Les dessins de Louis Nicolas, maintenant réunis dans le Codex canadensis, font partie des meilleurs exemples de l’art colonial en Nouvelle-France. Alors que la majorité des œuvres d’art en Nouvelle-France consistaient en des œuvres religieuses ou des portraits de dignitaires, l’art de Nicolas, au contraire, représentait les peuples autochtones, ainsi que les plantes et les animaux qu’il avait pu observer durant son séjour de onze ans dans la colonie. Comme tels, ils se distinguent des autres représentations européennes de l’Amérique du Nord. Les dessins de Louis Nicolas sont une précieuse ressource pour les historiens de l’art et pour les spécialistes en histoire naturelle.
Attribution du Codex canadensis
Les dessins et les cartes du Codex canadensis ne sont ni signés ni datés, et on ignore où l’album a été conservé pendant plus de deux cents ans après que Louis Nicolas les eut reliés. C’est en 1930 que Maurice Chamonal, un libraire spécialisé en livres anciens et connu pour son intérêt pour les Americana, publia le fac-similé d’un vieux manuscrit intitulé Les Raretés des Indes. L’original était un album de dessins à l’encre sur papier relié en cuir et orné de fleurs de lys sur la couverture, indication qu’il était destiné à la Bibliothèque du roi durant le règne de Louis XIV. Personne ne savait alors qui était l’auteur de ces curieux dessins.
L’individu qui introduisait l’édition de 1930, le Baron Marc de Villiers, était connu comme l’auteur d’une histoire de la Louisiane. Se basant sur les cartes et l’information qu’on pouvait tirer de la deuxième dédicace dans le manuscrit (p. 2), il data l’album de 1700 et l’attribua à Charles Bécart de Granville (1675-1703) – le seul, soutenait-il, ayant alors la formation nécessaire en cartographie, pour être capable de dessiner les deux cartes de l’album. On connaît de lui, en effet, une remarquable Vue de Québec (vers 1700). C’est aussi De Villiers qui intitula son fac-similé, Codex canadiensis (corrigé maintenant en Codex canadensis), titre qu’on lui donne habituellement aujourd’hui, malgré le titre Les Raretés des Indes qui paraît sur la tranche de la reliure.
En 1949, le magnat du pétrole Thomas Gilcrease (1890-1962) fit l’acquisition de l’album relié et le déposa dans son musée – aujourd’hui connu comme le Gilcrease Museum – à Tulsa, en Oklahoma. Depuis, des chercheurs de différentes disciplines – histoire naturelle de l’époque de la Renaissance, histoire religieuse de la Nouvelle-France, parrainage, cartographie, paléographie – se sont interrogés sur son origine et en ont conclu qu’il avait été produit en France au plus tard en 1700 par Louis Nicolas, un missionnaire jésuite qui servit en Nouvelle-France de 1664 à 1675.
Ce sont les liens entre quatre manuscrits maintenant attribués à Nicolas, à savoir une Grammaire algonquine, le Traité des animaux à quatre pieds, l’Histoire naturelle des Indes occidentales et le Codex canadensis, qui fondent cette attribution. Certes même si l’Histoire naturelle et le Codex sont très liés l’un à l’autre, les quelques notations très schématiques que l’on trouve dans l’Histoire naturelle ne suffiraient pas à établir une commune attribution. C’est plutôt l’allusion à son « traité des figures » et ses nombreuses références à des figures spécifiques dont il serait l’auteur dans l’Histoire naturelle qui confirme sa paternité du Codex.
Nicolas signa ce qui fut probablement son premier ouvrage, la Grammaire algonquine, datant vraisemblablement de 1672-1674, des initiales L. N. P. M., pour « Louis Nicolas, prêtre missionnaire ». Par contre, l’Histoire naturelle est signée M. L. N. P. – donc des mêmes lettres mais dans un ordre différent, probablement pour « Messire Louis Nicolas, prêtre », indiquant par là qu’il avait quitté la Compagnie de Jésus et était passé au clergé séculier. S’en remettant à la similarité de l’écriture, on ne doute plus que Louis Nicolas soit l’auteur et de l’Histoire naturelle et du Codex (y compris les légendes). De plus, les grandes correspondances entre les deux œuvres supportent fortement cette opinion.
