Depuis sa mort, Tom Thomson est l’artiste le mieux connu et le plus apprécié au Canada. Il a jeté les bases de l’art canadien pour les générations d’artistes qui lui ont succédé jusqu’à ce jour. Sa réputation n’a jamais fléchi – conservateurs, critiques et historiens de l’art reconnaissent tous sa suprématie, que ce soit individuellement ou en tant que membre non officiel du Groupe des Sept.
Le Groupe des Sept
Thomson est mort avant la formation du Groupe des Sept, mais ses amis et collègues n’ont jamais douté que, s’il avait vécu, il se serait joint à eux. Dans son essai The Story of the Group of Seven, Lawren Harris (1885-1970) écrit :
J’ai compté Tom Thomson comme un membre, même si le nom du groupe date d’après sa mort. Tom Thomson a néanmoins été essentiel au mouvement, une partie prenante de sa formation et de son développement, au même titre que ses autres membres member.
Le Groupe des Sept voit officiellement le jour en mars 1920, lorsque Harris invite cinq artistes chez lui, au 63, Queen’s Park (maintenant le site du Pontifical Institute of Mediaeval Studies au St. Michael’s College, Université de Toronto) : Franklin Carmichael (1890-1945), Frank Johnston (1888-1949), Arthur Lismer (1885-1969), J. E. H. MacDonald (1873-1932) et Fred Varley (1881-1969). A. Y. Jackson (1882-1974) aurait été du nombre, mais il est alors en expédition de peinture dans la baie Georgienne.
La rencontre a pour but de régler certaines questions laissées en suspens. Sept ans plus tôt, en janvier 1913, Harris et MacDonald s’étaient rendus à l’Albright Art Gallery (aujourd’hui l’Albright-Knox Art Gallery) à Buffalo, pour y visiter l’Exhibition of Contemporary Scandinavian Art. Ils étaient revenus à Toronto imprégnés d’une ferveur quasi évangélique de peindre les territoires sauvages du Nord canadien, comme les artistes dont ils venaient de voir les œuvres l’avaient fait dans leur patrie. Les membres du groupe avaient alors tous été conquis par cet enthousiasme, notamment Thomson.
Ces artistes (particulièrement Harris et MacDonald) sont par ailleurs très influencés par la quête de spiritualité dans la nature que mènent aux États-Unis les poètes Henry David Thoreau et Walt Whitman afin de créer un mouvement culturel indépendant de ses racines européennes. Durant cette même période, certains artistes, tel que Robert Henri (1865-1929), défendent une approche continentale de la peinture de paysage. Alors même que les futurs membres du Groupe des Sept mettent leurs idées en forme, ils sont portés par l’esprit de l’époque en Amérique du Nord qui rejette les influences européennes ou, du moins, insiste sur un mode d’expression typiquement canadien.
Avec un tableau comme Première neige (First Snow), 1915-1916, Thomson exauce les vœux de Harris, MacDonald et leurs collègues en contribuant à tracer le chemin vers leur objectif de créer une école nationale d’art canadien. Après sa mort soudaine, en 1917, ils organisent plusieurs expositions commémoratives en son honneur, d’abord au Arts Club à Montréal en mars 1919, ensuite à l’Art Association of Montreal (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal), à la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada) à Ottawa, et, en février 1920, à l’Art Gallery of Toronto (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de l’Ontario).
Vu sa tendance à l’abstraction dans certaines œuvres comme Après la tempête (After the Storm), 1917, Thomson n’aurait probablement pas poursuivi l’approche du paysage mise de l’avant par le Groupe des Sept durant les années 1920. Ces hommes qui domineront la scène artistique canadienne jusque dans les années 1950, en grande partie grâce à leur habileté à se mettre en valeur et à l’aspiration sentimentale du pays pour le traditionnel à la suite des deux guerres mondiales, se sont volontairement détournés des influences européennes comme Der Blaue Reiter, le cubisme, le fauvisme, le surréalisme, le suprématisme, le futurisme et l’orphisme. Si Thomson avait vécu plus longtemps, ces mouvements l’auraient peut-être intéressé.
Selon Harold Town (1924-1990), le Groupe des Sept ignore intentionnellement et intuitivement ce qui se passe ailleurs en art, se repliant sur lui-même plutôt que de s’ouvrir sur l’extérieur. Les membres du groupe établissent ainsi une base et un vocabulaire pour une école nationale qui perdure. Selon les mots de Town : « Ce fut une implosion et non pas une explosion. En regardant en nous-mêmes, nous nous sommes donné une identité extérieure. »
L’artiste et la nature
Durant son enfance et les quatre dernières années de sa vie, Thomson vit en étroite relation avec la nature nature. Le docteur William Brodie, un naturaliste bien connu qui travaille au département de biologie de ce qui est aujourd’hui le Musée royal de l’Ontario, lui apprend à observer la nature avec attention, tout en respectant son côté mystérieux. À partir de 1913, Thomson se rend au parc Algonquin aussitôt que possible au printemps, pour y rester jusqu’à tard à l’automne. Il représentera donc le parc par toutes les saisons, tous les temps et toutes les heures du jour.
