Dans cette illustration, Cahén saisit le moment de tension où la mère de l’auteur, qui ne parle pas anglais, se voit en difficulté avec la loi parce qu’elle a innocemment ouvert un café-terrasse à l’européenne. Comme au théâtre, l’intrigue, le décor et les personnages sont si détaillés qu’il est aisé de deviner ce qui se passe sans le secours du texte, et de se laisser tout de même happer par le récit et la hâte d’en connaître le dénouement.
Le succès de Cahén comme illustrateur tient à sa capacité de figurer la personnalité et l’ethnicité sans tomber dans le stéréotype. Ainsi, chacun des douze personnages (et des deux chats) a un visage et une expression propres. Les antécédents culturels ne sont perceptibles que par de discrètes allusions : la kippa du spectateur juif, la jupe à hauteur des chevilles et le tablier brodé de la patronne, les nappes en vichy. Le quotidien et les comportements familiers, comme le bateau en papier dans le caniveau, les plantes sur l’appui de fenêtre, le cadet des enfants, à l’abri derrière la vitre, qui jette un regard timide, le couple âgé, inquiet, sur la droite, et l’optimisme naïf du fils aux yeux grand ouverts qui traduit au bénéfice du policier : tout concourt à générer un élan de sympathie pour les immigrants forcés de se colleter au milieu rigide d’Ottawa.