Bien que les dessins du Codex eux-mêmes ne soient pas datés, les légendes semblent dater de 1700 (ou, au plus tard, du début de 1701). C’est une des trois dédicaces – la deuxième en réalité – intitulée « Couronne royalle » qui nous permet cette datation. Il y est, en effet, question de Philippe V, petit-fils de Louis XIV, nouvellement fait roi d’Espagne. Il est le premier Bourbon à siéger sur le trône d’Espagne. Son accession provoqua bientôt un conflit majeur en Europe, conflit connu comme la Guerre de la Succession d’Espagne (1701-1714). On craignait, en effet, que l’union de la France et de l’Espagne sous un seul monarque, bouleverse l’équilibre des pouvoirs. Cependant, cette guerre n’est pas mentionnée dans la légende du Codex. Nicolas a dû l’écrire tard en 1700 ou au tout début de 1701.
Il semble que les légendes et la numérotation des pages et des figures furent ajoutées après que les dessins furent terminés. On ne rencontre pas de superposition des légendes et des images. Les premières occupent toujours les interstices entre les images. Les dessins eux-mêmes datent probablement de la fin des années 1690. Ainsi, la légende du bel « étalon » en page 77 déclare qu’il est l’un des chevaux que Louis XIV expédia en Nouvelle-France, il y a « plus de trente ans ». Comme on sait que ces chevaux arrivèrent en 1667, Nicolas n’avait pu écrire ces mots bien avant 1697.
Nicolas est donc l’auteur des deux manuscrits, l’Histoire naturelle des Indes occidentales et le Codex canadensis, qui tout en constituant des volumes séparés, offrent beaucoup de correspondance. Il semble bien avoir commencé la rédaction de l’Histoire naturelle dans les années 1670, avant de quitter l’ordre des jésuites, avec l’espoir de la publier. Voici ce qu’il écrivait au début de l’Histoire naturelle : « Mon Dieu que je suis faché de m’etre embarqué dans une entreprise aussi difficile que celle de faire un narré du nouveau monde, ou il y a tant de choses a dire ». Il est très possible qu’il ait fait mettre des fleurs de lys sur la couverture de la reliure de ses Raretés des Indes(notre Codex canadensis) dans l’espoir de s’attirer quelques faveurs du roi, quand il l’aurait déposé à la Bibliothèque royale.
L’originalité de l’approche de Louis Nicolas
La majorité des œuvres d’art auxquelles Louis Nicolas aurait pu être exposé en Nouvelle-France était ou d’ordre politique (portraits de dignitaires), ou d’ordre religieux – que ce soit sous forme de tableaux, de sculptures ou de décorations d’église. C’est dans ce contexte particulier que le talent de dessinateur d’histoire naturelle de Louis Nicolas se détache avec tant d’originalité, comme unique en son temps.
Seulement quelques œuvres d’art étaient créées dans la colonie. La métropole, voulant maintenir la colonie sous sa dépendance, imposait que certains objets faciles à transporter comme les tableaux – on roulait les toiles en fond de cale, quitte à les encadrer une fois à destination – soient faits en France et exportés outre-Atlantique. À cause de leur poids, les sculptures font exception. C’est ce qui permit à Noël Levasseur (v. 1680-1740) et à plusieurs membres de sa famille de faire carrière au Québec pour plus d’un siècle.
Quelques religieux artistes créèrent des tableaux sur des thèmes religieux durant leur séjour en Nouvelle-France. Le plus célèbre d’entre eux fut Claude François, dit le frère Luc (1614-1685). Il fit le portrait de Monseigneur de Laval et est l’auteur d’une Assomption, 1671, faite pour la chapelle des récollets à Québec (tableau qui se trouve maintenant à l’Hôpital général). Hugues Pommier (1637-1686) « sepiqauit de peinture ». Il a pu être appelé à peindre le portrait de Marie de l’Incarnation. Les jésuites Jean Pierron (1631-1700) et Claude Chauchetière (1645-1709) se consacrèrent à la peinture missionnaire dans le but de convertir les Autochtones à la religion catholique.
Une des plus célèbres peintures de la période, La France apportant la foi aux Hurons de la Nouvelle-France, vers 1670, fut commanditée par les Hurons et exécutée par un peintre inconnu en France, et donnée aux jésuites pour leur église de Québec. On y a représenté un Huron agenouillé devant la reine Anne d’Autriche, la mère de Louis XIV, qui lui montre un tableau consacré à la Sainte Famille étendue (incluant Joachim et Anne, les grands-parents de Jésus). Un navire français est amarré dans la baie à l’arrière-plan; on a dépeint aussi deux petites chapelles huronnes, le tout dans un paysage conventionnel. Plusieurs gravures, notamment par Grégoire Huret (1606-1670), décrivent le martyre des jésuites Jean de Brébeuf (1593-1649) et Gabriel Lalemant (1610-1649).
