L’artiste anishinaabe Norval Morrisseau (1931-2007) peint à plusieurs reprises le manitou ou esprit Michipichou, en particulier dans les années 1960 et 1970. Dans la culture anishinaabe, Michipichou, parfois décrit comme un lynx aquatique cornu, incarne la dualité du bien et du mal. Selon la théoricienne littéraire Victoria Brehm, Michipichou aurait subi une métamorphose après les premiers contacts avec les Européens : jadis une figure favorisant la cohésion sociale, Michipichou en viendra à être considéré comme une figure maléfique, en raison de l’influence de la culture occidentale sur la vision anishinaabe du monde.
La puissante image qui s’impose ici, dominant un arrière-plan nu, met en évidence la complexité de l’approche artistique assurée de Morrisseau. Des pictogrammes de Michipichou ont été découverts sur le site d’art rupestre d’Agawa, au lac Supérieur, dans le nord-ouest de l’Ontario, et Morrisseau interprète Michipichou dans des tons de terre qui rappellent l’art rupestre anishinaabe et les représentations sur écorce de bouleau incisée. L’œuvre demeure toutefois pleinement contemporaine de par son échelle, ses thèmes et son langage visuel. Des lignes vigoureuses définissent l’image et la segmentation à l’intérieur du corps signifie la puissance physique et spirituelle. Les formes circulaires qui entourent l’esprit aquatique représentent ses dualités (le bien et le mal) et symbolisent les megis, les coquillages de porcelaine qui, pour les Anishinaabe, apportent un équilibre dans la vie. La créature onduleuse rappelle les eaux turbulentes des lacs du nord-ouest de l’Ontario, mais elle évoque aussi les difficultés auxquelles Morrisseau fait face dans les dix ans suivant le succès de sa première exposition en 1962.
Cette rubrique en vedette est extraite de Norval Morrisseau : sa vie et son œuvre par Carmen Robertson.