Un émigrant polonais qui a survécu la Shoah, Gershon Iskowitz (1919-1988) arrive à Toronto en 1948 et se taille une place dans l’art canadien au milieu des années 1950 lorsqu’il délaisse les sujets de mémoire pour se concentrer sur le paysage, d’abord dans la région de Parry Sound au nord de Toronto. Bien qu’une comparaison stylistique puisse être faite entre ses œuvres et celles du Groupe des Sept – par exemple Printemps, Cranberry Lake, 1932, de Franklin Carmichael (1890-1945) à rapprocher des paysages de Parry Sound d’Iskowitz de 1955 environ – l’œuvre de ce dernier n’est pas un « projet de la terre ». C’est plutôt un moyen de se sortir de ses souvenirs de la Pologne et des camps de concentration, de rompre avec le passé et de commencer une nouvelle vie d’artiste au Canada.
Vers 1960, Iskowitz cesse de peindre des paysages réels et fait un virage important vers l’abstraction – comme dans Late Summer Evening (Soir de fin d’été), 1962, et Reflets printaniers, 1963. Tout en conservant quelques éléments figuratifs dans ces peintures aux couleurs magnifiques, il dissout le ciel en rubans lumineux et déconstruit des formes d’arbres aux couleurs vives qui semblent exploser hors de leur tronc (Spring (Printemps), 1962). Iskowitz suit cette trajectoire artistique pour le reste de sa vie. Il n’a jamais expliqué la raison de ce changement, mais peut-être a-t-il décidé, grâce à la liberté et l’indépendance dont il jouissait désormais, de suivre son propre langage visuel et de découvrir où il mène.
À la fin des années 1960, les œuvres abstraites d’Iskowitz s’agrandissent, tandis que les éléments y sont réduits – comme dans Autumn Landscape #2 (Paysage d’automne #2), 1967 –, et elles cadrent avec l’art progressif créé à cette époque. Les œuvres des membres de Painters Eleven, Jack Bush (1909-1977) et Harold Town (1924-1990), par exemple, reflètent les tendances dominantes de la peinture aux États-Unis et en Europe ainsi qu’au Canada.
En 1966, Harry Malcolmson a été le premier critique d’art à positionner Iskowitz sur la scène artistique de Toronto. Dans le texte qu’il a écrit pour l’exposition solo d’Iskowitz à la Galerie Moos, il s’interroge sur la manière dont le style abstrait d’Iskowitz s’intègre à la scène contemporaine, décrivant comment, « le caractère canadien d’Iskowitz se manifeste directement dans ses sujets des paysages de ce pays. . . . Sa vision personnelle et sa chaleur d’abord étrangères sont passées dans la communauté et, après un certain temps, sont devenues des parties intégrantes de celle-ci. »
Dans son compte rendu de l’exposition de 1966, la critique Kay Kritzwiser décrit l’œuvre récente d’Iskowitz comme une « abstraction lyrique » qu’il applique désormais « à un paysage habituellement peint avec le regard du Groupe des Sept ». Iskowitz, écrit-elle, nous fait regarder à nouveau. En fait, comme Malcolmson l’a astucieusement remarqué, Iskowitz détourne son point de vue de la ligne d’horizon, qui définit une vue de la terre, pour se tourner vers le ciel. Il utilise les couleurs de la terre et les applique au ciel, et, comme le ciel n’a aucune forme, les œuvres deviennent abstraites.
Les rares fois où Iskowitz s’entretient avec des critiques d’art au sujet de sa pratique artistique, il défend son indépendance et refuse d’être décrit par l’une des étiquettes courantes. Dans une entrevue accordée en 1975 à Merike Weiler, il explique :
On dit que Gershon Iskowitz est un artiste abstrait . . . Mais c’est tout un monde réaliste. Il vit, bouge . . . Je vois ces choses . . . l’expérience, sur le terrain, de regarder dans les arbres ou dans le ciel, de regarder du haut d’un hélicoptère. Alors ce que vous faites, c’est essayer de faire une composition de toutes ces choses, de faire une sorte de réalité : comme les arbres devraient appartenir au ciel, et le sol devrait appartenir aux arbres, et le sol devrait appartenir au ciel. Tout doit être uni . . .
Iskowitz exprime quelque chose au-delà du littéral, tout comme la musique instrumentale se forme avec le son, le tempo et l’intervalle (l’espace entre les sons), pas avec les mots. Pour lui, le ciel est une vision universelle, une vision que nous pouvons tous vivre, peu importe où nous vivons.
Cet essai est extrait de Gershon Iskowitz : sa vie et son œuvre par Ihor Holubizky.