Aucun peintre canadien ne donne une vue aussi divisée et définitivement controversée de son pays que William Kurelek (1927-1977). Il dépeint le Canada comme une mosaïque de cultures diverses, mais harmonieuses, qui s’épanouit malgré les inégalités historiques, l’environnement hostile et une géographie vaste et intransigeante. Kurelek représente aussi des scènes de désastres apocalyptiques et éprouvantes – des œuvres qui suscitent la colère des critiques.
Il est facile de comprendre pourquoi une certaine facette de l’œuvre de Kurelek a été, et demeure, populaire. Son imagerie, que ce soit d’immigrants ukrainiens travaillant dans la prairie ou de la vie familiale des Juifs à Montréal, comme dans l’illustration Yom Kippour, 1975, confirme une conception progressiste de la société canadienne qui est fortement évocatrice entre la fin des années 1960 et le début des années 1970.
Tout au long de sa carrière, Kurelek n’est jamais simplement le « Canadien heureux », naïf et nostalgique qui écrit et illustre des livres primés pour enfants. Il est aussi un catholique conservateur vivant sous la menace imminente de la guerre nucléaire pendant les années 1960 et qui croit qu’une « catastrophe purgative » créée par l’humain, mais voulue par Dieu, est proche. Et pourtant, alors qu’il « a damné avec une ferveur terrifiante […] et souvent avec des images macabres et troublantes » son « côté nostalgique […] et ses œuvres qu’il considérait “médiocres” », telles que ses illustrations pour A Prairie Boy’s Winter (L’hiver d’un garçon des Prairies) (1973) et A Prairie Boy’s Summer (L’été d’un garçon des Prairies) (1975), comme le note la critique d’art Nancy Tousley, celles-ci ont néanmoins assuré sa popularité dans l’imaginaire public.
Comme le croit le représentant de Kurelek, Avrom Isaacs, sa décision de « placer Dieu au premier plan » en rend plusieurs, au sein de la communauté artistique séculaire, complètement apoplectiques. Certains affirment que le didactisme moral de Kurelek s’ingère dans l’intégrité artistique de son œuvre. D’autres soutiennent que ses opinions sont frauduleuses. « Là où Kurelek échoue misérablement », écrit la journaliste Elizabeth Kilbourn en 1963, « est quand il essaie de peindre des sujets qu’il ne connaît qu’à travers le dogme et non par expérience personnelle, alors qu’en fait il est un touriste théologique au Pays de Cocagne ». Les réflexions de Kilbourn trouvent écho chez le critique Malcolmson qui, deux ans plus tard, écrit ce qui deviendra la réprimande la plus notoire du peintre : « le problème avec ces tableaux, c’est qu’ils découlent des élucubrations de Kurelek et non de ce qu’il connaît ». Malcolmson exhorte Kurelek à se concentrer sur des tableaux agraires qui reflètent son éducation familiale.
La réponse de Kurelek à ses critiques est typiquement indirecte. D’après son épouse, Jean Andrews : « Il était sensible à la critique, mais ne voulait jamais confronter ses détracteurs en personne » et « publiait plutôt une réfutation ou leur écrivait une lettre ». Ainsi, il écrit à Malcolmson pour lui expliquer la source de ses convictions : « Notre civilisation est en crise, et ce serait malhonnête de ma part si je n’exprimais pas mon inquiétude pour mon semblable ». Puis il ajoute
Jérôme Bosch, un maître reconnu de la représentation de l’Enfer, a-t-il lui-même été en Enfer puis en est revenu avant de le représenter? Personne n’est revenu d’entre les morts pour en relater l’expérience, et pourtant, de grands écrivains classiques tels que Milton et Dante ont néanmoins entrepris de tels récits. Il est évident qu’ils doivent puiser leur conception de ces choses en partie d’expériences terrestres similaires, et en partie d’intuition personnelle ou mystique.
En fin de compte, Kurelek considère que son art existe à l’extérieur du monde de l’art contemporain. C’est sans réserve qu’il associe ses tableaux « à message » didactiques, comme L’heure du souper dans les Prairies, 1963, avec l’art religieux et la peinture de genre de la Renaissance nordique. Si l’œuvre de Kurelek est un produit de sa vision chrétienne du monde, sa « qualité menaçante, sombre » cadre tout naturellement avec l’angoisse sociale et l’existentialisme que l’on retrouve dans l’art de l’ère de la Guerre froide.
Malgré ses détracteurs, Kurelek est extrêmement respecté de ses pairs séculiers, dont Dennis Burton (1933-2013) et Ivan Eyre (né en 1935). Il bénéficie également d’une réception critique favorable de la part des médias et des professionnels du monde muséal en 1962, quand Alfred H. Barr Jr., le directeur mondialement respecté du Museum of Modern Art à New York, acquiert un de ses tableaux pour la collection de son institution. Sans compter la presse grand public qui le galvanise d’éloges à la suite de sa première exposition à la Galerie Isaacs à Toronto, en 1960.
Cet essai est extrait de William Kurelek : sa vie et son œuvre par Andrew Kear.