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La carrière de Takao Tanabe est largement définie par la façon dont il repense le genre du paysage tout en réinventant sa technique. Bien que ses premières années soient marquées par son intérêt pour l’abstraction, les peintures qu’il crée ensuite en viennent à changer la conception entretenue par la population canadienne à l’égard des Prairies et de la côte du Pacifique. À titre de responsable du programme d’arts visuels de la Banff School of Fine Arts (aujourd’hui le Centre des arts de Banff), Tanabe joue un rôle essentiel dans la formation artistique de la relève et, plus récemment, il se fait connaître comme un défenseur infatigable des nouvelles générations d’artistes du Canada. Considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands paysagistes au pays, Tanabe crée un vaste ensemble d’œuvres qui trouvent un écho profond auprès de ceux et celles qui s’intéressent aux panoramas canadiens.

 

 

Identité et ascendance

Takao Tanabe et sa sœur, Meiko, à Seal Cove, C.-B., 1937, photographie non attribuée.
La Réserve des pêcheurs rassemble les bateaux de pêche canadiens japonais à Steveston, C.-B., 10 décembre 1941, photographie du ministère canadien de la Défense nationale, Bibliothèque et Archives Canada, Ottawa.

L’enfance de Takao Tanabe se déroule à Seal Cove, un petit village de pêche en Colombie-Britannique composée d’une communauté majoritairement japonaise dans les années 1920 et 1930. En 1937, à l’âge de onze ans, Tanabe déménage à Vancouver avec sa famille, où ils habitent jusqu’à leur déplacement forcé à l’intérieur des terres pendant la Seconde Guerre mondiale avec plus de 22 000 autres Canadien·nes japonais·es de la côte Ouest. Les événements déchirants de l’internement de Tanabe dans le camp de Lemon Creek pendant la guerre l’exposent à un racisme manifeste qui affectera sa famille et toutes les facettes de sa vie. Son identité en tant que citoyen canadien est soudainement remise en question et le pousse à reconsidérer sa place dans le monde.

 

Né et élevé au Canada, Tanabe ne se considérait pas comme un Japonais malgré ses origines. Cependant, l’expérience de la relocalisation forcée et de l’internement l’amène soudainement à réfléchir à son rôle de « l’Autre ». Comme beaucoup d’autres Nisei, ou Canadien·nes japonais·es de deuxième génération (dont beaucoup étaient jeunes pendant la guerre), Tanabe éprouve des sentiments complexes à l’égard de son héritage et de son internement. Ses parents ne l’ayant pas encouragé à parler japonais ni à connaître les traditions culturelles du pays, il s’oppose souvent à l’étiquetage de son art avec des signifiants ethniques ou culturels.

 

En se remémorant son interaction avec Tanabe à l’occasion de l’organisation de l’exposition Shikata Ga Nai: Contemporary Art by Japanese Canadians (Shikata Ga Nai : art contemporain canadien japonais) à Hamilton Artists Inc. en 1987, l’artiste et conservateur Bryce Kanbara (né en 1947) observe : « Lorsque j’ai proposé à Takao Tanabe de participer, il m’a répondu : Ce n’est pas l’idée la plus excitante, un autre groupement ethnique […]. Vous n’offrez aucune raison convaincante de mettre sur pied une telle exposition en ce moment, y en a-t-il une?. » Malgré cette réponse, Tanabe envoie à Kanbara une peinture pour qu’elle soit incluse dans l’exposition.

 

Vue d’installation de l’exposition Shikata Ga Nai: Contemporary Art by Japanese Canadians (Shikata Ga Nai : art contemporain canadien japonais) au centre culturel de Burlington, 1987, avec, au premier plan, l’œuvre de Louise Noguchi, History can kill you (L’histoire peut tuer), 1984-1985, photographie non attribuée.
Vue extérieure de la Hamilton Artists Co-op (aujourd’hui la Hamilton Artists Inc.), v.1976, photographie de James A. Chambers.

 

Au début de sa carrière, Tanabe se met à beaucoup voyager, passant du temps à New York et à Banff ainsi que parcourant l’Europe. Ces voyages lui permettent de produire un nombre important d’œuvres, notamment des dessins comme Variations on a Theme #14 (Variations sur un thème no 14), 1954, ou Moni Vatopedi, Mount Athos (Moni Vatopedi, Mont Athos), 1955, mais ils n’influencent pas sa réflexion critique sur son identité. Pourtant, dès 1953, alors qu’il crée des œuvres abstraites comme Forest Impressions #8 (Forêt, impressions no 8), 1953, son professeur et mentor, Joseph (Joe) Plaskett (1918-2014), remarque que Tanabe commence à développer un style de peinture qui « entre sur le territoire de la calligraphie », ce que Plaskett attribue à « l’ascendance japonaise de Tanabe ».

