Zacharie Vincent et son fils Cyprien v. 1851
Dans cet autoportrait, Vincent se présente accompagné de son fils aîné, attestant ainsi de manière évidente la continuité filiale de la lignée huronne, malgré le décès prématuré de ses deux cadets — Gabriel, en 1850, et Zacharie, en 1855. Au tournant de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, au moment où naissent les enfants de Zacharie Vincent, la communauté de la Jeune-Lorette vit une régénérescence démographique et culturelle, grâce à une amélioration des conditions de vie et à la prospérité de l’industrie artisanale. Dans ce contexte, l’œuvre constitue une réponse aux prévisions de disparition de la communauté huronne.
Le portrait présente certains problèmes d’échelle : la figure de l’enfant est démesurément petite, de même que les bras qui se raccordent difficilement au reste du corps. Ces maladresses seraient peut-être attribuables à une décision de l’artiste d’utiliser différents modes de représentation. Les détails des traits du visage sont reproduits suivant un souci de mimétisme, afin d’attirer le regard du spectateur sur eux, alors que les vêtements et les ornements sont représentés avec plus de liberté, suivant un ordre symbolique.
Le traitement, qui passe successivement de l’aplat aux modelés, confère à l’œuvre une dimension partagée entre l’immanence de la représentation sur le motif et la transcendance du symbolisme. La figure du père, présentée en plan rapproché, ainsi que la réduction de l’échelle des bras et des mains, permettent également d’attirer l’attention du spectateur sur les détails vestimentaires et ornementaux, mais aussi sur le visage et le regard. De la même manière, la prégnance des regards et la richesse des parures sont intensifiées par le fond uni et sombre qui produit un effet repoussoir. Quant aux ornements en métal (médaille, brassard), ils présentent des dégradés opaques qui ne renvoient aucun reflet, ce qui permet une fois de plus d’éviter un naturalisme trop strict et de capter efficacement l’attention du spectateur.
Sur le plan iconographique, Vincent a pu s’inspirer des portraits familiaux qui apparaissent, au milieu du dix-neuvième siècle, avec l’essor des valeurs bourgeoises, la mise en valeur de la maternité, de l’éducation et du bien-être domestique. Avant la démocratisation de la photographie, le portrait familial expose un rapport de filiation. Les œuvres de Théophile Hamel (1817-1870), Madame René-Édouard Caron, née Joséphine de Blois, et sa fille Ozine, 1846, et Adolphe, Auguste, Eugène et Alphonse Hamel, neveux de l’artiste, 1847, permettent d’exprimer le rapport à la fois social et intime, filial et affectif, qui lie les membres d’une même famille. L’historien de l’art et conservateur Mario Béland remarque toutefois que les enfants sont le plus souvent représentés en petit groupe ou accompagnés de leur mère, mais rarement du père.
Vincent aurait fréquenté l’atelier de Théophile Hamel, dont les œuvres Autoportrait dans l’atelier, v. 1849-1850, et Autoportrait au paysage, v. 1841-1843, proposent un jeu rhétorique et une autoréflexion sur le statut et le travail de l’artiste. Depuis la Renaissance, le genre de l’autoportrait permet également de marquer les étapes importantes de la vie de l’artiste. Dans ses premières œuvres, Vincent y souligne à la fois son identité individuelle et professionnelle, sa paternité et son statut de peintre.