Thomson n’est pas un environnementaliste selon les normes d’aujourd’hui. Tout comme ses amis du futur Groupe des Sept, il considère l’exploitation forestière et minière, la pêche commerciale et l’expansion de l’agriculture comme étant essentielles à la croissance de l’économie du Canada. Il est inconcevable à leurs yeux que ces ressources naturelles s’épuisent un jour, mais ils seraient scandalisés par les coupes à blanc actuelles. Dans Passe à bois (Timber Chute) et Cage et rapides (Crib and Rapids), deux œuvres de 1915, ainsi que Banc de sable et billes (Sandbank with Logs), de 1916, Thomson représente des barrages et des scènes d’exploitation forestière comme faisant partie du monde qui l’entoure. Lorsque des incendies ravagent le parc Algonquin, cependant, il est ému au point d’en illustrer leur féroce destruction dans des esquisses chargées d’émotion, comme Terres brûlées (Burned Over Land), 1916, et Collines dévastées par le feu (Fire-Swept Hills), 1915.
Avant comme après la Première Guerre mondiale, le Groupe des Sept est déterminé à présenter à la population canadienne des terres vierges et inépuisables – un éden sauvage du Nord. Thomson et ses amis sont ainsi perçus comme des naturalistes et des spiritualistes respectueux de l’environnement qu’ils représentent avec une audace et une rudesse frappante, sans égale chez leurs prédécesseurs. L’esquisse hardie Feuillage d’automne (Autumn Foliage), 1915, illustre bien ces qualités.
Depuis quelques années, toutefois, certains révisionnistes parmi les historiens de l’art remettent en question le statut de fondateurs d’un nouveau style d’art nationaliste que se sont approprié Thomson et le Groupe des Sept. Ces hommes prétendaient rejeter les styles du vieux continent, mais ils suivaient des conventions d’origine européenne. Ils voyageaient dans des « régions sauvages inhabitées » pour y réaliser des esquisses, mais ils ignoraient la présence des bûcherons, mineurs, cheminots et vacanciers qui y étaient déjà, et particulièrement les peuples autochtones qui occupaient ces territoires depuis bien plus longtemps.
Même les fameuses prouesses de canoéiste et d’homme des bois de Thomson ont été exagérées, notamment par ses collègues artistes et admirateurs, après sa mort. Il était certes compétent, mais comme l’écrit Frederick Housser, il ne « connaissait [certainement pas] la forêt comme les Indiens qui l’on précédé ».
Les toiles versus les esquisses à l’huile
Au cours de sa carrière, Thomson réalise non moins de 400 petites huiles sur panneaux de bois, cartons entoilés, contreplaqués et couvercles de boîtes de cigares – comme ont tendance à le faire les artistes qui peignent sur le motif en plein air. Ces œuvres sont spontanées et exécutées rapidement. Elles sont pour lui comme des dessins – le mode le plus direct et le plus intime pour exprimer une idée, une pensée, une émotion ou une sensation. Elles s’inspirent de divers phénomènes – couchers de soleil, orages et aurores boréales – observés par Thomson dans le parc Algonquin et dans les environs de la baie Georgienne.
Ces « dessins en peinture » ont longtemps été considérés comme le noyau de la production artistique de Thomson, étant donné leur grande qualité dans l’ensemble. Dans la plupart des cas, il ne s’agit pas d’études destinées à être reproduites en grand format, mais d’œuvres achevées en soi. Thomson se satisfait de ces petits joyaux, car, tout comme ses mentors J. E. H. MacDonald (1873-1932) et Lawren Harris (1885-1970), il est conscient qu’ils ne se transposeraient pas en grands formats sans perdre l’intimité qui les caractérise profondément. Une douzaine seulement, notamment Le pin (The Jack Pine), 1916-1917, et Le vent d’ouest (The West Wind), 1916-1917, feront l’objet de grandes toiles. De fait, Thomson peindra peu de tableaux : moins d’une cinquantaine au total, dont certains des plus anciens n’ont pratiquement rien en commun avec son œuvre. Parmi ceux-ci, mentionnons Orignal traversant une rivière (Moose Crossing a River), 1911-1912, ou encore Rivage du nord (Northern Shore), 1912-1913, qui s’inspire d’une reproduction noir et blanc du tableau Paysage (Landscape, année de réalisation inconnue), de l’artiste américain Harry van der Weyden (1864-1952), que Thomson trouve dans le magazine Studio (1864–1952).