 

Takao Tanabe, Near the Sea (Près de la mer), 1960, encre sumi sur papier, 46,9 x 90,8 cm, Nikkei National Museum & Cultural Centre, Burnaby.

Alors qu’il gagne en reconnaissance, Tanabe obtient une bourse du Conseil des arts du Canada en 1959, ce qui lui permet de se rendre pour la première fois au Japon. C’est là, pendant deux ans, qu’il va se confronter à son identité. Ce voyage lui permet de se familiariser avec la culture japonaise, de visiter une grande partie de l’État insulaire et, surtout, d’étudier la calligraphie et le sumi-e. Cette formation est précieuse, car elle le dote de nouveaux outils artistiques; il en découle de nombreuses œuvres sur papier, telles que Forest and Sun (Forêt et soleil), 1960, et Near the Sea (Près de la mer), 1960, qui sont présentées ensemble dans une exposition en 2016 au Nikkei National Museum de Burnaby, en Colombie-Britannique. Son séjour au Japon l’amène également à remettre en question, dans un nouveau contexte, les frontières racialisées entre personnes « japonaises » et « canadiennes » . Comme Tanabe l’expliquera plus tard, « j’ai réalisé que [dans] mes attitudes, mes croyances, tout, je suis un Occidental. Je suis un étranger [au Japon] ». Il est d’abord et avant tout un artiste; dans un deuxième temps, il est une personne d’ascendance japonaise canadienne.

 

Malgré son sentiment d’être un étranger au Japon et sa conviction que son ascendance n’a pas d’importance manifeste pour son art, les réalisations de Tanabe en tant qu’artiste sont profondément significatives pour les membres de la communauté japonaise du Canada. Selon Bryce Kanbara, Roy Kiyooka (1926-1994), Kazuo Nakamura (1926-2002) et Tanabe forment le « triumvirat des artistes canadiens japonais de haut niveau » et l’exposition 2022-2023 qu’il organise à la Art Gallery of Greater Victoria, Start Here: Kiyooka, Nakamura, Takashima, Tanabe (Commençons ici : Kiyooka, Nakamura, Takashima, Tanabe), rend hommage aux réalisations de Tanabe et de ses pairs. Kanbara est conscient que ces artistes ne partagent aucune affiliation sur le plan créatif et que leur connaissance de leur travail réciproque est plutôt limitée, mais ensemble, ce quatuor « place la barre très haut pour les générations suivantes d’artistes canadien·nes japonais·es […] et est un exemple inspirant de ce qu’il faut faire pour changer les choses ».

 

Takao Tanabe, Spanish Banks (Rives espagnoles), 1988, gravure sur bois, 48 x 72 cm, Nikkei National Museum & Cultural Centre, Burnaby.

 

 

Paysages novateurs et magistraux

Takao Tanabe acquiert une renommée nationale pour deux corpus d’œuvres. Le premier est sa longue série des années 1970 qui a pour sujet les Prairies canadiennes. Les dessins et les peintures des Prairies de Tanabe, comme The Land #6 (La terre no 6), 1974, sont décrits par le conservateur Darrin J. Martens comme « certaines des [œuvres] inspirées par le paysage des Prairies les plus stimulantes, les plus provocantes et les plus évocatrices jamais créées ». Le second comprend ses représentations de l’intérieur et de la côte de la Colombie-Britannique, telles que South Moresby 2/86: Kunghit Island (Moresby-Sud 2/86 : île Kunghit), 1986. Ces corpus sont en production depuis que l’artiste s’est installé sur l’île de Vancouver en 1980. Ensemble, ces deux séries ont forgé la réputation de Tanabe comme l’un des plus grands peintres paysagistes du Canada.

 

Takao Tanabe, The Land #6 (La terre no 6), 1974, lavis acrylique sur toile, 84 x 142,5 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.
Takao Tanabe, South Moresby 2/86: Kunghit Island (Moresby-Sud 2/86 : île Kunghit), 1986, acrylique sur toile, 106,7 x 213,4 cm, Mira Godard Gallery, Toronto.

