Avec Ô Canada, la cinéaste expérimentale et artiste visuelle Joyce Wieland (1930-1998) réagit vivement à l’un des nouveaux artefacts symboliques adoptés par le gouvernement canadien dans les années 1960 : l’unifolié, officiellement déployé en 1965 (en remplacement du Red Ensign canadien), et le « Ô Canada », qui devient l’hymne national officiel en 1967. Wieland réalise plusieurs œuvres qui adoptent ou réinterprètent le nouveau drapeau, de même que celle-ci, qui s’inspire du nouvel hymne.
Pour réaliser l’œuvre, Wieland, portant un rouge à lèvres rouge vif, chante « Ô Canada » en pressant ses lèvres contre une pierre lithographique à chaque syllabe. L’estampe qui en résulte présente des rangées de lèvres à différents stades d’ouverture et de fermeture. Incités par le titre de l’œuvre, les spectateurs canadiens risquent bien de sentir leur bouche se contracter dans un geste de reconnaissance. Autrement dit, Ô Canada est une sorte d’œuvre interactive.
En outre, son geste d’allégeance patriotique est délibérément sexué : l’œuvre présente des lèvres de femme, et possiblement des lèvres sensuelles. Selon l’historien de l’art John O’Brian : « la lithographie associe ironiquement l’amour patriotique masculin et l’érotisme féminin, tout en évitant d’alléger la tension entre les deux. » Plutôt que de tenir l’identité nationale pour acquise, par son œuvre, Wieland invite le public à réinventer, à se réapproprier et à incarner le concept de nation.
Cette rubrique en vedette est extraite de Joyce Wieland : sa vie et son œuvre par Johanne Sloan.