La vie n’était pas facile aux premiers temps de la colonie. On y était plus préoccupé de survie, d’échanges et de commerce que de culture. L’art pouvait être considéré comme un luxe sauf pour les besoins religieux des colons. Les individus qui avaient survécu à une maladie grave, à une tempête en mer, ou à toute autre forme de danger, remerciaient Dieu en commandant à un peintre un ex-voto où était décrit leur malheur. Le Musée de Sainte-Anne-de-Beaupré conserve plusieurs de ces images souvent naïves et touchantes.
Bien peu d’artistes ou cartographes pensèrent à recenser les merveilles naturelles de cet étonnant et nouveau pays. Louis Nicolas fait exception. Il prit conscience de la nouveauté de ce qui l’entourait et rêva de la faire connaître à tous, à commencer par Louis XIV. Voici d’ailleurs ce qu’il disait dans l’Histoire naturelle :
[…] quelle apparence y a-t-il, même après 20 Ans d’un travail assidu, et de fort grands voyages reyteré, je puisse dire tout ce qu’il faut de tant de belles curiosités d’un pays étranger : ou toutes choses sont differentes du nôtre! quel moyen de reduire en petit tant de si vastes terres, et de parler en peu de mots de tant de differents objets dequels si je voulois discourir a fonds je n’aurois jamais fait.
Bien que Nicolas ait quitté la Nouvelle-France en 1675, il semble que ce n’est pas avant les années 1680 qu’il se soit mis sérieusement à la rédaction de son Histoire naturelle. Quand il se persuada que cette œuvre seule était insuffisante pour réaliser ses objectifs, il entreprit un album de dessins, Les Raretés des Indes, que l’on désigne aujourd’hui sous le nom de Codex canadensis, dans lequel il illustra les mêmes plantes et les mêmes animaux qu’il avait mentionnés dans son Histoire naturelle. On doit comprendre toutefois qu’il s’agit de deux volumes séparés, même s’ils sont assez fortement reliés l’un à l’autre pour avoir donné aux savants l’idée de les attribuer au même auteur.
L’artiste comme naturaliste
Durant ses onze années comme missionnaire en Nouvelle-France, de 1664 à 1675, Louis Nicolas voyagea beaucoup. Il donne l’impression de s’être moins intéressé à la conversion des âmes qu’à faire l’histoire naturelle de ce vaste pays, en observant les premiers habitants des lieux, ses plantes, ses animaux, ses oiseaux, ses insectes et ses poissons.
Le Codex canadensis, le seul manuscrit illustré parmi les œuvres attribuées à Louis Nicolas, est un des plus importants documents de la fin du dix-septième siècle en Amérique du Nord – à la fois comme œuvre d’art et œuvre scientifique. Toutes les plantes illustrées dans le Codex, sauf la fleur de la passion (passiflora), et tous les animaux (mammifères, oiseaux et poissons), même la « Licorne de la mer rouge », sont mentionnés et décrits dans l’Histoire naturelle. Il arrive même que les animaux soient présentés dans le même ordre et désignés par les mêmes termes. La seule section du Codex qui n’a pas son répondant dans l’Histoire naturelle est la section proprement ethnographique – décrivant les premiers peuples et leur mode de vie. Il se peut que Louis Nicolas ait écrit sur le sujet et que son travail se soit perdu… ou simplement qu’il n’ait pas été retrouvé. Bref, les soixante-dix-neuf pages du Codex sont illustrées de 180 dessins à l’encre, quelques-uns rehaussés de couleur (aquarelle ou tempera?).
À la fin du dix-septième siècle, on était à la veille de la période des Lumières, une période qui verra une intense activité coloniale, et une consécration dans la recherche et l’étude de la nature, du passé et des autres cultures. Nicolas, cependant, a vécu avant le grand botaniste et zoologue suédois Carl von Linné (1707-1778), qui est à l’origine de la classification moderne des espèces. Aussi, en bon jésuite, Louis Nicolas organisa ses illustrations selon l’ordre hiérarchique qu’il avait appris et qui s’inspirait d’Aristote : d’abord les humains, au sommet; puis les plantes, les mammifères, les oiseaux et les poissons; et finalement quelques images recensant les premiers découvreurs de l’Amérique du Nord et quelques animaux domestiques qu’ils avaient apportés avec eux. Nicolas affirmait avoir vu toutes les espèces qu’il avait dessinées, y compris la licorne de la page 27 du Codex! Son approche est cohérente avec la perception religieuse et anthropocentriste de la nature, selon laquelle Dieu a tout fait au bénéfice de l’homme. Par exemple, le castoreum, une sécrétion produite par les glandes du castor et qui lui sert à marquer son territoire, était prisé par Nicolas et ses contemporains comme un remède extraordinaire. La légende de sa représentation du « grand serpent à sonnettes » donne des précisions sur la manière de traiter ses morsures, et, à propos de l’anguille figurée sur la même page, Nicolas déclare qu’on en produit « plus de cinquante mille bariques (sic) dans trois mois tous les ans ».