 

Après sa formation à Winnipeg et son travail avec Joe Plaskett à la fin des années 1940 et au début des années 1950, Tanabe entrevoit devenir un peintre abstrait, mais il est intéressant de noter que son travail, malgré ses formes non objectives, est souvent interprété comme une représentation du paysage. Tanabe admet qu’il y a toujours un lien avec le paysage et le monde naturel dans son œuvre, le défi étant pour lui d’aborder ce sujet d’une manière nouvelle et authentique.

 

Lucius R. O’Brien, Sunrise on the Saguenay, Cape Trinity (Lever du soleil sur le Saguenay, cap Trinité), 1880, huile sur toile, 90 x 127 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

Le Canada est fort d’une longue tradition de peintres paysagistes. Au dix-neuvième siècle, Lucius Richard O’Brien (1832-1899), John Arthur Fraser (1838-1898) et d’autres artistes associés au Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) contribuent à la définition de la jeune nation coloniale. Au vingtième siècle, les œuvres du Groupe des Sept renforcent l’affirmation du paysage en tant que forme d’art porteuse d’un puissant sentiment d’identité nationale. Mais si les peintres du CP au dix-neuvième siècle et le Groupe des Sept au vingtième siècle font du territoire un sujet spécifique en documentant son immensité, Tanabe rejette la spécificité en faveur d’un paysage plus distillé, plus essentiel.

 

Après une période de plus de vingt ans consacrée à la réalisation de peintures abstraites, telles que Nude Landscape I (Paysage nu I), 1959, dans les années 1970, Tanabe se tourne vers les vastes étendues des Prairies canadiennes pour aborder le thème du paysage de manière plus concrète. Il a déjà découvert cet espace en auto-stop dans les années 1950, lorsqu’il faisait la navette entre Winnipeg et Banff, et il en a gardé des impressions durables. En 1972, il refait le trajet de la même façon, s’arrêtant pour dessiner et photographier les points de vue qui retiennent son attention ainsi que saisir les effets de la lumière à différents moments de la journée.

 

Au cours des années suivantes, Tanabe produit une série de plus de 200 peintures des Prairies qui, grâce à son approche novatrice du trait en un seul geste, lui permet de mener l’exploration de la frontière entre l’abstraction et la figuration en des territoires inédits. Tanabe montre la prairie d’une manière complètement nouvelle. Tel que commenté par Plaskett : « L’une des choses les plus originales qu’il ait faites est son interprétation du paysage de la prairie, ce qui n’avait jamais été fait correctement auparavant […]. C’est une sorte de pureté que Tak perçoit dans ces vastes espaces et qu’il est capable de traduire miraculeusement sur la toile. Je pense qu’il s’agit là d’une contribution unique. »

 

Photographies de référence des contreforts de l’Alberta agrandies et collées, s.d., photographies de Takao Tanabe.
Takao Tanabe, The Land 4/75 – East of Calgary (La terre 4/75) – À l’est de Calgary), 1975, acrylique sur toile, 66 x 112 cm, Banque d’art du Conseil des arts du Canada, Ottawa.

 

Les traditions antérieures de la peinture des Prairies dépeignaient le vaste paysage en relation avec les gens. On le voit dans les œuvres de Lionel LeMoine FitzGerald (1890-1956) et de C. W. Jefferys (1869-1951), où des figures ou des bâtiments animent généralement les compositions. Des représentations plus contemporaines du paysage de la prairie par Dorothy Knowles (1927-2023), notamment The River (La rivière), 1967, décrivent le paysage de manière plus détaillée. Tanabe, en revanche, le considère comme inhabité et presque abstrait; le paysage est un défi pictural. Des compositions telles que The Land 4/76 (La terre 4/76), 1976, et The Land 22/77 (La terre 22/77), 1977, témoignent de son approche unique.

 

Dorothy Knowles, The River (La rivière), 1967, huile et fusain sur toile, 142,2 x 142,5 cm, Remai Modern, Saskatoon.
Takao Tanabe, The Land 4/76 (La terre 4/76), 1976, acrylique sur toile, 108 x 121 cm, Museum London.

