Jack Chambers compte parmi les artistes canadiens de son époque à avoir le mieux réussi, tant sur le plan critique que financier. Né à London (Ontario), en 1931, il brûle du désir de voyager et de devenir artiste professionnel. Dans les années 1950, il étudie à Madrid les traditions classiques de l’Espagne et de l’Europe. De retour à London en 1961, il adhère pleinement au mouvement de l’art régionaliste de la ville. En 1969, il reçoit un diagnostic de leucémie et meurt en 1978.

 

 

Enfance et jeunesse

John Richard Chambers voit le jour à l’hôpital Victoria de London (Ontario), le 25 mars 1931. (Il signera « John » jusque vers 1970 et on l’appelle souvent John Chambers.) Ses parents, Frank R. et Beatrice (McIntyre) Chambers, sont de la région. La famille de sa mère exploite une ferme tout près; son père est soudeur. Il a une sœur, Shirley, son aînée d’à peine un an. Dans son autobiographie, Chambers raconte d’une plume vive les souvenirs de son enfance heureuse.

 

Art Canada Institute, Jack Chambers, Chambers’s mother, Beatrice (née McIntyre), and his father, Frank R. Chambers
La mère de Chambers, Beatrice (née McIntyre), et son père, Frank R. Chambers.

 

Art Canada Institute, Jack Chambers, Portrait of Marion and Ross Woodman,1961
Jack Chambers, Portrait de Marion et Ross Woodman, 1961, huile sur bois, 78,7 x 91,4 cm, collection de Marion et Ross Woodman.

Sa formation artistique commence tôt et bien. En 1944, au Sir Adam Beck Collegiate Institute de London, il suit les cours du peintre Selwyn Dewdney (1909-1979), qui l’encourage à exposer ses premiers tableaux. « Selwyn et son épouse Irene deviendront de fidèles amis », se rappellera Chambers. À l’automne de 1946, il s’inscrit à la H.B. Beal Technical School de London. Son principal professeur, Herb Ariss (1916-2009), « adopte une attitude beaucoup plus professionnelle à l’égard du travail et de la discipline » que ne le fait habituellement un enseignant du secondaire. À cette époque, Chambers dévore aussi les livres d’art de la bibliothèque publique de London. Il est diplômé de Beal en juin 1949.

 

Avide de nouvelles expériences artistiques, il se rend à Québec et à Mexico l’automne et l’hiver suivants. En 1952, il fréquente l’Université de Western Ontario où il suit le cours du professeur de littérature anglaise et spécialiste de l’art, Ross Woodman. Chambers et Woodman se passionnent tous deux pour les dimensions spirituelles de l’existence et la capacité de l’art à explorer ces domaines. Woodman et son épouse Marion Woodman, l’analyste jungienne réputée, seront ses mentors et fidèles amis. Toutefois, Chambers, qui cherche toujours la façon de devenir un artiste sérieux, quitte Western et embarque à New York pour l’Europe en septembre 1953.

 

 

Des études en Espagne

Pour un temps, Chambers voyage : Rome, l’Autriche, puis le sud de la France. Toujours audacieux dans la poursuite de ses désirs et résolu à se former comme artiste, il raconte qu’il s’est présenté sans s’annoncer à la maison de Pablo Picasso (1881-1973). Face à la grille d’entrée verrouillée, il a escaladé le mur et a réussi à obtenir une audience. Picasso lui conseille alors d’étudier à Barcelone.

 

Art Canada Institute, Jack Chambers, Pablo Picasso at home in Cannes, in front of one of his paintings, 1955
Pablo Picasso, chez lui à Cannes, devant un de ses tableaux, 1955.
Art Canada Institute, Jack Chambers, Antonio López García, My Parents, 1956
Antonio López García, Mes parents, 1956, huile sur toile montée sur carton, 87,6 x 104,1 cm, Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris.

Chambers finit plutôt par fréquenter une école d’art à Madrid. En mai 1954, après bien des détours, la prestigieuse, mais très traditionnelle Escuela Central de Bellas Artes de San Fernando (école centrale des beaux-arts de San Fernando) lui accorde l’admission. Il commence ses cours en octobre 1954, excelle dans ses études et obtient son diplôme cinq ans plus tard, au printemps de 1959.

 

Chambers adopte l’Espagne, apprend l’espagnol, se convertit au catholicisme en 1957 (sa religion première est le baptisme) et, en 1959, rencontre sa future épouse, Olga Sanchez Bustos.

 

En 1960, il achète un appartement dans le village de Chinchón, près de Madrid, car il prévoit y rester. Il présente sa première exposition individuelle à la Galeria Lorca, à Madrid, en 1961. Chambers est proche de ses camarades d’étude à Madrid, surtout d’Antonio López García (né en 1936). Les deux travaillent étroitement avec d’autres étudiants de la Escuela Central, formant l’éminent groupe des nouveaux réalistes espagnols.

 

Sa vie durant, Chambers aura des relations assez suivies avec ces artistes. Il est possible d’établir des parallèles entre son travail de 1968 et le réalisme caractéristique de ce groupe. Toutefois, lorsqu’il vivait en Espagne, ses toiles étaient techniquement habiles, mais leur atmosphère et leur sujet étaient sombres – reflets de sa propre pauvreté, des conditions de vie en Espagne sous le règne fasciste de Franco et de sa découverte du surréalisme.

