Aujourd’hui, Kathleen Munn (1887-1974) est renommée pour ses expérimentations avec l’abstraction au début des années 1920—à l’avant-garde de la majorité des artistes canadiens. Pourtant, pendant sa vie elle était très peu connue. Fidèle moderniste, Munn est une lectrice avide qui s’intéresse à divers sujets, dont l’histoire et la théorie de l’art et du design, la poésie et la philosophie. Elle complète ses recherches intellectuelles par des voyages en Europe durant les années 1920 et 1930, et par de nombreuses visites au Metropolitan Museum of Art de New York. Ces activités jouent un rôle essentiel dans son épanouissement comme artiste.
Elle choisira tôt ses sujets de prédilection : paysages, études de figures, thèmes bibliques et natures mortes. Ses recherches artistiques inspirées du modernisme new-yorkais (des tableaux qui incluent Sans titre (Vaches à flanc de coteau), v.1916, et Sans titre I, v.1926-1928, la première œuvre purement abstraite créée au Canada) se distinguent de celles de ses contemporains, la plupart des artistes du Groupe des Sept, qui sont engagés dans un mouvement artistique national. Cette importante distinction explique pourquoi Munn n’a pas joué un plus grand rôle dans l’histoire de l’art canadien. Bien qu’elle soit reconnue comme l’une des femmes artistes les plus « avancées » au Canada dans les années 1920 et 1930, elle reste en marge de la scène artistique canadienne. Quand elle cesse de faire de l’art, son œuvre tombe presque dans l’oubli.
De son vivant, Munn ne vend ou ne donne que quelques œuvres. Sa seule vente à un musée d’art a lieu en 1945, quand l’Art Gallery of Toronto (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de l’Ontario) fait l’achat de deux dessins de sa série de la Passion. Aucune autre œuvre n’entre dans une collection publique avant 1971, quand l’Art Gallery of Hamilton accepte le don de sa peinture Mère et enfant, v.1930. Puisque peu de particuliers ont collectionné ses œuvres, sa famille hérite d’un répertoire exhaustif de sa production artistique. Sa succession comprend aussi sa vaste bibliothèque, ainsi que de riches archives, qui se trouvent aujourd’hui au Musée des beaux-arts de l’Ontario.
Vers 1940, Munn délaisse peu à peu sa pratique artistique pour un ensemble de raisons. Pour la première fois, des obligations familiales l’éloignent de son atelier. En outre, passée la cinquantaine, elle souffre de cataractes et, pire encore, la critique n’accorde pas vraiment d’attention à son travail. Malgré sa participation à deux expositions du Groupe des Sept en 1928 et 1930, la prédominance du groupe la décourage.
En 1974, Charles Hill et Rosemary Tovell, deux conservateurs du Musée des beaux-arts du Canada, lui rendent visite à Toronto à l’occasion de leurs recherches pour l’exposition Peinture canadienne des années trente. Par la suite, le musée fait l’acquisition de l’une des œuvres finales de sa série de la Passion. Après des décennies dans l’ombre, Munn confie au papier son espoir d’« un avenir possible pour mon œuvre. » Elle n’en verra pas la réalisation. En octobre de cette même année, avant la conclusion de la vente, elle meurt et ne saura jamais que ses réalisations artistiques vont bientôt mériter la reconnaissance.
Au milieu des années 1980, des spécialistes et des conservateurs, dirigés par la professeure Joyce Zemans de l’Université York, entreprennent l’important processus du rétablissement de son œuvre. L’exposition Kathleen Munn, Edna Taçon. Nouveau Regard sur le modernisme au Canada braque de nouveau la lumière sur Kathleen Munn et affirme sa contribution à l’histoire de l’art moderne au Canada. En raison de cette exposition itinérante et de son catalogue en complément, ses œuvres sont bientôt recherchées par d’importantes collections privées et publiques dans tout le Canada. Depuis, plusieurs expositions itinérantes et leurs catalogues ont établi son rôle important.
Cet essai est extrait de Kathleen Munn : sa vie est son œuvre de Georgiana Uhlyarik.