 

 

Tanabe continue à peindre les Prairies jusqu’en 1984, mais dès 1976, la Galerie d’art Norman Mackenzie (aujourd’hui la Mackenzie Art Gallery) de l’Université de Regina reconnaît l’importance de la série en organisant une grande exposition itinérante, Takao Tanabe, 1972-1976: The Land (Takao Tanabe, 1972-1976 : la terre), qui circule à Winnipeg, Saskatoon, Calgary, Victoria et Edmonton. En 1976, le Winnipeg Free Press publie une critique de l’exposition : « Tanabe réduit ses dimensions panoramiques à une essence formelle qui apporte une nouvelle signification et une nouvelle clarté à l’expérience de la prairie ». Ses représentations évocatrices de cette région emblématique ne cessent de captiver le public partout au pays.

 

Takao Tanabe, Prairie, 1973, acrylique sur toile, 48,3 x 63 cm, Art Gallery of Greater Victoria.

Si le retour de Tanabe en Colombie-Britannique en 1980 revêt une signification personnelle, il marque également un énorme changement dans son parcours professionnel et le choix de ses sujets. Après avoir exploré la représentation des Prairies pendant près d’une décennie, il se voit désormais confronté au défi d’aborder le paysage britanno-colombien, un sujet qui occupe une place centrale dans l’histoire de l’art de la région. La tradition d’Emily Carr (1871-1945), d’E. J. Hughes (1913-2007), de Gordon Smith (1919-2020) et de Jack Shadbolt (1909-1998), pour ne citer que quelques artistes, s’impose à Tanabe.

 

Parmi ces artistes, Carr est la plus acclamée pour sa capacité à redéfinir son style et sa technique en réponse aux forces expressionnistes dont elle est témoin au cours de ses voyages à travers la Colombie-Britannique. Selon la conservatrice, autrice et critique d’art Sarah Milroy, sa carrière « est un témoignage important de la lutte d’une artiste singulière avec cette grande question sans réponse de l’imagination colonisatrice : quelle est ma place? ». Tanabe doit également trouver sa propre voie. Il se tourne vers les paysages côtiers, comme celui que l’on peut voir dans Inside Passage 1/88: Swindle Island (Passage intérieur 1/88 : île Swindle), 1988, qui lui rappellent sans doute son enfance à Seal Cove.

 

Dans la série documentaire de 2009, Landscape as Muse, Tanabe raconte une histoire qui relie ses peintures à ses expériences sur la côte : « J’avais un frère qui était pêcheur commercial et qui prenait son bateau de Vancouver à Prince Rupert chaque année. J’ai décidé de faire du stop avec lui et d’observer le paysage. Je me suis dit que cela valait peut-être la peine d’étudier la côte Ouest et la mer. » Cependant, ce récit ne reflète pas exactement la manière dont Tanabe en arrive à ce sujet.

 

Tanabe ne se rend à Prince Rupert avec son frère qu’en mai 1987, environ cinq ans après avoir commencé à peindre des images des îles Gulf. De plus, en 1983, il entreprend une excursion qui mène à la création d’une série de toiles et de gravures représentant les îles de la Reine-Charlotte (Haïda Gwaii). Comme beaucoup de ses œuvres de la côte de la Colombie-Britannique, ces peintures semblent simples à première vue, avec des lignes d’horizon marquées et une application des couleurs en accord avec la topographie de la région. Toutefois, leur simplicité dément le travail intensif effectué pour évoquer les qualités ténébreuses de la côte.

 

Takao Tanabe à Haïda Gwaii, s.d., photographie non attribuée.
Takao Tanabe, Marble Island Q.C.I. (Île Marble, Haïda Gwaii), 1995, lithographie couleur sur papier, 46 x 89 cm, Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, Halifax.

 

L’approche distincte de Tanabe à l’égard de son nouveau sujet, le paysage côtier, est immédiatement accueillie par les collectionneurs et collectionneuses ainsi que le public. Ses peintures de la côte Ouest dépeignent « ce paysage avec un contrôle et une puissance magistrale que nul·le autre artiste n’approche ». Avec ce corpus d’œuvres, Tanabe s’impose comme l’un des plus importants peintres paysagistes de la Colombie-Britannique.

 

Depuis son retour dans la province, Tanabe explore non seulement les scènes côtières, mais aussi l’intérieur des terres, comme dans Peace River 27/99 (La rivière de la Paix 27/99), 1999. Son approche particulière et rigoureuse de ces deux types de panorama fait l’objet d’une exposition à la Kelowna Art Gallery en 2000, Takao Tanabe: Wet Coasts and Dry Lands (Takao Tanabe : côtes pluvieuses et terres arides). Tanabe considère les intempéries de cette région comme « une métaphore de la vie » et ses peintures ineffables constituent une méditation profonde sur tous les mystères qu’elle recèle.

