Les animaux jouent un rôle clé dans l’œuvre de Alex Colville (1920-2013) et servent souvent de contrepoids aux figures humaines. L’animal est l’Autre, présent, vraisemblablement omniprésent dans l’imagerie de Colville, mais essentiellement inconnaissable. Comme sa fille, Ann Kitz, l’explique au conservateur Andrew Hunter : « Il n’était pas gaga avec les animaux, mais il croyait qu’ils étaient fondamentalement bons, et il ne pensait pas que les gens étaient intrinsèquement bons. » Colville utilise les animaux pour constituer une paire dans une composition — comme Dog and Groom (Chien et toiletteur), 1991, par exemple — reflétant le concept binaire au cœur de son œuvre : humain/animal ou, plus exactement, culture/nature. Pour Colville, les humains pensent, les animaux agissent, et leur juxtaposition permet d’exprimer quelque chose d’important sur le monde. Comme le fait remarquer Hunter, « le lien de Colville avec les animaux (en particulier les chiens de la famille qui apparaissent dans nombre de ses tableaux) était sincère et ressort invariablement de ses œuvres. Il semblait à la fois penser à eux et avec eux, à travailler à la compréhension du monde de concert avec eux. »
Pour Colville, influencé par l’existentialisme et sa quête incessante de compréhension de la nature humaine, les animaux fournissent la trame de son engagement philosophique. Comme il le déclare au début de sa carrière : « La grande tâche dont les artistes nord-américains doivent s’acquitter en est une d’accomplissement de soi, mais un accomplissement beaucoup plus large et plus profond qu’un simple accomplissement personnel ou subjectif. Le travail consiste donc à répondre à des questions telles que “Qui sommes-nous? Comment sommes-nous? Que faisons-nous?”. » Colville pose ces questions à l’aide de symboles. « Je suis d’avis que les mythes primitifs peuvent être utiles au peintre moderne… Je pense à l’utilisation de matériel si ancien, si souvent utilisé à travers les âges, qu’il est devenu une partie intégrante de la conscience humaine. »
L’attention que Colville accorde aux animaux peut être liée au fait qu’il était à la fois un penseur et un créateur, et son approche minutieuse et rigoureuse de la création d’images est un héritage remarquable. Le vif intérêt que Colville porte à la nature de l’être l’amène à examiner les éléments quotidiens de l’existence. Son sujet est, presque exclusivement, la vie de tous les jours, que ce soit à Sackville, ou à Wolfville, ou lorsqu’il séjourne à Santa Cruz ou Berlin. Pour Colville, tout est matière à réflexion profonde et les objets ou les situations familières sont particulièrement inspirants. À ce sujet, l’historien de l’art Martin Kemp note : « [Colville] est un peintre local dans le sens où [John] Constable était local, créant de l’art qui se nourrit de scènes intimement familières permettant de mettre au jour une vérité plus large. »
Dans ses représentations, Colville oppose des concepts binaires simples pour créer des images complexes qui résistent aux conclusions faciles. L’être humain et l’animal, l’homme et la femme, l’homme et la machine, l’environnement naturel et l’environnement construit, tous ces éléments sont mis en opposition dans ses « fictions ». Il prend une idée comme point de départ et utilise des objets familiers pour l’exprimer. Comme il l’explique lui-même : « Mes peintures naissent de dessins imaginaires puis, à un certain moment au cours du processus, je dessine en m’inspirant de la vie, de la réalité. C’est intéressant de voir comment la conception originale de mes tableaux ou de mes gravures émerge toujours de mon cerveau et n’est pas le résultat de quelque chose que j’ai directement observé. Il s’agit d’une sorte d’assemblage hétéroclite de mon expérience et de mon observation. »
Cet essai est extrait de Alex Colville : sa vie et son œuvre par Ray Cronin.