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Sorel Etrog (1933-2014) est un véritable artiste international. Né en Roumanie, il immigre en Israël et étudie aux États-Unis. Même s’il vit à Toronto, au Canada, pendant plus de 50 ans, il travaille et expose ses œuvres partout dans le monde. Connu avant tout comme sculpteur, il dessine, peint et illustre des livres, en plus d’écrire des poèmes et des pièces de théâtre, et même de s’aventurer dans la création cinématographique. Etrog est façonné par les expériences de son enfance pendant la Seconde Guerre mondiale et sous le régime soviétique de même que par son immersion ultérieure dans des écrits philosophiques qui remettent en question la nature de l’existence dans le monde de l’après-guerre. Au cours de sa longue carrière diversifiée, il explore les tensions entre les principes apparemment contraires que sont le mouvement et l’immobilité ainsi que la mécanique et l’organique.

 

 

L’enfance en Roumanie

Grand-maman Feigi avec Sorel, 1933
Grand-maman Feigi avec Sorel, 1933, photographe inconnu.
Sorel Etrog avec ses parents, Tony et Moriţ, v.1936
Sorel Etrog avec ses parents, Tony et Moriţ, v.1936, photographe inconnu.

Sorel Etrog naît sous le nom Sorel Eserik le 29 août 1933 à Iași, une grande ville dans la partie est de ce qui est alors le royaume de Roumanie. Il grandit près de la ville avec ses parents Moriţ (Moshe) et Tony (née Valter), dans la maison de ses grands-parents paternels. Sorel se rappelle tendrement avoir vécu à proximité de sa famille élargie et se souvient expressément de l’influence de son grand-père, un charpentier : « Pour moi, son atelier de menuiserie était un peu un sanctuaire. L’odeur du bois, de la colle et de la teinture a empli mes narines le jour de ma naissance et est devenue une partie sacrée de mon enfance. Je rêvais d’un jour avoir le droit d’utiliser ses outils ou même d’avoir les miens. »

 

La jeune famille déménage éventuellement à Iași, où Moriţ ouvre un restaurant. À l’époque, la communauté juive de la ville constitue environ le tiers de la population et compte plus de 35 000 personnes. Comme de nombreux Juifs roumains, Moriţ et Tony sont immergés dans la culture locale et élèvent leurs enfants de la même façon : à la maison, ils parlent roumain plutôt que yiddish et même si la famille observe les Grandes Fêtes, Sorel ne reçoit pas une éducation juive. En 1940, les Eserik accueillent une petite fille, Falizia (Zipora), dans leur famille.

 

Sorel entreprend sa formation informelle en art dans une librairie locale de Iași dont le propriétaire est aussi peintre. L’artiste évoque ses souvenirs plus tard : « [Puisque] peu de gens avaient les moyens de s’acheter des livres… plusieurs, dont ma mère, les empruntaient à une librairie qui était aussi une bibliothèque privée… Je me glissais dans la pièce derrière l’atelier du propriétaire. Il était aussi peintre. J’étais fasciné par ses… tableaux, et l’odeur de la térébenthine et de la peinture à l’huile m’enivrait ».

 

La Seconde Guerre mondiale commence par l’invasion de la Pologne par l’Allemagne en septembre 1939. Au début, le royaume de Roumanie est neutre, mais à la suite d’un coup d’État à l’été 1940, une alliance est nouée entre la nouvelle dictature et l’Allemagne aux politiques antisémites. Moriţ est l’un des rares hommes à survivre au pogrom de Iași du 29 juin au 6 juillet 1941, une célèbre extermination de masse au cours de laquelle plus de 13 000 Juifs roumains sont assassinés. Même s’il est blessé, il parvient à survivre en grimpant sur un rideau dans un théâtre où se déroule l’un des massacres. La violence contre les Juifs se poursuit tout au long de la guerre, et quand Sorel a 9 ans, il voit un ami se faire abattre sous ses yeux. Plus tard dans sa vie, il révèle qu’après cet incident horrible, il ne peut plus être choqué. À la fin de la guerre, la communauté juive de Iași est en grande partie anéantie.

 

Des soldats roumains et un cadet mettent un groupe de Juifs en arrestation au 157 I.C. rue Bratianu, lors du progrom de Iaşi, 29 juin 1941
Des soldats roumains et un cadet mettent un groupe de Juifs en arrestation au 157 I.C. rue Bratianu, lors du progrom de Iaşi, 29 juin 1941, photographe inconnu.

 

À la fin de l’occupation soviétique de la Roumanie en 1944, la famille de Sorel souffre de la faim, de la pauvreté et de la violence, et Moriţ n’a toujours pas complètement récupéré des blessures subies pendant le pogrom. Sorel donne un coup de main en transportant clandestinement de la nourriture sous ses vêtements et en vendant des produits sur le marché noir, des expériences qui l’influencent pour les années à venir. En 1946, après avoir vendu discrètement leur propriété et leur restaurant, la famille tente de quitter la Roumanie pour se rendre en Autriche en passant par la Hongrie. Elle est cependant interceptée par la Securitate, la police politique secrète roumaine, à la frontière entre la Roumanie et la Hongrie, et les deux parents sont arrêtés. Sorel, qui a 13 ans, devient responsable de sa petite sœur pendant des semaines, jusqu’à ce que sa mère soit libérée. Quand leur père peut enfin rentrer à la maison, des mois plus tard, ils retournent tous à Iași avant de quitter la Roumanie pour de bon en 1950.