 

Takao Tanabe, Peace River 27/99 (La rivière de la Paix 27/99), 1999, acrylique sur toile, 12,7 x 21,5 cm, collection privée.

 

Tanabe est toujours extrêmement attentif à la réalisation de ses œuvres. Paradoxalement peut-être, son objectif est toujours de faire en sorte que les traces de la création soient invisibles pour l’œil du public. C’est ce qui donne à ses œuvres leur qualité particulière et qui en fait une contribution importante à l’histoire de l’art paysager au pays. Comme Tanabe l’explique lui-même, « j’essaie de créer des formes inédites inspirées de la nature afin de voir le monde d’une nouvelle manière ».

 

 

Éducateur et mentor

Tanabe ne se considère pas comme un enseignant et a même déclaré douter de sa capacité à obtenir un poste en enseignement puisqu’il ne détient pas de diplôme universitaire. Pourtant, l’éducation artistique fait partie intégrante de sa vie. Après avoir obtenu son diplôme de la Winnipeg School of Art en 1949, Tanabe crée, de concert avec Donald Roy (né en 1910), une école d’art d’été à Gimli, au Manitoba, qui n’aura finalement cours que quelque temps. Il enseigne l’art commercial à la Vancouver School of Art (aujourd’hui l’Université d’art et de design Emily-Carr) dans les années 1960, alors que sa carrière de peintre s’épanouit et gagne une reconnaissance nationale de même qu’internationale.

 

Takao Tanabe et Robert Young dans un atelier de Glyde Hall, v.1975, photographie non attribuée, Bibliothèque et archives Paul D. Fleck, Centre des arts de Banff.
Affiche annonçant le programme d’arts visuels de la Banff School of Fine Arts, 1976, Bibliothèque et archives Paul D. Fleck, Centre des arts de Banff.

L’importance de Tanabe en tant qu’éducateur et facilitateur connaît son impact le plus important pendant son séjour à la Banff School of Fine Arts (aujourd’hui le Centre des arts de Banff) de 1972 à 1980. Il est d’abord engagé comme directeur du programme de peinture, puis nommé artiste en résidence en 1973. À son arrivée, le programme est essentiellement une résidence d’été pour artistes amateurs, malgré un corps professoral qui compte des membres de qualité. Pendant son mandat, Tanabe contribue à la croissance de l’école en établissant un programme intensif à longueur d’année qui permet aux élèves de se préparer à une formation professionnelle au baccalauréat en beaux-arts ailleurs au Canada. Sous sa direction, l’institution devient un lieu important pour les artistes de profession ainsi que pour ceux et celles qui aspirent à le devenir.

 

En mobilisant un corps enseignant diversifié qui compte, notamment, Roy Kiyooka (1926-1994), Ivan Eyre (1935-2022), Claude Breeze (né en 1938) et Iain Baxter (né en 1936, aujourd’hui IAIN BAXTER&), et en imposant la règle selon laquelle aucune recrue ne peut revenir enseigner plus de deux fois pour la session d’été, Tanabe veille à ce que la communauté étudiante soit exposée à une grande variété d’influences et d’idées en matière de création artistique. Il renforce de surcroît la réputation de l’école d’été pendant son mandat en invitant des professeur·es de renom comme Joe Plaskett, David Bolduc (1945-2010), Jack Chambers (1931-1978), Ted Godwin (1933-2013), Dorothy Knowles (1927-2023), Marcelle Ferron (1924-2001) et Tony Urquhart (1934-2022).

 

Bien que Tanabe soit avant tout un peintre, il ne préconise pas pour autant le développement d’une seule forme d’art. Tout au long de son séjour à la Banff School of Fine Arts, Tanabe est un mentor important pour une variété d’artistes travaillant dans un large éventail de moyens d’expression et de sujets, notamment Alex de Cosson (né en 1953), Jack Jeffrey, Cathryn McEwen, Annette Lodge, Marsha Stonehouse et Barrie Szekely. À la lumière de son énorme engagement dans le programme, la rigueur et le volume de la production artistique de Tanabe au cours de cette période sont surprenants. C’est à cette époque que l’artiste crée des œuvres telles que The Land 22/77 (La terre 22/77), 1977, et The Dark Land 3/80 (La terre sombre 3/80), 1980 — deux de ses tableaux les plus audacieux représentant le paysage figurant la prairie.