 

 

Le retour au Canada

En mars 1961, une lettre lui apprenant la grave maladie de sa mère vient bouleverser sa vie. Il retourne à London où il est ébahi par l’essor du milieu artistique, animé par Greg Curnoe (1936-1992), qui deviendra bientôt son grand ami. Après avoir renoué avec Ross Woodman et d’autres amis artistes, Chambers décide finalement de rester au Canada.

 

Art Canada Institute, Jack Chambers, Greg Curnoe, The Great Canadian, 1965
Greg Curnoe, The Great Canadian, The Old Turd (Le grand Canadien, le vieux con), 1965, techniques mixtes, 65,4 x 92,7 cm, McIntosh Gallery, Université Western, London, Ontario © SODRAC.

 

Par ailleurs, il se remet au courant de l’évolution de l’art international et réussit à se faire représenter par la Forum Gallery de New York en 1961. Il y participera à deux expositions collectives et présentera une exposition individuelle en 1965. Le décès de sa mère survient en août 1962. En juin 1963, il se rend en Espagne pour vendre son appartement. Olga et lui décident de s’épouser et de revenir au pays; le mariage est célébré à l’église catholique St. Peter de London en août 1963. Ils auront deux enfants, John (né en 1964) et Diego (né en 1965).

 

 

Un maître canadien

Chambers deviendra un chef de file des communautés artistiques de London et de Toronto où il est d’abord représenté par la dynamique Isaacs Gallery. Il enseigne à l’Université de Toronto en 1966. Durant la première moitié des années 1960, il travaille le film, la peinture à l’aluminium et divers plastiques. En 1968, il gagne le premier prix de peinture et de cinéma à l’exposition Artistes canadiens 1968 (Canadian Artists ’68) du Musée des beaux-arts de l’Ontario (pour Regatta No. 1 (Régate no 1), 1968, et son film R 34, 1967, portant sur son ami, l’artiste Greg Curnoe).

 

Vers la fin des années 1960, Chambers élabore sa théorie du réalisme perceptuel – une position pleinement articulée qui détaille le rapport profond et spirituel de l’art avec l’expérience sensorielle primaire –, et il produit ce qui demeure ses films et ses tableaux les plus remarquables.

 

Art Canada Institute, Jack Chambers, Regatta No. 1, 1968
Jack Chambers, Régate no 1, 1968, huile et mine de plomb sur papier monté sur plexiglas, 129,5 x 122,5 cm, Museum London.
Art Canada Institute, Jack Chambers, Kim Ondaatje, Jack Chambers, and Tony Urquhart
Kim Ondaatje, Jack Chambers et Tony Urquhart à la deuxième conférence nationale de CARFAC, 1973.

 

En 1967-1968, Chambers et ses camarades artistes de London, Tony Urquhart (né en 1934), Kim Ondaatje (née en 1928), Greg Curnoe et Ron Martin (né en 1943) fondent la Canadian Artists’ Representation (CAR, qui deviendra plus tard CARFAC, avec l’ajout de son équivalent de langue française, Le Front des artistes canadiens), une association pionnière qui instaure un système de gestion des droits d’auteur des artistes au Canada et dans le monde entier. L’organisme est toujours actif aujourd’hui.

 

 

Une carrière abrégée

En juillet 1969, Chambers est hospitalisé à London et reçoit un diagnostic de leucémie myéloblastique aiguë. Il est alors âgé de 38 ans. Pendant le temps qui lui reste, il voyage beaucoup – aux États-Unis, au Mexique, en Angleterre et en Inde – à la recherche d’un traitement. Il travaille aussi sans relâche à ses tableaux, estampes et films, obtenant la reconnaissance publique et le succès financier, ce qui est rare pour un artiste canadien.

 

Art Canada Institute, Jack Chambers, Jack Chambers in his studio in the late 1960s
Jack Chambers dans son atelier à la fin des années 1960, photographié par Michael Ondaatje.

 

Art Canada Institute, Jack Chambers, Nancy Poole, Chambers’s art dealer, in London
Nancy Poole, la galeriste de Chambers, à London (Ontario).

Sa maladie le pousse à se concentrer sur le caractère miraculeux de la vie et l’importance du quotidien; il représente souvent des scènes domestiques, comme son célèbre Sunday Morning No. 2 (Dimanche matin no 2), 1968-1967. Son diagnostic le motive aussi à veiller à l’avenir financier de sa famille et c’est la raison pour laquelle il délaisse le film pour se consacrer à la peinture qui peut rapporter davantage.

 

En 1970, il fait de sa concitoyenne de London et galeriste, Nancy Poole, sa seule représentante commerciale. Son tableau 401 Towards London No. 1 (La 401 vers London no 1), 1968-1969, est vendu 5 000 $. Chambers soutient que ses œuvres valent beaucoup plus que leur valeur marchande, au moins cinq fois plus. Grâce au travail de Poole auprès des collectionneurs, Chambers obtient, en 1970, deux nouveaux prix records pour une œuvre réalisée par un artiste canadien vivant : 25 000 $ pour Dimanche matin no 2 et 35 000 $ pour Victoria Hospital (L’hôpital Victoria),1969-1970.

 

Toujours en 1970, le Musée des beaux-arts de l’Ontario et la Vancouver Art Gallery organisent une rétrospective de son travail. Chambers continuera de réaliser des tableaux, des dessins et des films remarquables jusqu’à sa mort, à l’âge de 47 ans, en avril 1978.

 

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