quarterly en 1992. En 2002, Oviloo réalise une sculpture la montrant elle-même avec Tye à douze ans tenant fièrement la fameuse photographie de Riley – Oviloo and Granddaughter Tye Holding Photo by Jerry Riley (Oviloo et sa petite-fille Tye tenant une photo par Jerry Riley).
Dans ses sculptures, Oviloo montre des membres féminins de sa famille ayant des dons artistiques : sa mère Sheokjuke (1928-2012), dans son autoportrait Woman Showing Drawing (Femme montrant un dessin), 2006; et la grand-mère de son mari, Ikayukta Tunnillie (1911-1980), dans Ikayukta Bringing Drawings to the Co-op (Ikayukta apportant des dessins à la coop), 2002, et Ikayukta Tunnillie Carrying her Drawings to the Co-op (Ikayukta Tunnillie portant ses dessins jusqu’à la coop), 1997. Même sa sœur Nuvalinga apparaît dans My Sister Nuvalinga Playing Accordion (Ma sœur Nuvalinga jouant de l’accordéon), 2005. Malgré certaines similitudes avec l’œuvre tardive de l’artiste graphique Napachie Pootoogook (1938-2002), ce degré de justesse dans les allusions à la famille et aux liens de parenté est chose rare dans l’art inuit.
Plusieurs des figures féminines d’Oviloo sont encore moins conventionnelles. Elles portent des robes qui ne permettent pas de les identifier à une culture précise ou bien elles sont nues. Oviloo est la première parmi les sculpteurs inuits à réaliser à répétition des nus féminins, dans des œuvres telles que Woman in High Heels (Femme à talons hauts), 1987. En 1992, Oviloo déclare : « Mon travail préféré est celui qui porte sur Taleelayu — des figures de femmes. » Ses représentations de l’esprit de la mer Taleelayu, ou Sedna, sont des femmes fortes, aux amples formes nues, avec une nageoire caudale de baleine à la place des jambes. Elles ne sont pas inspirées par un désir de raconter l’histoire d’un esprit de la mer, mais constituent plutôt des représentations expressives du corps féminin. Dans Diving Sedna (Sedna en plongée), 1994, leur chevelure mouillée s’écoule sensuellement autour de leurs seins plantureux.
D’autres sculptures d’Oviloo s’inspirent d’expériences quotidiennes du corps, telles que Nature’s Call (L’appel de la nature), 2002, représentant une femme sur une toilette, les pantalons autour des mollets. Masturbating Woman (Femme se masturbant), 1975, exprime une franchise à l’égard de la sexualité que l’on voit rarement dans le travail des artistes inuits. Thomassie Kudluk (1910-1989), un sculpteur de Kangirsuk au Nunavik, s’est fait connaître pour ses sculptures comiquement érotiques dans les années 1970, mais les dessins réalisés par des femmes inuites ont plus souvent été le moyen de traiter de sujets intimes.
Au cours des dernières années, Shuvinai Ashoona (née en 1961) s’est fait connaître internationalement pour son imagerie bien à elle — surréelle, parfois érotique — campée sur de grandes feuilles de papier. À partir des années 1990, Napachie Pootoogook explore des thèmes rarement vus dans l’art inuit : la sexualité, la violence au foyer et les rapports entre les sexes. Annie Pootoogook (1969-2016) développe également un langage plus personnel au dessin sur papier et trace un portrait sans fard de la vie quotidienne à Cape Dorset. Oviloo et Annie sont apparues comme des modèles à suivre pour les jeunes artistes, tels que Jamasie Pitseolak (né en 1968), dans l’interprétation de thèmes personnels touchant les sévices sexuels et la technologie moderne.
Cet essai est tiré de l’ouvrage Oviloo Tunnillie : sa vie et son œuvre écrit par Darlene Coward Wight.