Naufrage 1964
Ce tableau composé de multiples cadres représentant le naufrage d’un voilier fait partie d’un corpus d’œuvres datant de 1963 à 1966, appelées les « tableaux désastres ». Les variations sur ce thème séquentiel illustrent des bateaux et des paquebots qui coulent, de même que quelques écrasements d’avion, comme le saisissant Double Crash, 1966. Dans l’ensemble des tableaux représentant des bateaux, la séquence narrative est simple : un navire apparaît en position horizontale à l’horizon, puis de cadre en cadre il s’incline et s’enfonce, pour finalement être englouti par les vagues dans la dernière scène.
Wieland limite l’information visuelle requise pour construire ces scénarios. Dans certains cadres, le bateau se résume à un simple triangle blanc suggérant une voile, et la mer est évoquée par une étendue de peinture bleue marquée de stries. Malgré cette approche épurée, les formes géométriques sont compréhensibles en tant qu’objets et espaces, et il est facile de s’identifier à ces bateaux qui tiennent le premier rôle dans ces séquences presque cinématographiques. Dans certains cas, Wieland fait explicitement référence à des films dans ses titres, comme dans Boat (Homage to D.W. Griffith), 1963, où elle cite le nom du réalisateur de films muets. Dans d’autres œuvres, le passage abrupt du plan rapproché au plan général représente clairement une stratégie cinématographique de construction visuelle d’un récit.
On peut comparer les tableaux désastres de Wieland aux œuvres d’Andy Warhol (1928-1987) représentant des accidents de voiture, réalisées vers la même époque. Les deux artistes sont préoccupés par la normalisation d’un monde qui présente quotidiennement des catastrophes dans le cadre d’un spectacle continu de médias et de divertissements. Les dessins de Wieland sont cependant plus fantaisistes que les œuvres réalisées à partir de photographies de Warhol. Elle parvient par ailleurs à manipuler de façon astucieuse la réaction émotionnelle du spectateur. Le petit bateau à la dérive dans Naufrage est certes absurde, mais on peut difficilement rester insensible au drame qui se déroule et à son issue tragique.