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Dès qu’il trouve sa propre voie en tant qu’artiste, Tom Thomson crée de nouvelles couleurs étonnantes; prépare ses toiles et les supports de ses esquisses en prévision de ses compositions à venir; exploite des idées et des motifs provenant d’autres mouvements artistiques qui l’intéressent; et s’attaque à ses sujets avec originalité pour créer un œuvre durable.

 

 

Diverses sources d’inspiration

Art Canada Institute, Tom Thomson, Étude de tête de femme, v. 1903
Tom Thomson, Étude de tête de femme, v. 1903, encre et crayon sur papier, 11 x 8 cm, Tom Thomson Memorial Art Gallery, Owen Sound, (Ontario). Cette étude dessinée avec soin est inspirée de la Gibson Girl (« Jeune fille à la Gibson »), création iconique de l’illustrateur américain Charles Dana Gibson et souvent reproduite dans les magazines au début des années 1900.

À Toronto, au début des années 1900, Thomson n’a pas la possibilité de voir de ses propres yeux ce qui se fait en Europe ou même à New York – une ville qu’il ne visitera d’ailleurs jamais. L’art auquel il est exposé provient de reproductions publiées dans The Studio: An Illustrated Magazine of Fine and Applied Art et d’autres revues d’art, ou d’interprétations des mouvements artistiques par ses collègues, les futurs membres du Groupe des Sept, tous formés en art et en histoire de l’art.

 

Ainsi, les œuvres de Thomson présentent certains éléments de nombreux mouvements artistiques antérieurs : de l’impressionnisme, de l’expressionnisme, de l’Art nouveau, des motifs du mouvement Arts and Crafts, des exemples isolés de versions américaines de l’impressionnisme français et de la tradition paysagiste des époques victorienne et édouardienne. Dans Les barges de drave (The pointers), 1916-1917, par exemple, Thomson flirte avec l’impressionnisme, tandis que Le vent d’ouest (The West Wind), 1916-1917 – particulièrement le premier plan et les branches sinueuses de l’arbre – s’inspire de l’Art nouveau. Son clin d’œil à l’expressionnisme se manifeste surtout dans les dernières années de sa vie, alors qu’il évolue vers l’abstraction, notamment dans Après la tempête (After the Storm), 1917, et Le marécage aux atocas (Cranberry Marsh), 1916.

 

Les livres et les magazines d’art auxquels Thomson a accès sont surtout illustrés en noir et blanc. Les diverses influences dont il se nourrit avidement lui fournissent une foule de possibilités, mais aucune ne reflète les mouvements modernistes de première importance (cubisme, fauvisme, surréalisme) qui se propagent en Europe durant la vingtaine d’années précédant sa mort en 1917.

 

Dans certaines œuvres, comme Signes avant-coureurs d’une tempête de neige, (Approaching Snowstorm), 1915, Thomson s’inspire du peintre paysagiste anglais John Constable (1776-1837), découvert par l’entremise d’Arthur Lismer (1885-1969) et de J. E. H. MacDonald (1873-1932). Constable est le premier artiste à traiter le paysage non seulement comme une peinture de genre, mais comme l’expérience d’un phénomène naturel – un orage, un arc-en-ciel lumineux, une formation nuageuse inusitée, un lever de soleil brumeux. À cet égard, avec son contemporain William J. M. Turner (1775-1851), il remanie les règles de la peinture de paysage. En 1888, un critique qualifie les petits croquis à l’huile de Constable de « remarquables et fidèles transcriptions de l’instant présent – la nature saisie sur le vif ». Il aurait pu écrire cela au sujet des esquisses que Thomson réalisera une trentaine d’années plus tard.

 

Art Canada Institute, John Constable, Stoke-by-Nayland, v. 1810-1811
Certaines œuvres du peintre anglais John Constable, telle que Stoke-by-Nayland, (v. 1810-1811, huile sur toile, 28,3 x 36,2 cm, Metropolitan Museum of Art, New York), semblent être une source d’inspiration dans le cheminement artistique de Thomson.
Art Canada Institute, Tom Thomson, Lac aux peupliers, 1916
Tom Thomson, Lac aux peupliers, 1916, huile sur panneau de fibres gris, 21,5 x 26,8 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Cette œuvre témoigne de l’influence de Constable.

