Le Lac Saint-Charles v. 1860
La scène présente les transformations qui se sont opérées, au tournant de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, dans les zones périphériques du village de Lorette, alors que des résidents de Québec y faisaient construire des maisons de campagne et des camps de chasse. La présence des figures réunies dans les embarcations, du bateau à vapeur, de l’habitation, des quais et des troncs d’arbres qui jonchent le rivage, témoigne de l’essor de la colonisation et des infrastructures touristiques, comme l’a noté l’historienne Véronique Rozon : « La rivière Kabir Kouba ou la Saint-Charles met en évidence l’affluence des Blancs sur un territoire fréquenté par les chasseurs et pêcheurs hurons depuis leur arrivée à Lorette au dix-septième siècle. On y voit des barques de touristes, plutôt que des canots amérindiens, et une maison appartenant possiblement à un bourgeois de Québec. »
Ce paysage rappelle celui de l’arrière-plan de l’autoportrait Zacharie Vincent Telari-o-lin, v. 1875-1878. La perspective de la position latérale de la rive ainsi que l’échelle des embarcations, de l’habitation au loin et des figures semblent respectées, hormis le bateau à vapeur, qui paraît miniaturisé. Les reflets des éléments dans l’eau sont fidèlement rapportés.
Cornelius Krieghoff (1815-1872), qui a également représenté cette région, aurait fait appel à Vincent comme guide lors de ses randonnées de pêche. Dans son œuvre Narrows on Lake St. Charles (L’Étranglement du lac Saint-Charles), 1859, Krieghoff se représente de dos, dans une barque, accompagné de collègues identifiés comme John Budden, un homme connu sous le nom de Gibb, et un certain Gabriel Teoriolen, selon l’inscription émise par l’anthropologue Marius Barbeau au verso de sa photographie. D’autres sources — comme un article anonyme dans La Presse, le 6 juin 1936 — font mention de « Tehariolen, un Huron de Lorette ». Si, en 1859, Zacharie Vincent correspond sensiblement à l’âge du guide autochtone prenant place aux côtés de Krieghoff, soit une quarantaine d’années, d’autres Hurons portaient en ce temps le nom de Teharolin, épelé différemment selon les sources. Si Vincent demeure le seul, à l’époque, à côtoyer le milieu artistique de Québec, il est possible de l’identifier, dans l’œuvre, à la figure du guide.