À un moment donné, Thomson exprime le désir de réaliser une esquisse à l’huile par jour; on peut y voir une sorte de journal visuel du décor changeant du parc Algonquin au fil du temps et des saisons. Ces esquisses constituent une riche série de variations sur un même thème : le style est constant, la palette de couleurs, d’une originalité étonnante, et toutes sont créées dans un but bien précis et exécutées dans un court laps de temps.
La série de Meules de Claude Monet (1840-1926) ou les grands collages d’Henri Matisse (1869-1954) remplissent la même fonction. En art canadien, les magnifiques gravures en couleur à la pointe sèche de David Milne (1881-1953) constituent un corpus cohérent d’œuvres connexes. En littérature, on pourrait donner l’exemple d’une suite de poèmes, comme les 154 sonnets de Shakespeare liés par le thème du chagrin d’amour, du désir et de l’incertitude, ou les Sonnets de la Portugaise d’Elizabeth Barrett Browning, 44 sonnets rédigés pour son mari, Robert. Les petits panneaux de Thomson sont comme des sonnets d’amour dédiés au paysage du parc Algonquin et à la notion du Nord.
La tradition documentaire au Canada
La tradition documentaire a toujours eu une forte présence au Canada. Elle remonte aux militaires anglais qui, au dix-huitième siècle, consignent la topographie du pays par des dessins, des aquarelles et des huiles. Par la suite, des visiteurs et des colonisateurs tels que Paul Kane (1810-1871) se dirigent vers l’Ouest dans l’espoir d’y peindre des Autochtones avant qu’ils ne disparaissent complètement, comme on s’y attend à l’époque.
Cette approche documentaire est toujours bien présente à l’époque de Thomson, et le Groupe des Sept veut montrer à la population ce à quoi ressemble vraiment le vaste territoire canadien. Emily Carr (1871-1945) se montrera déterminée, elle aussi, à représenter les villages, les totems et les canots de guerre des Premières Nations établies sur la côte nord-ouest et le long de la rivière Skeena (comme dans La nuit sur la rivière Skeena, 1926) car elle présume qu’ils ne tarderont pas à disparaître. Les colons européens témoins du déclin fulgurant des populations autochtones – près de 90 pour cent dans des endroits comme Haida Gwaii (anciennement les îles de la Reine-Charlotte) – avaient une bonne raison de croire que les archives visuelles seraient sous peu le seul moyen de connaître ce qui existait autrefois en ces lieux.
Dans la même veine, A. Y. Jackson (1882-1974) peint les villages pittoresques le long du fleuve Saint-Laurent et, en 1926, les villages et les totems autochtones le long de la rivière Skeena, car il pressent que ceux-ci sont menacés de disparition. De l’avis même de Marius Barbeau, l’anthropologue canadien le plus éminent de l’époque, l’extinction des peuples autochtones sur le continent est alors imminente.
Thomson ne renonce pas à son désir ardent de documenter ce qu’il voit; c’est ainsi qu’il constitue ce que son mécène, le docteur James MacCallum, appelle son « Encyclopédie du Nord ». Le message que les futurs membres du Groupe des Sept souhaitent transmettre à leurs concitoyens canadiens repose sur la représentation. Comme l’exprime David Milne dans une lettre adressée à Harry McCurry de la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada) en avril 1932 : « Tom Thomson n’est pas populaire pour les qualités esthétiques dont il fait preuve, mais parce que ses œuvres sont assez proches de la représentation pour être acceptées par les gens ordinaires. »
À en juger par ses esquisses du printemps et de l’été 1917, Thomson semble commencer à se rendre compte qu’il y a une limite aux défis et à la satisfaction que peut lui apporter le parc Algonquin en tant que sujet. Pour répondre honnêtement à son sentiment de plus en plus profond de la puissance de l’art et afin d’être un artiste de son temps, il doit avoir l’intuition qu’il ne peut travailler éternellement de cette manière : il lui faudra bientôt reconnaître que la tendance expressionniste tournée vers l’abstraction et la peinture gestuelle sont déjà manifestes dans son œuvre, ainsi qu’en témoigne une de ses dernières esquisses, Après la tempête (After the Storm), 1917.
