Les lignes géométriques précises de cette toile créent ce que l’artiste Bertram Brooker (1888-1955), établi à Toronto, appelait « l’éveil d’un sentiment d’harmonie entre l’homme et l’univers. » L’inspiration est un moment mystique au sujet duquel Brooker écrit dans le poème « Silence » :
Il demeure debout, immobile
à l’ombre de trois bouleaux argentés
tout en regardant les eaux tout à fait calmes de la baie
jusqu’à la rencontre harmonieuse des montagnes
de l’autre côté des eaux blanchissantes
et les sombres monticules de nuages rose coquille amassés.
Il compose ce poème après avoir visité la région de Murray Bay (aujourd’hui La Malbaie) au Québec, durant l’été de 1931, à l’insistance des artistes Lawren Harris (1885-1970) et A. Y. Jackson (1882-1974), membres du Groupe des Sept. Brooker dessine l’esquisse qui est à la base de cette œuvre au cours de ce voyage. Lorsqu’il voit ce tableau, Harris dit à Brooker qu’il n’aime pas les arbres. Peut-être que Harris croyait que Le Saint-Laurent était trop manifestement une imitation et possiblement une parodie de son travail – l’œuvre de Brooker ressemble aux images de Lawren Harris durant cette période. En 1931, Harris concentre tous ses efforts sur une transition vers l’abstraction, un mode d’expression pour lequel Brooker avait déjà connu beaucoup de succès. Par une œuvre comme Le Saint-Laurent, Harris voyait Brooker retourner à une forme d’expression dont il tentait lui-même de s’affranchir.
Dans l’œuvre, Brooker réduit le ciel, l’eau, les montagnes et les arbres à l’essentiel et, ce faisant, il leur confère une apparence mystique, surnaturelle. Cela démontre qu’il peut s’inscrire dans la tradition figurative tout en lui insufflant la même essence spirituelle qui caractérise la plupart de ses œuvres.
Cette rubrique en vedette est extraite de Bertram Brooker : sa vie et son œuvre par James King.