 

 

La formation artistique à Tel-Aviv

Zipora et Sorel Etrog devant le magasin familial en Israël, v.1952
Zipora et Sorel Etrog devant le magasin familial en Israël, v.1952, photographe inconnu.
La famille Etrog réunie à sa maison, à Rishon LeZion, Israël, vers les années 1950
La famille Etrog réunie à sa maison, à Rishon LeZion, Israël, vers les années 1950, photographe inconnu. De gauche à droite : Zipora, Tony, Sorel et Moriţ.

Sorel et sa famille réussissent à fuir la Roumanie sous occupation soviétique en se rendant en Israël en passant par Istanbul. Les Eserik changent alors leur nom pour Etrog. Après avoir passé quelque temps au camp de réfugiés Sha’ar Aliyaa, situé à l’ouest de Haïfa, ils emménagent chez leur oncle paternel Itzhak qui vit dans la ville de Rishon LeZion depuis avant la Deuxième Guerre mondiale. Après avoir passé deux ans dans la modeste maison d’Itzhak, alors que Moriţ travaille dans le magasin de son frère, ils achètent leur propre appartement grâce à l’aide de Rose, la tante maternelle d’Etrog qui vit aux États-Unis.

 

En 1953, Etrog entreprend ses études à l’Institut des beaux-arts pour la peinture et la sculpture de Tel-Aviv tout en effectuant son service militaire obligatoire en tant que messager au sein du corps médical de l’armée de défense d’Israël. À l’Institut, il étudie la peinture, la conception graphique et la scénographie avec le peintre Moshe Mokady (1902-1975), le pionnier dadaïste d’origine roumaine Marcel Janco (1895-1984) et l’historien de l’art Eugene Kolb (1898-1959). Là, Etrog découvre l’art de l’avant-garde européenne, un groupe informel de mouvements artistiques du début du vingtième siècle déterminé à défier la tradition. Etrog s’intéresse particulièrement aux peintres Wassily Kandinsky (1866-1944), Paul Klee (1879-1940), Joan Miró (1893-1983) et Pablo Picasso (1881-1973), qui expérimentent l’art abstrait et se libèrent des conventions et des styles précédents. À cette époque, Etrog se lie d’amitié avec un groupe de peintres, de cinéastes et de musiciens qui lui font connaître la musique de compositeurs modernistes comme Igor Stravinsky (1882-1971), Béla Bartók (1881-1945) et Arnold Schoenberg (1874-1951). Ceux-ci deviennent une source d’inspiration par leur rejet de l’harmonie et de l’équilibre.

 

Le collage cubiste de même que la musique moderniste inspirent Etrog à inventer une méthode de travail qu’il nomme « constructions peintes ». Il la pratique de 1952 à 1960, la perfectionnant grâce à un processus d’essai-erreur, utilisant d’abord des toiles pour créer des œuvres avant de passer à des constructions aux formes irrégulières entièrement fabriquées en bois. Ce sont des tableaux à deux dimensions conçus pour être accrochés au mur, mais qui comportent également des éléments surélevés à trois dimensions – des lignes et des formes géométriques – afin de constituer des œuvres qui évoquent les reliefs constructivistes tels que ceux du sculpteur d’origine russe Naum Gabo (1890-1977). Malgré leur planéité globale, les œuvres de cette série, par exemple Musical Impression (Impression musicale), 1956, permettent une importante interaction entre la sculpture et la peinture.

 

Sorel Etrog, Musical Impression (Impression musicale), 1956
Sorel Etrog, Musical Impression (Impression musicale), 1956, relief en bois peint, 73 x 44 cm, Musée d’art de Tel-Aviv.
Sorel Etrog, Prayer for a New Moon (Prière pour une nouvelle lune), 1952
Sorel Etrog, Prayer for a New Moon (Prière pour une nouvelle lune), 1952, huile sur toile sur un châssis irrégulier, 40,64 x 45,72 cm, Succession Sorel Etrog.

 

Les professeurs d’Etrog remarquent rapidement son talent et, après avoir terminé l’école des beaux-arts en 1955, Janco l’invite à assister à son séminaire sur la peinture et la composition en 1955-1956. Pendant plus d’un an, Etrog vit dans le célèbre village israélien d’artistes Ein Hod et se consacre entièrement à l’art. Ses œuvres sont montrées dans plusieurs expositions collectives, dont, en 1958, The Art of Tomorrow (L’art de demain) au Musée d’art de Haïfa, qui réunit les œuvres d’artistes de moins de 30 ans, et 10 Years of Israeli Painting (10 ans de peinture israélienne) au Musée d’art de Tel-Aviv, qui réunit plus de 120 contributeurs. Ces institutions publiques commencent également à ajouter des œuvres d’Etrog à leur collection permanente. Le Musée d’art de Haïfa achète le dessin Composition (collage), s.d., et le Musée d’art de Tel-Aviv se procure Ladder of Surprise (Échelle de surprise), 1955-1957. À peu près à la même époque, Eugene Kolb, l’ancien professeur d’Etrog, achète Requiem in Blue (Requiem en bleu) pour sa collection privée.

