Shuvinai Ashoona (née en 1961), à l’instar de sa cousine Annie Pootoogook (1969-2016), fait progresser l’art inuit, aidant à lui faire une place dans le courant dominant de l’art contemporain canadien et étranger. Ce changement est relativement récent. Traditionnellement, non seulement l’art inuit est-il rarement considéré comme partie intégrante du canon contemporain dans les musées du Canada et d’ailleurs, il a aussi longtemps été traité distinctement des autres formes d’art autochtones dans les musées du pays. Shuvinai rompt avec les formes de représentation adoptées par les générations qui l’ont précédée, elle crée des œuvres en collaboration avec des artistes du Sud et elle lance des ponts vers l’international grâce à son travail qui remet en question les stéréotypes sur la vie et la pratique artistique dans le Nord.

 

Shuvinai Ashoona et John Noestheden, Terre et Ciel (details), 2008

Shuvinai Ashoona et John Noestheden, Earth and Sky (Terre et Ciel) (détail), 2008
Stylo, encre noire, crayon de couleur, mine de plomb, collage et cristaux de verre collés sur papier vélin, 34,3 x 485 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa

Les deux principales collaborations de Shuvinai avec des artistes canadiens contemporains ont une influence considérable sur la notoriété de son œuvre et marquent l’ouverture des manifestations d’art contemporain d’envergure internationale à l’art inuit. Elle collabore avec John Noestheden (né en 1945) en 2008 à l’initiative de Wayne Baerwaldt, un conservateur qui a de nombreux contacts à l’étranger. Le fruit de leur travail, Terre et Ciel, 2008, est un dessin en techniques mixtes qui marie paysages arctiques et corps astronomiques, en grande partie réalisé en noir et blanc, ponctué çà et là de couleurs vives et audacieuses. 

 

Shuvinai Ashoona et John Noestheden, Collaboration sans titre, 2008

Shuvinai Ashoona et John Noestheden, Untitled Collaboration (Collaboration sans titre) (détail), 2008
Crayon de couleur et encre de Chine sur papier, 157,48 x 101,6 cm, Collection RBC

Par la suite, le dessin est reproduit sous forme de bannière extérieure de quarante mètres de longueur destinée à être suspendue au-dessus d’une rue au centre-ville de Bâle en Suisse pour le projet Stadthimmel (Ciel urbain) — une œuvre d’art public installée à l’occasion de la Foire d’art contemporain. En 2012, on transporte l’œuvre à la Biennale de Sydney, intitulée All Our Relations (Toutes nos relations), avant sa présentation au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa dans son exposition Sakahàn. Art indigène international, en 2013.

 

Shuvinai Ashoona et Shary Boyle, Autoportrait, 2015

Shuvinai Ashoona et Shary Boyle, Self-Portrait (Autoportrait), 2015
Encre et crayon de couleur sur papier, 107 x 88 cm, collection particulière

Au Canada, les collaborations et les expositions continues de Shuvinai avec la Torontoise Shary Boyle (née en 1972), une artiste de renommée mondiale qui représente le Canada à la Biennale de Venise en 2013, accroissent aussi sa notoriété et la font connaître dans les milieux de l’art contemporain qui étaient autrefois fermés aux artistes inuits. En 2009, la Justina M. Barnicke Gallery de l’Université de Toronto jumelle les deux artistes dans l’exposition Noise Ghost: Shuvinai Ashoona and Shary Boyle. Cette manifestation ouvre un nouveau dialogue et remet en question d’anciennes notions au sujet de l’art inuit, celle par exemple voulant qu’il s’agisse d’une production uniquement consacrée aux oiseaux, aux poissons et aux autres animaux, ou encore aux personnages de chasseurs et de mères. Noise Ghost remporte le prix de l’exposition de l’année décerné par l’Association ontarienne des galeries d’art. Deux ans plus tard, Boyle se rendra dans le Nord pour une résidence de travail de trois semaines avec Shuvinai aux Ateliers Kinngait, tandis qu’elles collaborent encore ensemble, créant des dessins comme Exposition, 2015, et InaGodadavida, 2015.

 

Shuvinai Ashoona et Shary Boyle, Exposition, 2015

Shuvinai Ashoona et Shary Boyle, Exhibition (Exposition), 2015
Encre et crayon de couleur sur papier, 99 x 107 cm, Feheley Fine Arts, Toronto,
et Pierre-François Ouellette art contemporain, Montréal

L’art inuit met du temps à se faire remarquer des commissaires d’exposition et conservateurs de l’étranger. C’est graduellement, grâce au travail d’artistes comme Shuvinai, que les Autochtones du Nord acquièrent une renommée internationale hors du marché traditionnel de l’art inuit. Des œuvres de Shuvinai figurent dans deux expositions américaines d’art canadien : Oh, Canada: Contemporary Art from North North America présentée en 2013 par la conservatrice Denise Markonish, au Massachusetts Museum of Contemporary Art (MASS MoCA), à North Adams au Massachusetts, puis Unsettled Landscapes: SITElines: New Perspectives on Art of the Americas à SITE Santa Fe, au Nouveau-Mexique, sous la direction de la Canadienne Candice Hopkins, qui a été présentée de juillet 2014 à janvier 2015. L’art inuit change et s’adapte constamment, comme la culture, et Shuvinai Ashoona est au cœur de ces mutations.

 

Cet essai est extrait de Shuvinai Ashoona : sa vie et son œuvre par Nancy G. Campbell.

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