En 1985, l’artiste, conservateur et éducateur Robert Houle (né en 1943) découvre une installation de l’artiste allemand Lothar Baumgarten (né en 1944) au Musée des beaux-arts de l’Ontario, à Toronto. Cette rencontre porte la question de l’appropriation culturelle à l’attention du public. À l’invitation du musée, Baumgarten réalise une œuvre spécifique pour Walker Court, dans le cadre de l’exposition The European Iceberg : Creativity in Germany and Italy Today (L’iceberg européen : la créativité en Allemagne et en Italie aujourd’hui), intitulée Monument for the Native People of Ontario (Monument pour les Premières Nations de l’Ontario), 1984-1985, et destinée à rendre hommage à huit nations de la province, dont les noms sont imprimés en gros caractères romains sur les murs entourant la cour au centre du musée.
Houle est ébranlé par le manque de recherche pour documenter les noms. Certains sont mal orthographiés, et les groupes linguistiques, les régions, les tribus et les bandes sont mélangés sans distinction. L’appropriation par Baumgarten du droit de documenter les noms est également troublante. À propos de l’installation, Houle écrit : « C’est une belle œuvre, conçue comme un hommage, mais le drame humain qu’elle présente n’est malheureusement qu’un programme d’anthropologie romantique du vingtième siècle… une transgression de l’intégrité spirituelle de ceux dont il a écrit les noms qui commande de signaler que leur tradition orale a été violée ».
Lorsque Houle répond à l’installation de Baumgarten avec Anishnabe Walker Court, 1993, il se réapproprie les noms tribaux de l’artiste allemand, en les mettant entre guillemets et en les inscrivant en minuscules sur le mur extérieur entourant Walker Court. On y trouve également de la documentation photographique sur les changements apportés à Walker Court au fil des ans, des commentaires sur l’histoire du changement et de la mémoire et sur la façon dont les musées, en tant qu’institutions coloniales, sont sujets à une mauvaise commémoration, comme dans le cas de l’installation de Baumgarten qui affiche incorrectement des images du passé et des icônes de la culture autochtone de l’Ontario.
Pendant tout sa carrière, Houle a provoqué le changement dans les musées et les galeries d’art publiques, amorçant des discussions critiques sur l’histoire et la représentation des peuples autochtones. Son œuvre a approfondi la compréhension de l’appropriation culturelle par les musées et les galeries d’art, ainsi que par un large éventail d’institutions et de disciplines (par exemple, la publicité) qui continuent de perpétuer de fausses notions sur les cultures occidentales et autochtones. L’appropriation culturelle se réfère à une dynamique de pouvoir dans laquelle les membres d’une culture dominante prennent des éléments de la culture d’un peuple qui a été systématiquement opprimé. Pour Houle, l’appropriation culturelle concerne le fait que la culture occidentale efface et ignore les voix autochtones en déformant leurs cultures.
Houle choisit fréquemment des mots qu’il repère dans des documents d’archives, des instruments de guerre ou des biens de consommation pour souligner comment l’imagerie des cultures autochtones est exploitée à des fins commerciales ou militaires. Au milieu des années 1990, Houle a commencé à faire des recherches sur la marchandisation des noms de chefs et de tribus célèbres. Ainsi, Ces Apaches ne sont pas des hélicoptères, 1999, examine l’appropriation des noms autochtones en tant que marchandises et emblèmes de guerre. Cette œuvre in situ, installée en quatre fenêtres en demi-lune à la gare ferroviaire VIA Rail de Winnipeg, représente un retour à la maison imaginaire du chef Geronimo (1829-1909) et de ses guerriers apaches. Geronimo est célèbre pour avoir résisté à la colonisation et pris position contre le gouvernement américain pendant près de vingt-cinq ans. Houle a stratégiquement placé une photographie d’archives agrandie de Geronimo sur la fenêtre sud de la station, représentant ainsi la direction traditionnelle de l’arrivée des Apaches. La dernière image, sur la fenêtre, est celle de l’hélicoptère McDonnell Douglas Apache.
Parallèlement à toute une histoire de projections culturelles incorrectes dans les peintures, les photographies et les récits écrits des Européens en Amérique du Nord, il y a un manque de représentation des Premières Nations dans la culture contemporaine. Houle écrit : « L’exclusion de la représentation occidentale est profondément enracinée et même protégée par une structure qui autorise et légitime certaines représentations tout en en bloquant, interdisant ou invalidant d’autres ».
Cet essai est extrait de Robert Houle : sa vie et son œuvre par Shirley Madill.