Composition 69 1960
Composition 69 est considéré comme le dernier tableau de Borduas. Il est vu et décrit par le poète, chansonnier et écrivain Jean-Paul Filion qui se rend à l’atelier de Borduas, alors qu’il est à Paris le 26 février 1960 pour les obsèques du peintre, mort le 22 février. Filion ne peut s’empêcher de remarquer ce tableau encore humide, posé sur le chevalet :
La peinture, encore fraîche, que je vois agrippée au chevalet me paraît être la représentation pure et simple d’une véritable carte mortuaire. Je la décris : une seule masse noire et immense couvrant la surface presque totale de la toile, avec, dans le haut, un mince horizon de blanc dans lequel baigne un soupçon de vert limpide et où le peintre a piqué deux petites formes noires rectangulaires, créant ainsi une perspective fascinante vers l’espace. Que viennent faire ces deux blocs, ces deux masques, ces deux fantômes, comme des bouts de linceul, et qui persistent à prendre toute la place dans un espace réduit de lumière inaccessible, le tout placé comme une exergue au sommet d’un haut mur de charbon luisant? Ce qui m’entraîne à voir dans cette œuvre limite l’illustration d’une sorte de désespoir vécu aux confins du cosmos. Ai-je tort d’imaginer cela?
On ne saura jamais quel tour aurait pris la peinture de Borduas, mort trop jeune à l’âge de 55 ans. Est-ce que Composition 69 indique la voie d’une sorte de renversement du noir et du blanc? Ses derniers tableaux extrêmement simplifiés donnent à penser qu’une percée vers la peinture hard edge n’est pas impensable pour Borduas. Tout cela doit rester spéculatif, cependant. L’œuvre de Borduas s’achève sur un tableau énigmatique, dont le mystère est bien évoqué par le texte de Filion.