Les 18 plantes, 67 mammifères, 56 oiseaux, 33 poissons et 10 reptiles et insectes du Codex sont dessinés avec soin et choisis surtout pour leurs utilité à l’homme. Nicolas est sensible aux propriétés pharmaceutiques de certaines plantes et met en valeur soit leurs racines, leurs fleurs ou leurs fruits selon leur utilité. Par exemple, ce sont les racines comestibles de la Sagittaire à larges feuilles (ounonnata), prisées des Autochtones, qu’il met en valeur dans son dessin. Nicolas mentionne beaucoup plus de plantes et les décrit avec plus de détails que les premiers découvreurs comme Jacques Cartier, Samuel de Champlain, ou le gouverneur Pierre Boucher, auteur d’une Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du pays de la Nouvelle-France vulgairement dite le Canada, 1664.
Nicolas groupe ses animaux, oiseaux et poissons selon leur taille, du plus petit au plus gros; de la souris à l’orignal, de l’oiseau-mouche au grand-duc, du poisson blanc à la baleine (pour Nicolas, la baleine est un poisson; tout ce qui vit dans l’eau, comme la loutre, la tortue, le cheval de mer, est poisson). Cette classification fait peut-être plus de sens que la classification alphabétique utilisée par le grand savant suisse Conrad Gessner (1516-1565), dans son Historia Animalium, 1551-1558, 1587, sa principale source d’inspiration. Les dessins de Louis Nicolas sont souvent étonnants de réalisme et d’originalité, comme ses représentations de l’orignal. Il le représente dans différentes poses et sous différents angles : debout, en train de manger, au repos. En général les artistes de la période travaillaient à partir d’animaux morts, les représentant le corps raide et la langue pendante, comme le castor de Gessner, dont Louis Nicolas s’est inspiré.
Les représentations d’oiseaux sont parmi les images les plus exactes et attachantes du Codex. Nicolas dessina la plupart d’entre eux à l’encre, utilisant les hachures et les traits droits ou chevronnés pour dépeindre le plumage, les têtes huppées, les pattes agriffées, et certains ont été hautement colorés. On admire en particulier la page des hiboux. Il faut dire aussi que ces représentations sont remarquablement exactes. Je me souviens qu’à une réunion de la Société des ornithologistes du Canada en octobre 2003, à Saskatoon, les membres auxquels on avait montré des reproductions de quelques pages consacrées aux oiseaux dans le Codex, étaient parfaitement capables de les identifier, sans lire les légendes.
Nicolas a annexé deux cartes dessinées avec soin et fortement enluminées dans le Codex pour donner une idée des grandes étendues qu’il avait parcourues pendant son séjour en Nouvelle-France. La première donne une vue d’ensemble de la Nouvelle-France, incluant le bassin du Saint-Laurent, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. On y montre aussi la Nouvelle-Angleterre, le futur état de New York, Terre-Neuve et jusqu’à la région des Grands Lacs. La seconde est une carte détaillée de la « Manitounie » – c’est-à-dire le Mississipi et ses alentours, explorés par le jésuite Jacques Marquette et le marchand français Louis Joliette en 1673. Comme le faisaient les cartographes de son époque, Louis Nicolas a noté les noms des agglomérations humaines, des rivières et des lacs. Sa carte est aussi ornée de la représentation d’un grand serpent à sonnettes et d’un poisson « chausarou » (le lépisosté osseux) en train de nager dans les flots en zigzags.
Le Codex canadensis est sans équivalent à son époque en Nouvelle-France, une œuvre d’art d’une rare qualité décrivant plantes et animaux. C’est la raison qui rend le Codex canadensis de Louis Nicolas si précieux.
Représentation des premiers peuples
Les dix-neuf pages consacrées par Louis Nicolas dans le Codex canadensis à la représentation et à la description des peuples autochtones qu’il rencontra durant ses voyages missionnaires sont un précieux compte-rendu de la vie des premiers peuples à la fin du dix-septième siècle. Ces images se veulent moins des « portraits » au sens étroit du mot que la représentation de certains « types » d’Autochtones rencontrés par Nicolas, à l’exception de celui d’Iscouakité, représenté en page 14, le chef Outaouais borgne qui avait encouragé ses gens à la « prière ». Ce portrait est, avec celui de Kateri Tekakwitha, le seul portrait connu d’individu autochtone fait en Nouvelle-France.
