Durant ses onze années comme missionnaire en Nouvelle-France, de 1664 à 1675, Louis Nicolas (1634-après 1700) a beaucoup voyagé. Il donne l’impression de s’être moins intéressé à la conversion des âmes qu’à faire l’histoire naturelle de ce vaste pays, en observant les premiers habitants des lieux, ses plantes, ses animaux, ses oiseaux, ses insectes et ses poissons et en les documentant, tant par les mots que les images, dans un ouvrage unique.
Le Codex canadensis, ce manuscrit illustré crée par Nicolas, constitue l’un des plus importants documents de la fin du 17e siècle en Amérique du Nord – à la fois comme œuvre d’art et œuvre scientifique. Les soixante-dix-neuf pages du Codex sont illustrées de 180 dessins à l’encre, quelques-uns rehaussés de couleur (aquarelle ou tempera?).
Le Codex est sans équivalent à son époque en Nouvelle-France, une œuvre d’art d’une rare qualité décrivant plantes et animaux. Nicolas donne plus de détails que les premiers découvreurs comme Jacques Cartier, Samuel de Champlain, ou le gouverneur Pierre Boucher, auteur d’une Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du pays de la Nouvelle-France vulgairement dite le Canada, 1664. Peu de représentations picturales de la Nouvelle-France du 17e siècle subsistent aujourd’hui, ce qui rend le Codex canadensis si précieux.
Nicolas a vécu avant le grand botaniste et zoologue suédois Carl von Linné (1707-1778), qui est à l’origine de la classification moderne des espèces. Le missionnaire a donc organisé ses illustrations selon l’ordre hiérarchique qu’il avait appris auprès des jésuites : d’abord les humains, au sommet; puis les plantes, les mammifères, les oiseaux et les poissons; et finalement quelques images recensant les premiers découvreurs de l’Amérique du Nord et quelques animaux domestiques qu’ils avaient apportés avec eux. Nicolas affirmait avoir vu toutes les espèces qu’il avait dessinées, y compris la licorne de la page 27 du Codex!
L’approche de Nicolas est cohérente avec la perception religieuse et anthropocentriste de la nature qui prévalait en son temps, selon laquelle Dieu a tout fait au bénéfice de l’homme. Par exemple, le castoreum, une sécrétion produite par les glandes du castor et qui lui sert à marquer son territoire, était prisé par Nicolas et ses contemporains comme un remède extraordinaire. La légende de sa représentation du « grand serpent à sonnettes » donne des précisions sur la manière de traiter ses morsures, et, à propos de l’anguille figurée sur la même page, Nicolas déclare que l'on en produit « plus de cinquante mille bariques (sic) dans trois mois tous les ans ». Nicolas est sensible aux propriétés pharmaceutiques de certaines plantes et met en valeur soit leurs racines, leurs fleurs ou leurs fruits selon leur utilité. Par exemple, ce sont les racines comestibles de la Sagittaire à larges feuilles (ounonnata), prisées des Autochtones, qu’il met en valeur dans son dessin.
Les dessins d’animaux de Louis Nicolas sont souvent étonnants de réalisme et d’originalité, comme ses représentations de l’orignal. Il le représente dans différentes poses et sous différents angles : debout, en train de manger, au repos. En général les artistes de la période travaillaient à partir d’animaux morts, les représentant le corps raide et la langue pendante, comme le castor dessiné par le scientifique naturel suisse prolifique Conrad Gessner (1516-1565), dont Louis Nicolas s’est inspiré.
Parmi les images les plus exactes et attachantes du Codex sont les représentations d’oiseaux. Nicolas a dessiné la plupart d’entre eux à l’encre, utilisant les hachures et les traits droits ou chevronnés pour dépeindre le plumage, les têtes huppées, les pattes agriffées, et certains ont été hautement colorés. On admire en particulier la page des hiboux. Il faut dire aussi que ces représentations sont remarquablement exactes. Je me souviens qu’à une réunion de la Société des ornithologistes du Canada en octobre 2003, à Saskatoon, les membres auxquels on avait montré des reproductions de quelques pages consacrées aux oiseaux dans le Codex, étaient parfaitement capables de les identifier, sans lire les légendes.
Cet essai est extrait de Louis Nicolas : sa vie et son œuvre par François-Marc Gagnon.