 

Sorel Etrog, fin des années 1950
Sorel Etrog, fin des années 1950, photographe inconnu.

 

En décembre 1957, Etrog entre en contact avec Ralph Segalman, le directeur général de la Jewish Federation de Waterbury au Connecticut (où vit Rose, la tante d’Etrog) pour lui demander son aide afin d’obtenir une bourse d’études à l’étranger ou aux États-Unis. En février 1958, le Brooklyn Museum Art School (BMAS) offre à Etrog une bourse qui couvre ses droits de scolarité pour la prochaine année scolaire. Cependant, avant de partir pour les États-Unis, Etrog présente sa première exposition solo à la ZOA (Zionists of America) House à Tel-Aviv. Les avis sur l’exposition sont positifs dans la presse israélienne : les critiques remarquent l’originalité de l’œuvre et soulignent les formes irrégulières et le style unique des constructions, des qualités fort bien représentées par Parade, 1954-1956, la plus grande et la plus ambitieuse des premières œuvres d’Etrog. Un des critiques affirme avec enthousiasme qu’Etrog, alors âgé de 25 ans, est l’un des peintres les plus originaux de sa génération, un véritable artiste de l’avant-garde qui se rebelle contre les conventions artistiques.

 

 

New York et Toronto

La collection de Samuel Zacks en 1960
La collection de Samuel Zacks en 1960, photographie de Walter Curtin.

Malgré ses grands espoirs, la première année d’Etrog au Brooklyn Museum Art School est « solitaire et décourageante ». Même s’il est fasciné par les œuvres du musée – il est particulièrement attiré par les collections africaine et océanique, dont les formes expressives marquent son imagination –, il ne trouve pas sa place à l’école. Il suit beaucoup de cours et son anglais limité l’empêche de s’impliquer en classe ou de se faire des amis. Le coût élevé de la vie à New York représente un défi et il a seulement les moyens de louer une poissonnerie abandonnée sans chauffage ni eau courante. Pour joindre les deux bouts, il doit travailler dans une résidence pour personnes âgées où il enseigne l’hébreu, donne des cours d’art-thérapie et supervise des parties de bingo en échange d’un maigre salaire et de repas. Son seul soutien, tant émotionnel que financier, lui est offert par sa tante Rose et la famille de celle-ci au Connecticut.

 

Pendant ses premiers mois à New York, Etrog tente en vain d’y faire exposer son œuvre. Toutefois, en mars 1959, il a un coup de chance quand il se présente à la galerie de Rose Fried (1896-1970) avec plusieurs pièces de sa série de Constructions peintes. Même si Fried ne réagit pas immédiatement à ses œuvres, l’homme d’affaires juif canadien Sam (Samuel J.) Zacks (1904-1970) entre dans la galerie pendant qu’Etrog s’y trouve. Zacks, un sioniste convaincu qui appuie fortement Israël, et sa femme d’origine israélienne, Ayala Zacks (1912-2011), sont parmi les plus grands collectionneurs d’art moderne du Canada. Zacks achète sur-le-champ à Etrog White Scaffolding (Échafaudage blanc), 1956-1958, pour deux cents dollars. Avant de rentrer à Toronto, Zacks voit d’autres œuvres d’Etrog dans l’atelier délabré de l’artiste; il est si impressionné qu’il l’invite à le visiter au Canada.

 

Etrog se rend au Canada pour la première fois à la fin du mois de juin 1959. Lors de son voyage, Zacks offre à Etrog l’occasion de passer le reste de l’été dans sa maison de Southampton, à 225 kilomètres au nord de Toronto, sur le bord du lac Huron. Parmi ses nombreuses entreprises, Zacks possède une usine de contreplaqué près de Southampton où l’artiste aurait accès à du matériel et à un espace pour son atelier. Etrog accepte cette offre généreuse et passe deux mois et demi à profiter pleinement du matériel gratuit, des outils électriques et de la paix d’esprit qui marquent cette étape durant laquelle il constate une grande amélioration de ses conditions de vie.

 

Lettre en hébreu de Ayala Zacks à Sorel Etrog, 27 septembre 1959
Lettre en hébreu de Ayala Zacks à Sorel Etrog, 27 septembre 1959.
Sorel Etrog à la Southampton Wood Workshop des Zacks, 1959
Sorel Etrog à la Southampton Wood Workshop des Zacks, 1959, photographie de L. Brown.

 

La productivité d’Etrog monte en flèche; alors qu’il n’avait entrepris que deux constructions peintes pendant son année scolaire, il en termine plus de vingt à Southampton. Il dessine constamment et crée ses premières sculptures : des sculptures sur bois, comme The Golem (Le golem), 1959, des œuvres en terre cuite, dont Wings (Ailes), 1959, et plusieurs moules en plâtre, notamment, Barbarian Head (Tête barbare), 1959. Les sculptures sont les premiers éléments qui témoignent de la nouvelle approche esthétique d’Etrog qui intègre des idées et des thèmes empruntés à l’art africain et océanien qu’il a vu au Brooklyn Museum et dans la collection des Zacks. Pendant cette période, Etrog se familiarise avec le travail des artistes britanniques Henry Moore (1898-1986) et Barbara Hepworth (1903-1975), dont Sam et Ayala Zacks collectionnent aussi les œuvres et qui, avec le sculpteur roumain Constantin Brancusi (1876-1957), influenceront le travail d’Etrog dans les années qui suivent.

