Né le 28 janvier 1815, Zacharie Vincent est issu de la communauté huronne-wendat du village de la Jeune-Lorette, aujourd’hui la réserve de Wendake située à 15 kilomètres au nord de la ville de Québec. La pratique de la peinture, où domine l’autoportrait, lui permet de renverser l’autorité du regard colonial à l’égard de l’Autre, d’établir un dialogue entre les deux communautés et de présenter une image actualisée, active de sa réalité. Il meurt en 1886 à l’hôpital de la Marine de Québec.
L’héritage des Hurons-Wendat
Occupant originellement des terres près des Grands Lacs, la communauté huronne-wendat migre dans la région de Québec à la fin du dix-septième siècle, où elle vit sous la tutelle des missionnaires jésuites. Zacharie Vincent est le fils du chef Gabriel Vincent, un fervent traditionaliste et défenseur de la culture huronne-wendat, et de Marie Otis. Il est le neveu du grand chef Nicolas Vincent et l’oncle de Prosper Vincent, premier Huron à être ordonné prêtre. Au dix-neuvième siècle, Zacharie Vincent est reconnu comme le « dernier Huron de race pure ».
Formation
Il est difficile d’affirmer s’il est scolarisé, étant donné qu’un nombre limité d’autochtones ont accès à l’instruction avant 1830. Les chroniqueurs du dix-neuvième siècle insistent sur le fait que Vincent est doté d’un talent dit naturel, et qu’il pratique la peinture et le dessin depuis l’enfance, en travaillant directement sur le motif ou en s’inspirant de sources secondaires. Ils s’entendent également sur le fait qu’il aurait bénéficié de conseils ou d’enseignement d’artistes renommés. Notre examen de ses paysages, ses scènes de genre et ses portraits révèle que Vincent s’inspire effectivement des œuvres de William Bartlett (1809-1854), Cornelius Krieghoff (1815-1872), Henry Daniel Thielcke (v. 1788-1874), Théophile Hamel (1817-1870), et Eugène Hamel (1845-1932), et des gravures en circulation dans les journaux illustrés.
Chef huron
À 33 ans, Vincent épouse Marie Falardeau, une jeune veuve iroquoise de 20 ans qui a perdu les deux enfants de son premier mariage. De Vincent, elle aura quatre enfants : Cyprien, Gabriel, Zacharie et Marie. Les deux survivants, Cyprien (1848-1895) et Marie (1854-1884) ne laisseront aucun descendant.
Nommé chef des guerriers en 1845, Vincent participe activement à la vie de la communauté huronne-wendat. Il se consacre à la peinture, à la chasse, à l’artisanat (notamment la fabrication de raquettes) et à l’orfèvrerie. Il est également guide de chasse pour les résidents de Québec, les touristes et les militaires de la garnison.
« Le dernier Huron »
La décision de Vincent d’entreprendre une carrière artistique serait motivée par une série de circonstances, notamment la création, en 1838, de son portrait intitulé Portrait de Zacharie Vincent, Le Dernier des Hurons par Antoine Plamondon (1804-1895). L’historien d’art François-Marc Gagnon explique que l’œuvre s’inscrit, à l’époque, dans un registre allégorique. Elle est réalisée au lendemain de la défaite du mouvement nationaliste patriote en 1837, également connu comme la Guerre des patriotes. En fait, le portrait du « dernier des Hurons » dénonce de façon détournée le sort des Canadiens français qui se trouvent également menacés d’assimilation ou de disparition. Ainsi, les nationalistes associent leurs anciens alliés hurons à des modèles d’intégrité culturelle.
Au cours de la même période, les Hurons vivent aussi une instabilité politique importante. Suite à l’échec d’une série de démarches entreprises depuis le dix-huitième siècle pour défendre son territoire, la communauté se tourne vers d’autres stratégies de survivance, notamment la sauvegarde de l’identité ethnique et la régénérescence sociale et culturelle. En tant que chef et « dernier Huron », Zacharie Vincent y participe alors, de façon à la fois symbolique et active, à travers son statut exemplaire et ses productions artistiques.
Le Huron résistant
En 1838, la même année où Plamondon réalise le portrait de Zacharie Vincent, le peintre Henry Daniel Thielcke livre un portrait de groupe, Présentation d’un chef nouvellement élu au Conseil de la tribu huronne de Lorette.
Dans ce tableau est réunie la communauté, à l’occasion de la nomination du chef honoraire Robert Symes, une pratique d’adoption symbolique réservée aux dignitaires allochtones. Contrairement à ses confrères qui revêtent le costume d’apparat officiel et qui fixent directement le spectateur, Vincent (rangée arrière, à gauche) détourne la tête et arbore un couvre-chef en argent garni de plumes, parure qu’il a créée lui-même; cela témoigne de son désir de marquer son individualité et son statut exemplaire de résistant culturel.