 

Plus près de chez nous toutefois, c’est MacDonald, le doyen de la coterie, qui exerce assurément la plus grande influence sur Thomson. Sa fascination pour les orages, les formations nuageuses et les phénomènes naturels s’apparente à celle de Thomson, et ses choix de couleurs sont aussi hardis et originaux – notamment dans Le jardin sauvage (The Tangled Garden), 1916, qui provoque un véritable tollé chez la critique. Lawren Harris (1885-1970) est probablement le second en importance pour Thomson : son influence se fait sentir dans Le pin (The Jack Pine), 1916-1917, une composition simple et spectaculaire aux coups de pinceau longs et épais.

 

Art Canada Institute, J. E. H. MacDonald, Le jardin sauvage, 1916,
J. E. H. MacDonald, Le jardin sauvage, 1916, huile sur panneau de fibres, 121,4 x 152,4 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

Thomson a suffisamment de courage et de bon sens pour tirer et assimiler tout ce dont il a besoin de ces sources variées et pour les adapter au paysage qu’il connaît le mieux. Cet instinct confère à son œuvre sa sincérité et sa puissance. C’est aussi grâce à son instinct que son art, bien que complexe, sophistiqué et original, est également accessible. L’œuvre de Thomson demeure actuel pour chaque génération.

 

 

Le dessin publicitaire

Art Canada Institute, Tom Thomson, Paysage décoratif : citation de Maurice Maeterlinck, v. 1908
Tom Thomson, Paysage décoratif : citation de Maurice Maeterlinck, v. 1908, encre sur papier, 32,6 x 19,5 cm. En tant que concepteur graphique, Thomson crée des cartes artistiques comme celle-ci, qui trahit l’influence de l’Art nouveau, où il combine l’illustration et la calligraphie en utilisant des vers de Robert Burns, Rudyard Kipling et Maurice Maeterlinck.

Thomson est le seul de ses amis du futur Groupe des Sept à ne pas avoir reçu une formation artistique formelle. Néanmoins, à l’exception de Lawren Harris (1885-1970) et d’A. Y. Jackson (1882-1974), tous travaillent comme artistes commerciaux. Outre son expérience en publicité, en art graphique et en gravure, Thomson possède déjà une solide formation en illustration lorsqu’il décide se consacrer sérieusement à la peinture.

 

Thomson travaille la majeure partie sa vie d’adulte, soit la période allant de 1902 à 1913, pour des agences de dessin publicitaire et de photogravure, d’abord à Seattle, puis à Toronto. Grip Limited, pour laquelle il travaille durant trois années déterminantes, 1909-1912, est alors l’entreprise d’art graphique la plus importante à Toronto. C’est elle qui introduit le style Art nouveau au Canada, de même que la gravure sur métal et le procédé d’impression par quadrichromie. Malgré toutes ses années d’expérience comme dessinateur publicitaire, Thomson n’arrive toujours pas à représenter efficacement la figure humaine. Contrairement à ses collègues Arthur Lismer (1885-1969) et Fred Varley (1881-1969), que la formation artistique a préparés à devenir « dessinateurs de personnages » chez Grip, ce manque de compétence en la matière collera à la peau de Thomson toute sa vie. Ses quelques tableaux qui comportent des personnages, tels Dans l’érablière (In the Sugar Bush), 1915; Larry Dixon fendant du bois (Larry Dixon Spliting Wood), 1915; Tête de femme (Figure of a Lady), 1915; et Le pêcheur (The Fisherman), 1916-1917, sont parmi les plus maladroits, figés et inexpressifs de toute sa production. Thomson ne peut se consacrer entièrement à l’art que durant les quatre dernières années de sa vie, une fois que le soutien du Dr James MacCallum en 1914 lance sa carrière de peintre à temps plein.