 

Sorel Etrog, The Golem (Le golem), 1959
Sorel Etrog, The Golem (Le golem), 1959, bois, 40,6 x 33,0 x 15,2 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
Barbara Hepworth, Sea Form [Porthmeor] (Forme marine [Porthmeor]), 1958
Barbara Hepworth, Sea Form [Porthmeor] (Forme marine [Porthmeor]), 1958, bronze, 81,5 x 30,4 x 115 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

 

Etrog fait ses premières ventes canadiennes à Sam et Ayala Zacks et, par leur entremise, à leurs amis collectionneurs. Il réussit peu après à se faire représenter par la Galerie Moos nouvellement établie dans le quartier Yorkville de Toronto, qui se spécialise dans le positionnement d’artistes locaux dans un cadre international et dans l’art européen. Le propriétaire, Walter Moos (1926-2013), offre à Etrog sa première exposition canadienne qui commence le 1er octobre 1959. Même s’il est en début de carrière, Etrog s’implique dans les décisions sur la façon de promouvoir et de contextualiser son œuvre. Moos croit qu’un catalogue de l’exposition est une extravagance inutile. Etrog réplique qu’il le paiera de sa proche s’il le faut; et il remporte le débat. H. Baer, qui fait la critique de l’exposition, se montre élogieux et écrit : « Il arrive parfois, mais très rarement qu’une exposition de peinture soit totalement captivante; c’est la preuve que l’artiste a complètement réussi à communiquer sa pensée. Sorel Etrog en est un exemple ».

 

Vue de l’exposition d’Etrog à la Galerie Moos, Toronto, 1959
Vue de l’exposition d’Etrog à la Galerie Moos, Toronto, 1959, photographie d’Anthony Hayman.

 

 

Le lancement d’un artiste

Etrog retourne à New York à l’automne 1959, mais commence rapidement les démarches pour devenir résident canadien. Après un été au Canada couronné de succès, il a les moyens de louer un véritable atelier à Manhattan avec la peintre Edith Isaac-Rose (1929-2018) et de délaisser son emploi à temps partiel pour se consacrer à l’art à temps plein. Il abandonne ses constructions peintes et se consacre à la sculpture, tout en continuant de faire régulièrement des dessins et des croquis, comme il le fera sa vie durant, tantôt des œuvres indépendantes, tantôt des études pour des sculptures. Il en réalise parfois des centaines pour une seule œuvre. Il élabore un nouveau style et crée des œuvres biomorphiques, des sculptures qui s’inspirent d’organismes vivants et de formes naturelles évoquant la croissance, ainsi que d’œuvres d’art vues dans la collection océanique du Brooklyn Museum.

 

Sorel Etrog, Blossom (Floraison), 1960-1961
Sorel Etrog, Blossom (Floraison), 1960-1961, bronze, 111 cm (hauteur), succession Sorel Etrog.
Sorel Etrog, Ritual Dancer (Danseur rituel), 1960-1962
Sorel Etrog, Ritual Dancer (Danseur rituel), 1960-1962, bronze, 147,3 cm (hauteur), Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

Etrog continue de parfaire ses compétences techniques comme sculpteur. En plus de s’exercer au moulage avec le plâtre, il apprend également les tenants et aboutissants techniques du coulage du bronze, plus particulièrement le processus à étapes multiples de la cire perdue, à la Modern Art Foundry de New York. À partir de ce moment, il utilise presque exclusivement le bronze dans ses sculptures et s’enorgueillit de sa capacité à maîtriser seul ce processus exigeant.

 

La transition vers une nouvelle technique artistique et un nouveau style entraîne des succès immédiats. En 1961, la Galerie Moos offre à Etrog une deuxième exposition qui présente des œuvres décrites comme des « plaisirs visuels presque illimités sur le plan des tensions et des contrepoints », ce qui pousse le grand collectionneur d’art américain Joseph Hirshhorn (1899-1981) à acheter huit sculptures sur-le-champ. Cet achat est sans précédent dans le monde de l’art canadien à l’époque et est assez digne d’intérêt pour faire l’objet d’articles dans tous les journaux importants de Toronto. Le travail d’Etrog commence également à être reconnu dans les plus hautes sphères ailleurs qu’au Canada, en partie grâce aux relations et à l’appui indéfectible des Zacks. En 1961, le Guggenheim Museum à New York fait l’acquisition de Blossom (Floraison), 1960-1961, et en 1963, après la première exposition solo d’Etrog, le Museum of Modern Art fait l’achat de Ritual Dancer (Danseur rituel), 1960-1962. Également en 1963, le Musée Kröller-Müller, à Otterlo aux Pays-Bas, acquiert Complexes of a Young Lady (Complexes d’une jeune femme), 1962. Toutes ces œuvres sont inspirées par les formes naturelles des arbres, des fleurs et autres choses vivantes, et leur acquisition par des institutions d’envergure démontre que l’évolution artistique personnelle d’Etrog concorde avec la fascination du monde de l’art en général envers les formes biomorphiques.

