Au terme de presque deux ans de démarches, le lieutenant Molly Lamb (1920-2014) devient en juin 1945 la première et seule femme désignée par le gouvernement fédéral au nombre des trente-deux artistes de guerre officiels du Canada. Ses pairs, tous membres des Forces armées canadiennes, comptent notamment Aba Bayefsky (1923-2001), Lawren P. Harris (1910-1994), Charles Comfort (1900-1994), Will Ogilvie (1901-1989), Alex Colville (1920-2013) et Bruno Bobak (1923-2012), qu’elle épousera plus tard la même année.
En raison de son sexe, Lamb ne sera affectée au service outre-mer qu’à la fin de la guerre, une fois les hostilités terminées en Europe. Le colonel A. F. Duguid, directeur de la Section historique de l’Armée canadienne qu’il représente au sein du Comité de sélection des artistes de guerre canadiens, déclare en juin 1943 que « du point de vue de l’armée, la nomination [des femmes] n’est pas souhaitable étant donné que les artistes se trouvent sur les lieux de combat ». La Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada) ne partage pas cet avis et commande à Alma Duncan (1917-2004), Pegi Nicol MacLeod (1904-1949) et Paraskeva Clark (1898-1986) des œuvres qui rendront compte de l’effort de guerre mené au Canada et qui mettront en lumière la contribution et le point de vue des femmes. À l’automne 1944, le Comité de sélection des artistes de guerre canadiens propose d’envoyer Lamb à l’étranger en qualité de peintre de guerre. Six mois plus tard, la situation est maîtrisée en Europe et Lamb reçoit enfin l’autorisation de partir.
Lorsqu’elle se fera demander, des années plus tard, si le choix de dépeindre « l’élément humain de l’effort de guerre, à l’écart du front de bataille » était le sien, elle expliquera :
« Ils n’ont pas passé de lois, mais les femmes ne se trouvaient jamais près des zones de combat […] Les femmes étaient surtout derrière les lignes en Europe, et la guerre était terminée de toute façon, alors […] si je visitais Amsterdam […] il me suffisait d’ajouter quelques petites CWAC [membres du Service féminin de l’Armée canadienne] dans la rue et de peindre la ville, et c’était valable. Les CWAC étaient là […] Je pense que le gouvernement aurait voulu que je représente les activités des femmes, et je l’ai fait — dans les buanderies, comme chauffeurs et dans l’orchestre de cornemuses, mais j’y ai aussi ajouté beaucoup de mes propres idées. »
Lamb est sans doute consciente des préjugés sexistes qui ont cours aussi bien dans l’armée que dans le monde de l’art canadien en général, mais elle traite de ces questions sur le ton de la parodie et de la plaisanterie. Aux affiches de recrutement qui confèrent aux femmes militaires un charme sophistiqué idéalisé, dans l’espoir d’apaiser les craintes entourant la « déféminisation » des femmes dans l’armée, Lamb répond par la caricature et tourne ces images en dérision. Dans une entrée de son journal, elle crée un supplément spécial en couleur intitulé « Pour ces dames, W110278 présente la mode automnale de 1943 », sur le modèle des publicités féminines publiées dans les journaux de l’époque.
En s’appliquant à dépeindre les activités du CWAC outre-mer, souvent sous un jour humoristique et positif, Lamb offre un regard privilégié sur la vie des militaires canadiennes pendant la guerre. Ainsi, son tableau CWAC faisant le tri du courrier, s.d., témoigne des activités dont s’acquittent les femmes loin des lignes de combat pour soutenir l’effort de guerre. Salmon in the Galley (Saumon dans la coquerie), 1944, et d’autres œuvres commandées à Nicol MacLeod, répondent à la même finalité : comme celle-ci l’explique, « pour que cette histoire soit convenablement représentée, il faudrait que toutes les femmes peintres du Canada couvrent toutes les activités de toutes les divisions féminines ».
Cet essai est extrait de Molly Lamb Bobak : sa vie et son œuvre par Michelle Gewurtz.