La décision de l’artiste huron-wendat du 19e Zacharie Vincent (1815-1886) d’entreprendre une carrière artistique, ponctuée d’œuvres comme Zacharie Vincent et son fils Cyprien, v.1851, serait motivée par une série de circonstances, notamment la création, en 1838, de son portrait par Antoine Plamondon (1804-1895), un portraitiste important au Québec, connu pour ses représentations de la bourgeoisie émergente dans la province. Membre actif de sa communauté, dont il deviendra bientôt le chef, Vincent ne joue pas seulement le rôle de représentant de son peuple dans la peinture de Plamondon, mais aussi celui de figure symbolique de la société coloniale du 19e. Le titre du tableau, Portrait de Zacharie Vincent, Le Dernier des Hurons, fait référence aux prédictions du déclin imminent des Hurons qui étaient courantes à l’époque.
Au moment où Plamondon crée le portrait de Vincent, les Hurons vivent en effet une instabilité politique importante. Suite à l’échec d’une série de démarches entreprises depuis le dix-huitième siècle pour défendre son territoire, la communauté se tourne vers d’autres stratégies de survivance, notamment la sauvegarde de l’identité ethnique et la régénérescence sociale et culturelle. En tant que chef et « dernier Huron », Zacharie Vincent y participe alors, de façon à la fois symbolique et active, à travers son statut exemplaire et ses productions artistiques.
Vincent s’approprie la technique picturale et le langage illusionniste afin de récupérer le contrôle de son image et de répliquer à l’imagerie autochtone diffusée à l’époque par Plamondon, autant que par d’autres artistes dont Joseph Légaré (1795-1855), Cornelius Krieghoff (1815-1872), Henry D. Thielcke (v.1788-1874) et Théophile Hamel (1817-1870).
La production de Vincent serait évaluée à plusieurs centaines d’œuvres, incluant des huiles sur toiles et des dessins. Elle vise à remplacer les images figées, exotiques, passéistes et nostalgiques du sujet autochtone, par celles d’une identité complexe, qui englobe les transformations engendrées par les échanges et les alliances contractées depuis le dix-septième siècle, et par les pressions d’acculturation. Ce démantèlement iconographique permet de répondre au discours alarmiste de disparition du sujet autochtone, et de traduire la réalité sociale et politique de sa communauté. En s’appropriant le médium pictural et en assurant une large diffusion de ses œuvres, Vincent instaure également un dialogue significatif avec la population coloniale.
De son vivant, Vincent diffuse ses œuvres auprès des touristes, des militaires de la garnison de Québec et des visiteurs de marque comme lord Durham, lord Elgin, lord Monck et la princesse Louise. Certains commerces de Québec, spécialisés dans les produits exotiques, les cartes postales et les photographies, constitueraient également des points de diffusion. Vincent demeure aussi l’un des rares artistes à avoir vendu ses autoportraits de son vivant, un exploit qui s’explique par l’engouement du public pour les sujets exotiques, et par l’aura que dégage son image de chef, de « dernier Huron », voire d’« artiste huron », une catégorie alors inusitée.
À l’époque, les autoportraits de Vincent traduisent un acte réflexif sur sa condition et celle de sa communauté, sur les tensions qui le traversent, et sur son processus de transformation. Ils permettent d’exprimer les contours de sa culture et de son existence, et d’instaurer un dialogue, un face à face avec le spectateur. Vincent inclut ce dernier dans l’œuvre, en lui imposant son regard, une réflexion sur son statut et son activité créatrice.
Vincent prend toutefois soin d’adapter sans cesse la teneur des discours qu’il souhaite véhiculer, afin de rejoindre plus efficacement ceux à qui il destine son image. À cet égard, le contenu des œuvres se répartit en trois catégories : des éléments de culture décodables uniquement par les membres de la communauté huronne; des éléments adressés à un public élargi, dont les références typées et stéréotypées sont plus clairement communicables; et des éléments relatifs à l’expérience personnelle de l’artiste. En fait, Vincent attire les touristes et les visiteurs avec des codes culturels déjà connus, afin de critiquer de manière détournée la complaisance de leur regard et les dynamiques du pouvoir colonial.
Cet essai est extrait de Zacharie Vincent : sa vie et son œuvre par Louise Vigneault.