 

Etrog devient résident canadien en 1962, mais demeure à New York jusqu’à l’année suivante pour terminer ses études. En 1963, avant de s’installer près du secteur riverain de Toronto, dans un atelier au dernier étage de l’ancien immeuble Tip Top Tailors qui appartient à ses amis et futurs propriétaires de galerie Yael et Ben Dunkelman, Etrog retourne en Israël pour la première fois depuis son départ en 1958. Il voyage aussi en Grèce, en Italie, aux Pays-Bas et en France avec sa sœur Zipora, qui l’accompagne ensuite à New York et Toronto. À Florence, il a un premier contact avec l’art étrusque. Ces œuvres anciennes deviennent l’inspiration d’Etrog pour ce qu’il nomme sa période des maillons au cours de laquelle ses sculptures et ses tableaux comportent un motif en deux éléments liés par une boucle.

Sorel Etrog dans son atelier de Tip Top Tailors, Toronto, 1964
Sorel Etrog dans son atelier de Tip Top Tailors, Toronto, 1964, photographie de Paul Smith.

 

 

La reconnaissance internationale

En 1965, Etrog a une première exposition itinérante qui est d’abord présentée à la Galerie Moos à Toronto, puis à la Pierre Matisse Gallery à New York, à la Felix Landau Gallery à Los Angeles et finalement à la Galerie Dresdnère à Montréal. Cette exposition en quatre lieux retient beaucoup l’attention à Toronto grâce à la présence d’œuvres à grande échelle dont deux – Mother and Child (Mère et enfant), 1960-1962, et Capriccio (Caprice), 1961-1964 – mesurent environ trois mètres de haut et sont installées à l’extérieur de la Galerie Moos, ce qui agrémente le paysage urbain de Yorkville et annonce l’événement aux passants. Le critique d’art Barrie Hale remarque avec perspicacité que la présentation extérieure, le choix d’œuvres monumentales et les quatre lieux de l’exposition sont des stratégies conscientes conçues par Etrog et Moose pour « améliorer la réputation internationale d’Etrog ».

 

Sorel Etrog installant Capriccio (Caprice), 1961-1964, à la Galerie Moos, 1964
Sorel Etrog installant Capriccio (Caprice), 1961-1964, à la Galerie Moos, 1964, photographie de Paul Smith, Bibliothèque et archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
Sorel Etrog et Pierre Matisse à l’ouverture de l’exposition d’Etrog à la Matisse Gallery, 1965
Sorel Etrog et Pierre Matisse à l’ouverture de l’exposition d’Etrog à la Matisse Gallery, 1965, photographie de Fred Stein.

 

De fait, la stratégie s’avère un succès. En 1966, Etrog, maintenant citoyen canadien, est choisi pour représenter le Canada à la Biennale de Venise, l’une des plus importantes expositions du monde de l’art, avec deux peintres, Yves Gaucher (1934-2000) et Alex Colville (1920-2013). Au départ, Etrog souhaite exposer des œuvres graphiques en plus de sculptures, mais le commissaire canadien de la Biennale de Venise, Willem Blom (né en 1927), décide de se concentrer uniquement sur la sculpture en bronze d’Etrog grâce à 19 œuvres de la courte, mais déjà diversifiée carrière de l’artiste. Ces œuvres comprennent notamment celle, plus abstraite, de ses débuts, War Remembrance II (Commémoration de la guerre II), 1960-1961, et deux sculptures à grande échelle, Mère et enfant, 1960-1962, et Moses (Moïse), 1963-1965, qui sont placées à l’extérieur du pavillon du Canada. Après Venise, Etrog participe à l’Exposition internationale de Montréal, Expo 67, qui connaît un immense succès, où il présente Flight (Vol), 1963-1964 et Moïse. Il contribue également à la grande exposition extérieure de sculpture de Toronto, Sculpture ’67, en y présentant deux œuvres, dont Survivors Are Not Heroes (Les survivants ne sont pas des héros), 1967, qui est emblématique de la ville de Toronto.

 

Sorel Etrog avec Moses (Moïse),1963-1965
Sorel Etrog avec Moses (Moïse),1963-1965, à l’Expo 67, Montréal, photographe inconnu.
Mother and Child (Mère et enfant), 1960-1962
Mother and Child (Mère et enfant), 1960-1962, à Venise, 1966, photographe inconnu.

 

La Biennale permet à Etrog de réaliser un rêve qu’il chérit depuis son voyage en Italie en 1963 : faire de longs séjours en Toscane. À la fin de 1965, il déménage à Florence où il loue un appartement et un atelier. Il commence à mouler ses œuvres à la célèbre fonderie Michelucci située dans la ville voisine de Pistoia. C’est à cet endroit que, pendant le reste de sa carrière, il va mouler en bronze la plupart de ses sculptures. Quand il vit en Italie, Etrog peut visiter régulièrement sa famille en Israël. C’est pendant l’un de ces voyages qu’il rencontre sa future femme, Lika Behar, une créatrice de mode qui déménage avec lui en Italie.

 

Moriţ, Lika, Tony et Sorel Etrog lors d’un séjour à Venise, en Italie, vers les années 1970
Moriţ, Lika, Tony et Sorel Etrog lors d’un séjour à Venise, en Italie, vers les années 1970, photographe inconnu.
Sorel Etrog à la Fonderie Michelucci, Pistoia, Italie, v.1973
Sorel Etrog à la Fonderie Michelucci, Pistoia, Italie, v.1973, photographe inconnu.