 

Takao Tanabe, The Dark Land 3/80 (La terre sombre 3/80), 1980, acrylique sur toile, 83,1 x 139,7 cm, Mira Godard Gallery, Toronto.

 

Tanabe souhaite trouver un équilibre entre le difficile travail de gestion de l’école et donner accès à des expériences utiles pour les communautés étudiante et professorale. C’est ainsi que sous sa direction, la Walter Phillips Gallery est inaugurée en 1976, et constitue un espace d’exposition professionnel pour l’ensemble de la communauté de Banff et un lieu de rencontre important pour les artistes d’ici et d’ailleurs. Tanabe revitalise l’école tout au long des années 1970 et aujourd’hui, le Centre des arts de Banff (comme on l’appelle maintenant) jouit d’une réputation internationale et est l’une des principales institutions artistiques, culturelles et éducatives du Canada.

 

Après avoir quitté Banff, Tanabe devient un soutien important pour plusieurs artistes pratiquant à Vancouver. Comme le note Landon Mackenzie (née en 1954) : « Tak a été un mentor important qui m’a aidée à devenir une artiste sérieuse et à être généreuse avec mes pairs, m’encourageant à jouer un rôle de leader lorsque c’est nécessaire, dans la célébration et la reconnaissance d’autres artistes qui ont accompli quelque chose. »

 

 

Engagement et renommée

La gouverneure générale Adrienne Clarkson remet à Takao Tanabe le Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques lors d’une cérémonie à Rideau Hall, Ottawa, 2003, photographie de Dave Chan.

Outre son dévouement en tant qu’éducateur, Tanabe est également reconnu pour son soutien exceptionnel envers les arts visuels. Dans les années 1990, il entreprend une campagne de sollicitation auprès de particuliers et d’institutions partout au pays dont le Conseil des arts du Canada pour obtenir la création des Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques. Lancés en 1999, ces prix comptent parmi les plus prestigieux au pays, récompensant les réalisations artistiques, l’excellence dans les métiers d’art et les contributions à l’art contemporain. En 2003, Tanabe est l’une des personnes lauréates du prix.

 

Il joue également un rôle déterminant dans l’instauration du Prix Audain, qui récompense les artistes de la Colombie-Britannique pour l’ensemble de leur œuvre en arts visuels. Décerné pour la première fois en 2004, Tanabe en est le lauréat en 2013. Les autres prix qu’il contribue à créer dans la province, par l’entremise de la Art Gallery of Greater Victoria, et à Ottawa, par l’entremise du Musée des beaux-arts du Canada, témoignent de l’impact de son leadership et de sa générosité envers les prochaines générations.

 

Bien qu’il expose beaucoup tout au long de sa carrière, ce n’est qu’en 2005 qu’une importante rétrospective, Takao Tanabe, est organisée par le Musée des beaux-arts de Vancouver et la Art Gallery of Greater Victoria. Inaugurée à Victoria, l’exposition circule ensuite au Musée des beaux-arts de Vancouver, au Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse à Halifax et à la Collection McMichael d’art canadien à Kleinburg, en Ontario. La variété des œuvres révélées par la rétrospective surprend une bonne part du public. La critique Robin Laurence souligne « l’évolution de la relation de Tanabe avec le langage de l’abstraction », ses « représentations subtiles et évocatrices de la prairie canadienne » et ses « paysages pluvieux, gris et mystérieux qui évoquent à la fois la création primordiale et la conscience primitive ». Une deuxième rétrospective d’œuvres sur papier (à l’exclusion des estampes), intitulée Chronicles of Form and Place: Works on Paper by Takao Tanabe/Chroniques de forme et de lieu : œuvres sur papier de Takao Tanabe, est organisée par la Burnaby Art Gallery et le McMaster Museum of Art en 2011. Comme le révèlent toutes ces expositions, l’art de Tanabe remet continuellement en question nos suppositions sur son œuvre, le paysage et la façon dont nous voyons le monde.

 

Takao Tanabe, Marsh Magenta (Marais magenta), 1964, acrylique sur papier, 78,1 x 58,4 cm, Mira Godard Gallery, Toronto.
Takao Tanabe, Moni Vatopedi, Mount Athos (Moni Vatopedi, Mont Athos), 1955, pastel sur papier, 31,3 x 48,3 cm, Musée des beaux-arts de Vancouver.

 

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