Fête annuelle 1969-1972
Fête annuelle condense plusieurs thèmes des premières œuvres de Lake, émergeant peu après son installation à Montréal. En 1969, elle invite ses collègues à une fête qui se compose à la fois d’une performance et d’un repas. Pour mieux étudier la relation entre l’art et son public, elle sérigraphie des numéros encerclés et des couverts sur le sol de son atelier et fournit une légende, inscrite au pochoir sur le mur, et indiquant à quoi chacun des numéros se rapporte : 1. assiette; 2. tasse et soucoupe; 3. verre à vin; 4. saladier; 5. légumes; 6. salades; 7. soupes; 8. dinde; 9. jambon; 10. candélabre; 11. beurrier; 12. sel; 13. poivre; 35. hôtesse (en sautant les numéros 14 à 34, elle suggère le compte symbolique de ses convives). Sans aucune instruction de la part de Lake, et même s’ils peuvent s’installer autour de sa table de travail pour manger, les invités préfèrent s’asseoir devant les couverts et déposer leurs assiettes et leurs verres dans les cercles prévus à cet effet. Lake constate alors le potentiel de son travail pour diriger un public — similaire au pouvoir de la signalisation des rues. Elle continue d’organiser cette fête chaque année, jusqu’en 1972.
À cette époque, Lake travaille comme assistante pour Guido Molinari (1933-2004) et rencontre une communauté d’artistes très dynamique. Son travail, expérimental et conceptuel, est ancré dans la performance. Pour ses expériences personnelles avec installations d’envergure, l’atelier est un lieu phare qui lui permet en outre de mobiliser sa communauté. L’atelier qu’elle loue sur la rue Craig à Montréal (aujourd’hui la rue Saint-Antoine) ne sert pas de décor mais constitue plutôt un élément clé de ses premières expérimentations avec l’espace et de l’expérience qu’elle en fait. En 1970, elle achète son premier appareil photo, ce qui lui permet de capter des événements et des performances et de juger de leurs effets sur les participants et les spectateurs.
Dans Behavioural Prints (Empreintes comportementales), 1972, une œuvre liée à Fête annuelle, Lake déroule une longue feuille de papier et demande à une amie de marcher dans la peinture puis le long de la feuille avec elle. Toutes deux laissent la peinture sécher avant de changer de position et de faire le trajet en sens inverse, en suivant les empreintes précédemment laissées sur la feuille. Les participantes se rendent vite compte que leur corps est « déphasé » l’un par rapport à l’autre, ce qui les pousse à tenter de compenser par leurs pas, rendant leur démarche maladroite. Les photographies de cet événement constituent le premier enregistrement d’une performance de Suzy Lake.