Au total, onze peuples différents sont évoqués dans le Codex. Nicolas représenta leurs costumes rituels, le style de leur coiffure, les pipes, tomahawks, boucliers, sacs à tabac, et autres objets. On ne trouve pas, au dix-septième siècle, de représentations aussi détaillées des tatouages que dans l’œuvre de Louis Nicolas. L’homme du village de Gannachiou-aé, par exemple, est tout tatoué. Il fume une longue pipe compliquée. Il vient inviter au jeu les habitants d’un village iroquois du voisinage. Il tient dans ses mains un énorme serpent, le « dieu du feu », que les Autochtones invoquent en chantant et dansant, nous dit la légende.
Les autres images sont consacrées à la représentation des habitations et moyens de transport (raquette, traîne sauvage, canot, kayak) et aux techniques de pêche ou de combat. À notre connaissance, Nicolas est le seul de ses contemporains à avoir représenté un masque de la Société-des-Faux-Visages – une association iroquoise d’hommes-médecine. Il a aussi représenté les tortures subies par une femme captive (probablement huronne) dont il a été témoin en territoire iroquois. Bien qu’il désapprouvât l’hostilité que ces deux groupes rivaux se vouaient depuis longtemps et leur recours à la torture illustré par le martyre des pères jésuites Jean de Brébeuf et Gabriel Lalemant à Sainte-Marie-aux-Hurons deux décennies auparavant, la légende de cette scène est curieusement dépourvue de jugement : « figure dune femme prise a la guerre a qui on avoit arraché avec les dans toutes les ongles Je lay veue brulé dans le bour de toniotogéhaga durant six [dix?] heures pendant lesquelles on lescorcha a petit feu elle fut mangée en partie par les Iroquois et par leurs chiens. »
Les représentations des populations autochtones par Louis Nicolas étaient influencées par les préjugés de son temps. Aussi, dans son Histoire naturelle, Nicolas, comme la plupart de ses contemporains, se montre à l’occasion critique de certains traits de mœurs des peuples qu’il a fréquentés. Ils désignent les premiers habitants comme « les sauvages » ou « les barbares » et n’a que mépris pour leurs pratiques religieuses. Comme ses collègues missionnaires, il était convaincu de posséder la vérité et que les croyances des Autochtones n’étaient que des faussetés inventées par le Diable. Il était convaincu que s’ils ne se convertissaient pas, ils étaient condamnés aux feux de l’Enfer.
Pourtant, Louis Nicolas semble avoir été sensible à la richesse de la vie humaine et naturelle qu’il avait pu observer au cours de ses voyages, si différente de celle qu’il avait pu connaître en Europe. Son Histoire naturelle est remplie d’informations sur les premiers peuples de Nouvelle-France, sur leurs modes de vie, et de détails sur leur façon de guérir les malades et sur les plantes médicinales qu’ils utilisaient. Il décrit avec admiration comment les femmes utilisaient les piquants de porc-épic pour leurs travaux décoratifs. Personne, y compris les auteurs des Relations des jésuites, ne nous a fourni autant d’informations sur les premiers peuples, à cette époque.
Il décrit « nos Américains sauvages » comme « des braves guerriers, des grands veneurs, et entièrement détachés du mécanique. Il faut dire qu’ils sont sans doute très nobles, du moins à leur manière ». Dans les légendes de ses dessins du Codex, il ne porte pour ainsi dire pas de jugements sur les mœurs qu’il décrit, se contentant de représenter le mieux possible la scène qu’il avait devant les yeux.
Louis Nicolas influença-t-il les conceptions que l’on se faisait des Autochtones de l’Amérique du Nord? Nous savons qu’il souhaitait que son Histoire naturelle soit publiée, sinon imprimée et puisse rejoindre une plus grande audience parmi les gens instruits de son temps – pour cette raison, il l’écrivit en français, plutôt qu’en latin. Malheureusement, elle demeura à l’état de manuscrit et ne fut consultée que par très peu de personnes. Par ailleurs, Louis Nicolas vit à ce que la reliure du Codex le rendit présentable à Louis XIV et acceptable pour la Bibliothèque royale. Nous n’avons aucune preuve qu’il ait été accepté à cet endroit, mais il a disparu de la circulation pour deux cents ans. Il n’a pu avoir une grande influence avant sa publication en fac-similé en 1930 et avant 1949, date de son acquisition par le Gilcrease Museum.