Même si cette période est riche en réalisations, Etrog traverse également de grandes difficultés personnelles. À Florence en 1966, il est témoin de l’inondation de l’Arno qui provoque la mort de plus d’une centaine de personnes et endommage plusieurs des monuments historiques et des collections d’œuvres d’art de la ville. L’expérience affecte énormément l’artiste, ravivant des souvenirs traumatisants de la guerre. Puis, en février 1967, il est impliqué avec Lika dans un grave accident de voiture. Lika subit des blessures mineures, mais Etrog, qui est au volant, se casse les deux jambes ainsi que le majeur de la main droite. La réadaptation, qui implique de nombreuses opérations chirurgicales, dure des mois. Pendant cette période, Etrog devient « découragé et frustré ». Il quitte peu après l’Italie, un endroit qu’il en était venu à considérer comme sa « deuxième maison ».

 

De retour à Toronto, Etrog et Lika se marient et il loue un atelier près de l’intersection des rues Yonge et Dundas. Au début des années 1970, la scène culturelle est très dynamique. Le collectif d’artistes General Idea (actif 1969-1994) loue un studio à proximité sur la rue Yonge, et, en 1963, il ouvre le centre Art Metropole dirigé par des artistes. L’espace de travail du peintre Gershon Iskowitz (1919-1988) est également à quelques coins de rue à l’ouest, près de Spadina et Dundas, tout comme de nombreux autres artistes qui vivent et habitent au centre-ville. Toutefois, à cette époque et pendant toute sa vie, Etrog recherche surtout la compagnie d’hommes et de femmes de lettres – écrivains, philosophes et universitaires – comme il se doit pour un boulimique de lecture doté d’une connaissance encyclopédique de la philosophie, de la poésie et de la littérature, qui collectionne les livres en conséquence.

 

En 1968, le nom d’Etrog devient connu au Canada puisque l’artiste conçoit la statuette de bronze remise aux gagnants du Palmarès du film canadien; les statuettes portent d’ailleurs le nom d’Etrog jusqu’à ce qu’il soit remplacé par les prix Génie en 1980. De 1968 à 1970, le Musée des beaux-arts de l’Ontario (MBAO) organise One Decade (Une décennie), une exposition itinérante des œuvres d’Etrog qui est présentée dans onze lieux différents en Ontario. Il s’agit, du moins selon l’avis du directeur de l’éducation du MBAO de l’époque, William C. Forsey, de « la meilleure exposition itinérante de la province ».

 

Le Palmarès du film canadien, renommé prix « Génie » en 1980
Le Palmarès du film canadien, renommé prix « Génie » en 1980, bronze, plaqué or, 30,5 x 10,2 cm.
Mary Pratt tenant un prix Génie en 1989
Mary Pratt tenant un prix Génie en 1989, à Ottawa, Ontario, photographe inconnu.

 

 

Nouvelles frontières et limites

Les blessures subies par Etrog lors de son accident de voiture en 1967 et la longue période de réadaptation qui s’ensuit laissent des séquelles. L’artiste fait une grave dépression à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Ceci se traduit dans son art par une phase sombre, mais puissante qu’il appelle les taureaux (s’inscrivant à la fin de la période des maillons). À cette époque, il crée des centaines de dessins en noir et blanc décrivant des taureaux dans des moments de terreur, d’horreur et de souffrance physique, comme on peut le voir dans Targets [Study after Guernica] (Cibles [Étude d’après Guernica]), 1969, sa puissante interprétation du tableau Guernica, 1937, de Pablo Picasso.

 

Sorel Etrog, Study for Targets: Three Caresses (Étude pour Cibles : trois caresses), 1969
Sorel Etrog, Study for Targets: Three Caresses (Étude pour Cibles : trois caresses), 1969, fusain sur papier, 77 x 107 cm, succession Sorel Etrog.

 

En 1968, alors que ses blessures sont encore en train de guérir, Etrog revient en Italie et s’installe dans un autre atelier à Florence où il découvre une nouvelle énergie positive, comme le révèle sa transition des sombres taureaux à son éphémère période des vis et boulons. À cette époque, le travail d’Etrog est fortement influencé par des artistes surréalistes tels que Jean Arp (1886-1966), Salvador Dalí (1904-1989), Man Ray (1890-1976) et Meret Oppenheim (1913-1985), et s’inspire de l’humble mécanisme de raccordement qu’est la vis.

 

Sorel Etrog, Marshall McLuhan, 1976
Sorel Etrog, Marshall McLuhan, 1976, fusain, pastel et encre sur papier, 49,1 x 33,4 cm, Bibliothèque et archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.
Costume conçu pour les danseurs de la pièce The Celtic Hero: Four Cuchulain Plays de W. B. Yeats, 1979
Costume conçu pour les danseurs de la pièce The Celtic Hero: Four Cuchulain Plays de W. B. Yeats, 1979, photographie de Paul Smith, Bibliothèque et archives Edward P. Taylor, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto.

Dans le style des charnières qu’il développe jusqu’en 1979, Etrog poursuit son exploration des oppositions. Ces œuvres se caractérisent par une tension évidente – entre le mouvement et l’immobilité – là où l’élément premier de la sculpture, la charnière, se déploie. Plusieurs de ces œuvres, comme Rushman (Homme pressé), 1974-1976, ou Piéton, 1974, représentent des figures humaines dont les parties du corps et les articulations sont structurées grâce au mécanisme de la charnière et qui semblent marcher. Il crée également des peintures en utilisant ce motif et en traite même dans une pièce de théâtre qui n’a jamais été montée.

