Sculpteure travaillant à Cape Dorset, l’artiste inuite Oviloo Tunnillie (1949-2014) a créé une œuvre profondément personnelle dans laquelle les postures des figures évoquent des sentiments subtils. L’artiste est remarquable car peu de ses paires ont traité des sujets tels que des états émotionnels intérieurs et la souffrance morale. Les autres artistes inuits de son temps, par exemple Osuitok Ipeelee (1923-2005) et Kiugak Ashoona (1933-2014), ont plutôt favorisé d’une manière évidente les représentations d’animaux arctiques, de scènes domestiques et de chasse, de l’esprit de la mer Taleelayu, des transformations chamaniques et des épisodes de légendes et d’histoires bien connues.
Les personnages humains sont impersonnellement habillés de vêtements de fourrure culturellement explicites et sont occupés à des activités liées à la vie précoloniale. Les représentations de figures individuelles sont rares et dénuées d’implication émotionnelle dans l’activité suggérée. Les femmes sont habituellement montrées dans leur rôle de mères avec un ou des enfant(s). L’expression de profonde émotion transmise par l’œuvre d’Oviloo, notamment dans des sculptures telles que Repentance (Repentir), 2001, transcende le registre culturel ou traditionnel tout en reflétant avec authenticité les propres expériences de l’artiste.
L’épisode tragique de la mort de son père bien-aimé, Toonoo, doit avoir contribué aux nombreux autoportraits d’Oviloo en femme endeuillée. En 1969, Toonoo est tué par balles par Mikkigak Kingwatsiak, le mari de la fille de Toonoo, Nuvalinga, dans ce qui passe alors pour un accident de chasse. Ce choc a refait surface vingt-cinq ans plus tard quand Mikkigak confesse le meurtre de Toonoo. Le chagrin causé par la mort de son père a fourni le sujet d’Oviloo et Toonoo, 2004, dans laquelle le souvenir de son père apparaît sous la forme d’un petit personnage qui semble en train d’essayer d’atteindre sa fille en pleurs à partir d’un point éloigné.
Dans son œuvre, Oviloo a aussi traité du suicide de sa fille de treize ans, Komajuk, en 1997. À partir de cette date, la détresse psychique est exprimée dans bon nombre de sculptures d’Oviloo, à commencer par Femme en deuil, 1997, une œuvre tranquille qui exprime un profond chagrin par le biais du langage corporel du personnage féminin qui s’avance lentement, la tête inclinée, une main pressée sur le front. Aucune expression faciale n’est nécessaire pour lire l’angoisse du personnage. En 2000, elle a réalisé une Crying Woman (Femme en pleurs) nue et vulnérable, le visage enfoncé dans ses bras entourant ses genoux repliés contre elle. Dans l’une et l’autre œuvre, les visages cachés coupent émotionnellement les personnages du monde extérieur et génèrent des images concentrées d’isolement et de tristesse.
L’expression peu orthodoxe d’états d’esprit intérieurs est une caractéristique tout aussi déterminante de l’art graphique et de la sculpture du frère d’Oviloo, Jutai Toonoo (1959-2015), qui pourrait bien avoir été influencée par sa sœur. Les deux artistes se distinguent en créant des formes humaines et des personnages hors de tout contexte narratif. Les images non-narratives de têtes et de figures humaines que crée Jutai, telles que Paranoïaque, 2012, sont profondément personnelles et dépeignent souvent un sommeil troublé ou des états oniriques. Un trouble bipolaire a influencé son indépendance farouche à l’égard des sujets conventionnels. Tant Jutai qu’Oviloo ont créé leur imagerie singulière dans une communauté dont les racines profondes plongent dans des formes d’art culturellement spécifiques et narratives.
Cet essai est extrait de Oviloo Tunnillie : sa vie et son œuvre par Darlene Coward Wight.