Le cerf de London 1968-1970
Dans ses films, Chambers peut travailler la dimension temporelle que la peinture ne lui permet pas de rendre pleinement. Olga et Mary en visite, 1964-1965, et ses peintures argentées de 1966 et 1967 ne peuvent qu’évoquer cette voie. Bien que projeté en temps « réel », un film avance inévitablement; Chambers ne se contente jamais d’un simple récit linéaire. Dans Le cerf de London, son film achevé le plus long et le plus ambitieux, il joue du temps de mille et une façons.
Pour réaliser la chasse et la capture éventuelle du cerf, qui donne au film son titre équivoque – en anglais, hart (cerf) est l’homonyme de heart (cœur), Chambers utilise des séquences d’actualités de 1954, généreusement empruntées des archives de CFPL-TV London. Il insère aussi des séquences qu’il avait filmées en Espagne pour la scène cruciale de l’abattoir. À London, il tourne la délicate séquence près de la fin où ses fils nourrissent un cerf domestiqué à London, alors que leur mère Olga murmure « Faites bien attention », ainsi que les séquences transcendantes montrant l’eau et le ciel qui terminent le film. La voix hors champ d’Olga est non seulement poignante, vu la fragilité des jeunes enfants et du cerf, mais surprend aussi, car la plus grande partie de la bande-sonore du film ne suit pas ni ne se rattache à la narration.
Le cerf est un chef-d’œuvre de superpositions sans fin. Le film explore la vie et la mort, le sentiment d’appartenance et le déplacement personnel, ainsi que la subtile esthétique de la représentation. C’est un film personnel et spirituel, qui porte la marque de la leucémie dont Chambers se sait atteint. Le regretté cinéaste américain d’avant-garde, Stan Brakhage, a dit du Cerf : « Si je devais nommer les cinq plus grands films [jamais réalisés], celui-là en ferait certainement partie. » Et ce bel éloge n’est même pas hyperbolique. Le cerf de London est au cœur de l’extraordinaire accomplissement de Chambers.