 

Pendant les années 1970, Etrog devient plus audacieux dans ses expérimentations et commence à créer des œuvres d’art à l’aide de techniques qu’il n’a jamais utilisées auparavant. En 1974, il crée le film d’avant-garde Spiral (Spirale), qui explore le parcours humain de la naissance à la mort. Le film, qu’il écrit et réalise, est présenté à la télévision au réseau CBC et connaît une deuxième vie quand le théoricien des médias Marshall McLuhan (1911-1980) collabore avec Etrog sur un ouvrage qui associe un collage de photos tirées du film à des citations d’écrivains modernistes. En 1978, Etrog conçoit les décors et les costumes de la pièce de théâtre The Celtic Hero: Four Cuchulain Plays de W. B. Yeats, dont la première a lieu au Bayview Playhouse Theatre à Toronto.

 

Environ à la même époque, Etrog et le galeriste Walter Moos commencent à collaborer sur des projets de sculpture publique tandis que de grandes entreprises privées commandent des œuvres à Etrog ou en achètent pour décorer leurs bureaux et leurs sièges sociaux. Etrog établit un lien avec l’architecte Boris Zerafa (1933-2002), de la firme Webb Zerafa Menkes Housden, qui, en 1975, choisit deux œuvres d’Etrog pour le projet de la firme Bow Valley Square à Calgary. Cinq ans plus tard, trois autres œuvres d’Etrog sont installées là-bas : deux achetées par Hammerson Canada, le promoteur immobilier du Bow Valley Square, et une prêtée par la Galerie Moos. À la fin des années 1970, Zerafa encourage également Etrog à participer à un concours international pour concevoir une sculpture pour le siège social de la Financière Sun Life à Toronto, que son entreprise conçoit. Etrog remporte le concours et obtient le mandat de créer la sculpture iconique Sunlife (terminée en 1984), dont la taille pousse l’artiste à incorporer de l’acier à sa sculpture, en plus de son bronze habituel.

 

Samuel Beckett et Sorel Etrog signant Imagination Dead Imagine, 1982
Samuel Beckett et Sorel Etrog signant Imagination Dead Imagine, 1982, dans l’atelier de Beckett à Paris, photographie de Michael Nguyen.

Le début des années 1980 est une période de changement et de poursuite des expérimentations créatives pour l’artiste. En 1980, Etrog et sa femme Lika divorcent, et l’artiste s’installe dans un atelier à Paris où il travaille pendant deux ans tout en conservant son studio de Toronto qui se trouve maintenant dans un immeuble au coin de Yonge et Eglinton qui appartient à son grand ami et mécène, le promoteur immobilier Al Green (1925-2016). Il organise deux expositions à Toronto : une exposition collective, réunissant 25 sculpteurs canadiens d’œuvres à grande échelle, présentée au Guild Inn Park en 1982 et, en 1984, l’exposition des œuvres de Sam Zacks – le collectionneur était également peintre – à la Art Gallery de l’Université York, pour laquelle Etrog conçoit le catalogue, rédige un texte d’introduction et planifie le vernissage. Son amitié avec Samuel Beckett (1906-1989), qu’il a rencontré en 1969, donne lieu à deux projets de collaboration à cette époque. En 1982, Etrog conçoit et illustre le livre d’artiste à édition limitée Imagination Dead Imagine, basé sur un texte de Beckett, et en 1984, il crée, interprète, chorégraphie et compose même la musique électronique pour une prestation intitulée The Bodifestation of Kite (L’incarnation du cerf-volant), en l’honneur de l’anniversaire de l’écrivain irlandais.

 

La décennie se termine par l’énorme commande de Powersoul (Âme puissante) qu’Etrog crée pour les Jeux olympiques de 1988 à Séoul en Corée du Sud. Mesurant dix mètres de haut, cette construction en acier est l’œuvre la plus grande d’Etrog. Sur le plan du style, la sculpture fait partie de la période des charnières, mais Etrog y utilise en plus un nouveau matériau, l’acier, rendu nécessaire par son désir de produire des œuvres de plus grande envergure encore.

 

Sorel Etrog, Powersoul (Âme puissante), 1988
Sorel Etrog, Powersoul (Âme puissante), 1988, acier, 10,1 m (hauteur), collection du gouvernement de la Corée du Sud, parc olympique, Séoul, Corée du Sud.

 

 

Dernières années et constitution de son héritage

Même si Etrog reçoit de nombreux éloges dans les années 1990 – il est nommé membre de l’Ordre du Canada en 1995 et chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres en France en 1996 – sa santé et son énergie commencent à décliner. L’artiste, qui a consacré sa vie à l’art et qui est reconnu pour sa productivité et son innovation, est perturbé par la diminution de sa capacité à travailler et se replie sur lui-même.

 

Sorel Etrog, Composites 12, 1996-1997
Sorel Etrog, Composites 12, 1996-1997, peinture acrylique, bois, métal, 123,2 x 14 cm, succession Sorel Etrog.
Composites dans l’atelier de Sorel Etrog du quartier Davisville Village de Toronto, 1997
Composites dans l’atelier de Sorel Etrog du quartier Davisville Village de Toronto, 1997, photographie de Sorel Etrog.