Dialogue artistique
Sa décision de s’approprier la technique picturale et le langage illusionniste permet à Vincent de récupérer le contrôle de son image et de répliquer à l’imagerie autochtone diffusée à l’époque par des artistes comme Antoine Plamondon, Joseph Légaré (1795-1855), Cornelius Krieghoff, Henry D. Thielcke et Théophile Hamel.
La production de Vincent serait évaluée à plusieurs centaines d’œuvres, incluant des huiles sur toiles et des dessins. Elle vise à remplacer les images figées, exotiques, passéistes et nostalgiques du sujet autochtone, par celles d’une identité complexe, qui englobe les transformations engendrées par les échanges et les alliances contractées depuis le dix-septième siècle, et par les pressions d’acculturation. Ce démantèlement iconographique permet de répondre au discours alarmiste de disparition du sujet autochtone, et de traduire la réalité sociale et politique de sa communauté. En s’appropriant le médium pictural et en assurant une large diffusion de ses œuvres, Vincent instaure également un dialogue significatif avec la population coloniale.
De son vivant, l’artiste diffuse ses œuvres auprès des touristes, des militaires de la garnison de Québec et des visiteurs de marque comme lord Durham, lord Elgin, lord Monck et la princesse Louise. Certains commerces de Québec, spécialisés dans les produits exotiques, les cartes postales et les photographies, constitueraient également des points de diffusion. Vincent demeure aussi l’un des rares artistes à avoir vendu ses autoportraits de son vivant, un exploit qui s’explique par l’engouement du public pour les sujets exotiques, et par l’aura que dégage son image de chef, de « dernier Huron », voire d’« artiste huron », une catégorie alors inusitée.
L’artiste prend toutefois soin d’adapter sans cesse la teneur des discours qu’il souhaite véhiculer, afin de rejoindre plus efficacement ceux à qui il destine son image. À cet égard, le contenu des œuvres se répartit en trois catégories : des éléments de culture décodables uniquement par les membres de la communauté huronne; des éléments adressés à un public élargi, dont les références typées et stéréotypées sont plus clairement communicables; et des éléments relatifs à l’expérience personnelle de l’artiste. En fait, Vincent attire les touristes et les visiteurs avec des codes culturels déjà connus, afin de critiquer de manière détournée la complaisance de leur regard et les dynamiques du pouvoir colonial. Cet état de fait complexifie et enrichit la lecture de ses œuvres.
Période tardive
En 1879, âgé de 64 ans, Vincent abandonne ou est destitué de ses fonctions de chef du Conseil, un rôle qu’occupera alors son frère Philippe. Il quitte le village de la Jeune-Lorette avec son fils Cyprien, pour Kahnawake (Sault-Saint-Louis), au sud de Montréal, où vit la communauté mohawk. Cette décision peut s’expliquer par l’envahissement progressif des territoires de chasse hurons par les colons et les prospecteurs, et par le développement du chemin de fer et des clubs de chasse privés.
À l’époque, Sault-Saint-Louis est le chef-lieu de la Ligue iroquoise et de la Fédération des Sept Nations, le pacte d’alliance réunissant les nations autochtones christianisées du Bas-Canada. Cette coalition permet de renforcer le groupe et les liens entre ces nations, face au gouvernement. Les dignitaires des différentes nations s’y rendent pour exposer leurs réclamations. Zacharie Vincent aurait peut-être joué le rôle d’ambassadeur du Conseil huron.
Le départ de Vincent pour Kahnawake survient peu après l’émission, en 1876, de la Loi sur les Indiens, et peut avoir été entraîné par cette loi qui marque l’aboutissement des mesures d’assimilation des autochtones, d’appropriation de leurs terres et d’assignation des communautés dans les terres de réserve.
En quittant la Jeune-Lorette, l’artiste cherche possiblement à explorer d’autres secteurs d’exposition et de diffusion de ses productions. On sait d’ailleurs qu’il bénéficie de l’appui financier d’un mécène, le dentiste et homme politique William George Beers, reconnu aujourd’hui comme le père du jeu de crosse. Beers lui offre de payer son voyage en train à Montréal, offre que le Huron décline, préférant voyager par ses propres moyens. En 1879, le journaliste et historien André-Napoléon Montpetit (1840-1898) rapporte que Vincent se fait offrir le financement d’un voyage de formation en Europe, offre qu’il aurait refusée sans regret : « Ces propositions n’attiraient rien de plus qu’un sourire sur les lèvres de Cari [Zacharie] ».
Enfin, la notice nécrologique révèle que suite à une paralysie, il décède en 1886, à l’hôpital de la Marine de Québec.