La photographie
Thomson vit à l’époque cruciale de la transition de l’art à la photographie et à l’aube du passage de la figuration à la peinture abstraite. Nous connaissons son intérêt pour la photographie puisqu’il a déploré la perte de nombreux rouleaux de pellicule exposée lors du chavirement de son canot par deux fois sur la rivière Spanish en 1912. Les rares photographies de son cru à nous être parvenues sont de simples instantanés, et non des propositions esthétiques. Ses tableaux, par contre, surpassent rapidement l’illustration pure et simple pour atteindre une puissante expression émotionnelle. Un peintre comme Thomson ne peint pas nécessairement ce qu’il voit : il peint ce qu’il souhaite nous faire voir et ressentir.
De tous les écrits sur les peintres de Toronto que Thomson connaissait, aucun ne mentionne que quiconque d’entre eux utilisait la photographie comme aide-mémoire. Ils utilisaient plutôt de petits panneaux de bois pour peindre sur le motif des croquis à l’huile du paysage et ensuite créer des toiles grand format à partir de certains d’entre eux. L’étonnante précision de Terre inondée (Drowned Land), 1912, et de quelques autres tableaux, soulève toutefois la question de savoir si Thomson se référait à l’occasion aux photographies qu’il prenait. Même après la découverte d’une cache de 40 de ses photos par sa nièce, en 1967, cette possibilité n’est toujours pas clairement résolue. Pour l’heure, aucune photo connue de Thomson n’est reliée à un de ses tableaux.
La mort de Thomson : mystère ou mythe?
La mort par noyade de Thomson le 8 juillet 1917 bouleverse tous ceux qui le connaissent et beaucoup de ceux qui ont entendu parler de lui. La nature tragique de son décès fait oublier l’ironie de cette disparition solitaire à des milliers de kilomètres des champs de bataille en France et en Belgique, où 66 000 jeunes Canadiens meurent pendant la Première Guerre mondiale.
La mort de Thomson est totalement inattendue. Le temps, ce jour-là, est clément et, en 1917, Thomson est un canoéiste expérimenté qui sait se comporter avec prudence. Malgré ses périodes de doute et de mélancolie, il est au sommet de sa carrière. Il ressent sûrement de l’inquiétude parfois, en raison de son ascension fulgurante comme artiste en à peine un peu plus de quatre ans, mais il n’y a aucune raison de croire qu’il ait des pensées suicidaires. Rien de l’état de son corps ne suggère qu’il s’est enlevé la vie.
Le matin du 8 juillet, Thomson aurait été vu en compagnie de Shannon Fraser, le propriétaire de Mowat Lodge, et plus tard à bord de son canot sur le lac Canoe. Rien n’indique qu’on l’aurait suivi, donc la rumeur voulant qu’il ait été assassiné tend toujours à mettre l’accent sur la soirée qui précède sa disparition. À l’époque, personne ne mentionne la possibilité qu’il se soit battu la veille ou que la blessure sur son front puisse être la cause de sa mort.
Par conséquent, l’explication la plus simple est probablement la bonne – Thomson se lève dans son canot, perd l’équilibre et tombe. Dans sa chute, il se frappe le front sur le plat-bord, s’assomme, glisse dans l’eau et se noie, tel que le confirme le rapport du coroner. Toutefois, dans son livre publié en 2010, Northern Light: The Enduring Mystery of Tom Thomson and the Woman Who Loved Him, Roy MacGregor mentionne avoir découvert de nouvelles informations, notamment des preuves médico-légales basées sur le crâne trouvé à l’emplacement de ce qu’il croit être la tombe de Thomson donnant sur le lac Canoe, qui laissent supposer qu’il a été assassiné. Ses recherches minutieuses devront être prises en compte par tout futur biographe de Thomson.
Quoi qu’il en soit, ce qui reste n’est pas un mystère mais un riche héritage, des œuvres pleines de signification et une délectation pour quiconque les contemple. Ce sont elles que Thomson voudrait que le spectateur étudie et admire plutôt que de se livrer à de vaines spéculations sur la manière dont il est mort. De toutes les représentations récentes de Thomson, que ce soit par les mots ou une autre forme artistique, les toiles Inondée (Swamped), 1990, et Canot blanc (White Canoe), 1990-1991, de l’éminent peintre Peter Doig (né en 1959), sont celles qui saisissent le mieux le mythe et le mystère du personnage. Doig, qui a passé son enfance et sa jeunesse au Canada, fait allusion à l’emblématique photographie de 1914, où l’on voit Thomson travailler à une esquisse dans son canot, à l’exception que, dans la pièce de Doig, le fantomatique canot blanc est vide.