 

L’influence de l’art commercial transparaît à l’occasion dans les œuvres de Thomson, notamment le style Art nouveau auquel il recourt dans certains de ses tableaux, comme Rivière du Nord (Northern River), 1915, et Le vent d’ouest (The West Wind), 1916-1917, et dans les compositions Paysage décoratif : bouleaux (Decorative Landscape: Birches) et Débâcle (Spring Ice), toutes deux de 1915-1916, où trois arbres au premier plan encadrent la vue sur un lac et des collines à l’arrière-plan – un agencement déjà utilisé dans ses travaux publicitaires. Comme l’énonce A. Y. Jackson : « Nous traitions nos sujets avec la liberté des concepteurs publicitaires. Nous cherchions à accentuer les couleurs, les traits et les motifs. » Dans Sous-bois I, II et III (Forest Undergrowth I, II, and III), les panneaux que réalise Thomson à l’hiver 1915-1916 pour le chalet de MacCallum dans la baie Georgienne, cette influence décorative s’avère lourde et dépourvue d’originalité.

 

Art Canada Institute, Tom Thomson, Sous-bois I, 1915–16
Tom Thomson, Sous-bois I, 1915–16, huile sur panneau de fibres, 120,8 x 96,4 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.
Art Canada Institute, Tom Thomson, Paysage décoratif : bouleaux, 1915–16
Tom Thomson, Paysage décoratif : bouleaux, 1915–16, oil on canvas, 77,1 x 72,1 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

 

 

Une palette idiosyncrasique

Art Canada Institute, Boîte à croquis de Tom Thomson
Boîte à croquis de Tom Thomson, collection d’étude, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

Dès qu’il apprend les rudiments de la peinture, Thomson se met à expérimenter. Il essaie différents types de pigments, comme le blanc de plomb de Freeman, un blanc pur que ses collègues n’utilisent pratiquement pas. Il explore différentes compositions ou structures dans chaque tableau – et reproduit rarement les mêmes motifs.

 

Ce qui étonne est sa palette idiosyncratique, sa façon de mélanger les pigments à sa disposition pour créer de nouvelles couleurs inusitées, comme dans Pins au coucher du soleil (Pine Trees at Sunset), 1915, avec son coucher de soleil vert acide et jaune qui irradie, et Le marécage aux atocas (Cranberry Marsh), 1916, où le champ lumineux s’apparente à un soleil ardent. Son mécène, le Dr James MacCallum, considère qu’il est « le meilleur coloriste de l’École algonquine » (tel que Thomson et ses amis sont désignés à l’origine).

 

Mais plus surprenant encore est la façon dont Thomson utilise ces couleurs irréelles pour traduire ce qu’il a devant les yeux : un rose bleuté pour représenter la neige dans Première neige, parc Algonquin (Early Snow, Algonquin Park),1916, un profond bleu-vert sarcelle pour un coin de marais dans Le marécage aux atocas, un arc de teinte vert jaunâtre dans le ciel au-dessus d’un coucher de soleil rouge feu dans Coucher de soleil (Sunset), 1915. Sa maîtrise de la couleur est exceptionnelle, un signe de confiance et de succès grandissants. De plus, ses couleurs et sa touche sont immédiatement reconnaissables et aussi personnelles qu’une empreinte digitale, peu importe le sujet ou la saison traités.

 

Dans la majorité de ses esquisses, Thomson applique la peinture par petits traits secs et énergiques, avec quelques arrondis délicats en touche finale. L’orientation de la touche est expressive : dans Les barges de drave (The Pointers), 1916-1917, les coups de pinceau de l’eau et du ciel sont surtout horizontaux, mais ceux composant les collines sont verticaux. Au cours de la dernière année de sa vie, toutefois, Thomson applique ses couleurs avec vigueur dans toutes les directions, comme dans l’esquisse Après la tempête (After the Storm), 1917. Cette approche emportée mais intense témoigne du passage de Thomson de l’illustration ou de la représentation à une forme d’expression qui s’approche tranquillement de l’expressionnisme abstrait. Cependant, tout comme David Milne (1881-1953), Emily Carr (1871-1945) et d’autres artistes de sa génération, Thomson ne s’aventurera pas suffisamment loin pour renoncer complètement à la représentation, même s’il évolue en ce sens.

 

Art Canada Institute, Tom Thomson, Barrage du lac Tea, 1917
Tom Thomson, Barrage du lac Tea, 1917, huile sur bois, 21,3 x 26,2 cm, Collection McMichael d’art canadien, Kleinburg (Ontario). Grâce à une touche efficace, Thomson saisit la formation de nuages orageux surplombant les eaux de la rivière Muskoka qui coulent dans la chute au printemps.