En septembre 1996, Etrog retourne dans sa Roumanie natale pour la première fois en 46 ans. Avec son ami, l’éditeur canadien Howard Aster (né en 1943), il est invité à participer à une conférence de Radio Romania International à Bucarest. Pendant sa visite, il commence à discuter de la possible tenue d’une rétrospective de son œuvre dans son pays natal. Il y retourne l’année suivante, mais la rétrospective ne se concrétise jamais. Ces voyages l’affectent grandement. Même s’il ne retourne pas à Iași, Etrog parle du choc qu’il ressent en découvrant que des 112 synagogues qui servaient autrefois cette communauté juive prospère, il n’en reste que deux. Après ses voyages en Roumanie, l’artiste connaît son dernier élan de créativité dans une série qu’il nomme Composites, des assemblages faits de bois et de matériaux trouvés, notamment,des caisses de lait, des clous et des ampoules électriques. Même si les couleurs éclatantes et les formes géométriques semblent rappeler l’abstraction des premières constructions peintes d’Etrog, un examen plus attentif révèle que ces œuvres regorgent de références aux camps de concentration, aux trains et aux chambres à gaz, reflétant le traumatisme de ses souvenirs d’enfance ravivés par son retour en Roumanie.

 

Dans les années 2000, l’œuvre d’Etrog est célébrée, surtout grâce à sa galerie de Vancouver Buschlen Mowatt, qui présente une rétrospective de son œuvre en 2003; une exposition en l’honneur de ses premières constructions en 2006; et, en 2008, une exposition de ses œuvres de la série des maillons, dont plusieurs n’ont jamais été exposées auparavant. En 2005, Etrog représente le Canada à la première Biennale internationale de Vancouver. Le conseil d’administration de la biennale lui remet un prix soulignant l’ensemble de son œuvre.

 

Prix d’excellence pour l’ensemble des réalisations reçu pour la sculpture et l’art public de la Biennale de Vancouver, offert à Sorel Etrog, 2005-2007
Prix d’excellence pour l’ensemble des réalisations reçu pour la sculpture et l’art public de la Biennale de Vancouver, offert à Sorel Etrog, 2005-2007, moulage d’une maquette originale de Etrog, Hinged Spirit (Esprit à charnière).
Sorel Etrog, King and Queen (Roi et reine), 1990
Sorel Etrog, King and Queen (Roi et reine), 1990, acier peint, 2 exemplaires, 304,8 cm (hauteur), Windsor Sculpture Garden. Cette pièce a été exposée au sein du Harbour Green Park, Coal Harbour, Vancouver, dans le cadre de la Biennale de 2005. 

 

Dans ses dernières années, Etrog se concentre sur l’héritage de son œuvre et sur le lieu où elle serait hébergée. Il entame des discussions à propos de la création d’un centre de sculptures ou d’un musée où son art serait vu et compris par une mise en contexte. Plusieurs lieux pour un centre des sculptures d’Etrog sont envisagés dont l’Université Simon Fraser à Vancouver (qui a organisé l’exposition des peintures de la période des maillons), le campus de la UJA Federation of Greater Toronto et Art-St-Urban à St-Urban, dans le canton de Lucerne, en Suisse. Cependant, aucune de ces options n’est finalement choisie.

 

Quand Etrog se fracture la hanche et entre au Mount Sinai Hospital de Toronto en octobre 2010, il envisage la création d’une galerie de bien-être dans l’hôpital où ses œuvres d’art seraient exposées et où les patients pourraient trouver du réconfort. Bientôt, il mentionne l’idée à Lawrence Bloomberg, alors à la tête du Mount Sinai Hospital, qui organise une rencontre entre Etrog et les collectionneurs Jay et Barbara Hennick. Durant cette rencontre, Etrog offre de donner une importante quantité d’œuvres destinées à démontrer « sa gratitude pour la population de Toronto et du Canada pour lui avoir permis de poursuivre sa passion de toujours pour l’art. Cette idée se réalise pleinement en 2016 avec l’inauguration de la Hennick Family Wellness Gallery où des sculptures et des tableaux d’Etrog sont exposés en permanence. Aujourd’hui, la galerie est l’une des plus importantes collections individuelles de l’œuvre d’Etrog.

 

Cette année 2010 marque également les premières étapes de la mise sur pied d’une rétrospective Etrog au Musée des beaux-arts de l’Ontario, y compris une discussion sur la conservation de ses documents dans les archives du musée, où ils se trouvent aujourd’hui. La rétrospective, la dernière exposition à avoir lieu du vivant d’Etrog, ouvre en avril 2013, coïncidant avec son 80e anniversaire. Quelques semaines plus tard, il est hospitalisé encore une fois. Durant ses derniers jours, il se rappelle ses années à New York, se demandant ce qu’il serait advenu s’il y était resté. Sorel Etrog s’éteint le 26 février 2014.

 

Sorel Etrog travaillant sur le plâtre de Embrace (L’étreinte), 1961-1964
Sorel Etrog travaillant sur le plâtre de Embrace (L’étreinte), 1961-1964, début des années 1960, photographie de Paul Smith.

 

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