Une popularité indéfectible
Les artistes de toutes les allégeances, qu’il s’agisse de peintres paysagistes ou non, reconnaissent que Thomson a doté le Canada d’un ensemble d’icônes fédérateurs qui définissent dans une large mesure l’identité visuelle canadienne telle que de nombreuses gens aiment se l’imaginer. Des poètes ont écrit sur son œuvre; des dramaturges ont mis sa vie en scène; des films, tant des fictions que des documentaires, ont fait connaître ses réalisations; des musiciens – classiques et populaires – ont composé des chansons l’évoquant; et une des pièces de théâtre à son sujet, Colours in the Storm, a fait l’objet d’une comédie musicale. En 2013, Kim Dorland (né en 1974), premier artiste en résidence à la Collection McMichael d’art canadien à Kleinburg, en Ontario, a réalisé des pièces qui renvoient directement à certains tableaux de Thomson. Dans l’exposition You Are Here: Kim Dorland and the Return to Painting (Vous êtes ici : Kim Dorland et le retour de la peinture), des œuvres des deux artistes étaient présentées côte à côte.
Sherrill Grace, spécialiste renommée, écrit dans Inventing Tom Thomson, que Thomson est une « présence lancinante » pour les artistes canadiens. Selon elle, pour les créateurs de toutes les disciplines, il « incarne l’identité artistique canadienne ».
Outre le milieu de l’art visuel contemporain, Thomson a marqué la culture populaire. Le groupe rock The Tragically Hip fait allusion à lui dans la chanson Three Pistols. Le film The Far Shore, de l’artiste Joyce Wieland (1931-1998), est un panégyrique de Thomson et une affirmation de leur attachement commun pour les régions sauvages du Canada. Plusieurs poètes, parmi lesquels Robert Kroetsch, Henry Beissel, George Whipple, Kevin Irie et Arthur Bourinot, ont aussi écrit des élégies à son sujet.
Le plus récent grand hommage à Thomson et à son œuvre est le spectaculaire film de 2011, West Wind: The Vision of Tom Thomson, réalisé par Michèle Hozer et produit par Peter Raymont.
Thomson et le marché de l’art
Bien que Thomson vende relativement peu de tableaux de son vivant, leurs prix sont plus que satisfaisants pour un artiste ayant peu d’attentes à cet égard : 500 $ pour Rivière du Nord (Northern River), 1915, représente une jolie somme à l’époque. Il est heureux d’obtenir 20 $ pour un petit panneau, mais le plus souvent il les offre en cadeau à des amis qui les apprécient. Même pour un célibataire, Thomson vit avec un maigre revenu. À sa mort, il laisse environ une douzaine de toiles et une grosse pile d’esquisses invendues.
Après le décès de Thomson, le Dr James MacCallum craint de ne pas arriver à vendre même cette petite quantité d’œuvres, étant donné l’appétit frugal des collectionneurs canadiens pour l’art contemporain. Mais, en quelques années, MacCallum, Lawren Harris (1885-1970), J. E. H. MacDonald (1873-1932) et A. Y. Jackson (1882-1974), vendent un bon nombre des toiles et des esquisses entreposées au Studio Building à Toronto. Vers 1922, Jackson estime que, des 145 esquisses qui s’y trouvent, environ 25 valent plus ou moins 50 $ chacune, 50 en valent 40 $ chacune et les 70 autres constituerait une bonne affaire à 20 $. Harris conseille alors aux frères Laidlaw de se procurer des œuvres de Thomson pour leur collection et, peu après, il apprend à MacCallum qu’ils ont acheté 20 esquisses pour la somme totale de 1 000 $.
Tout compte fait, le prix des œuvres de Thomson double au cours des cinq années suivant son décès – et continue de doubler à intervalles de quelques années depuis. En 1943, MacCallum fait don de son importante collection d’œuvres de Thomson, 85 au total, à la Galerie nationale du Canada (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada), à qui il avait vendu 29 esquisses à l’huile en 1918.
Puisque les toiles de Thomson ont presque toutes intégré des collections publiques peu après sa mort et que, de toute façon, elles sont peu nombreuses, le marché en ce qui le concerne se limite essentiellement à ses esquisses. Atteint le 26 novembre 2009, le montant le plus élevé payé pour une esquisse de Thomson, Début du printemps, lac Canoe (Early Spring, Canoe Lake), 1917, est de 2 749 500 $ lors d’une vente aux enchères organisée par la maison Heffel. Si une toile de qualité se retrouvait sur le marché, son prix de vente éclipserait sans doute la somme record payée pour un tableau canadien, qui s’établit actuellement à 5,1 millions de dollars pour une œuvre de Paul Kane. Mais seulement quatre ou cinq toiles de Thomson demeurent aujourd’hui entre les mains de propriétaires privés.