 

 

La préparation des surfaces

Thomson expérimente différents types de surfaces et de supports, de façon presque désinvolte. Le plus souvent, il utilise des panneaux de bois, mais il emploie aussi des cartons entoilés, des panneaux de fibre, des couvercles de boîtes de cigares et même du contreplaqué qui, malheureusement, se détériore au fil du temps, les différentes couches de placage se séparant. Pour autant que l’on sache, il n’a jamais utilisé de masonite, matériau qui deviendra plus tard un favori de plusieurs artistes.

 

Art Canada Institute, Tom Thomson, Bord de lac au printemps, parc Algonquin, 1915
Tom Thomson, Bord de lac au printemps, parc Algonquin, 1915, huile sur panneau de fibres, 21,7 x 26,9 cm, collection particulière.

En prévision de la grande rétrospective itinérante Tom Thomson, organisée par le Musée des beaux-arts du Canada et le Musée des beaux-arts de l’Ontario en 2002-2003, l’Institut canadien de conservation entreprend une étude approfondie des tableaux de Thomson grâce à la photographie aux rayons X et à l’infrarouge et aux techniques spectrométriques et de micro-prélèvements de matière picturale. Le Musée des beaux-arts du Canada et le Musée des beaux-arts de l’Ontario poursuivront le travail en 2002, effectuant des analyses à l’aide de microscopes de forte puissance en vue de la grande rétrospective itinérante Tom Thomson. Dans leur essai portant sur les résultats de ces analyses approfondies publié dans le catalogue accompagnant l’exposition, Sandra Webster-Cook et Anne Ruggles expliquent que Thomson utilisait des apprêts de différentes couleurs dans différentes zones de ses compositions afin de créer des effets subtils, mais bien présents au sein de ses œuvres.

 

La plupart des peintres apprêtent leurs toiles avec une couche de blanc de plomb, de gesso ou d’un mélange de pigments neutres et de colle animale (la colle de lapin était prisée à l’époque de Thomson et, dans certains milieux, elle l’est toujours). Cette « base » adhère à la toile ou au panneau, retient les pigments à la surface et sert de tampon pour empêcher que les composants chimiques de la toile ou du panneau ne provoquent l’absorption, l’altération ou le détachement des pigments au fil du temps. Ces renseignements détaillés sur les méthodes et les matériaux utilisés par l’artiste ont grandement aidé l’analyse scientifique, permettant de détecter les faux Thomson, dont il existe un bon nombre.

 

Au début de sa carrière de peintre, Thomson comprend que le processus de création d’une huile, grande ou petite, est inversé. Les premières couleurs appliquées sont souvent cachées sous les couches subséquentes, tandis que les dernières occupent la surface de l’œuvre achevée, et sont les premières que l’on voit. Les pigments sous-jacents apportent toutefois des qualités subtiles (mais pas toujours si subtiles) à ceux qui se trouvent en surface. Thomson utilise parfois plusieurs apprêts dans ses compositions : dans Bord de lac au printemps, parc Algonquin (Lakeside, Spring, Algonquin Park), 1915, il emploie dans l’ensemble un rose rompu de gris, mais un rouge profond sous la surface de l’eau. Ailleurs, comme dans Sentier derrière Mowat Lodge (Path behind Mowat Lodge), 1917, il peint directement sur le bois, qu’il laisse apparent par endroits. Ces procédés l’aident à créer des variations de lumière dans ses compositions. Bien que pratiquement invisibles pour la majorité des spectateurs, ils sont néanmoins déterminants pour un artiste scrupuleux comme Thomson.

 

Art Canada Institute, Tom Thomson, Sentier derrière Mowat Lodge, 1917
Tom Thomson, Sentier derrière Mowat Lodge, 1917, huile sur bois, 26,8 x 21,4 cm, Collection Thomson, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
Art Canada Institute, Tom Thomson, Sentier derrière Mowat Lodge (détail), 1917,
Tom Thomson, Sentier derrière Mowat Lodge (détail), 1917, huile sur bois, 26,8 x 21,4 cm, Collection Thomson, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto. Ce détail permet de voir le bois couleur de miel qui transparaît de la surface peinte.

 

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