L’étoile noire 1957
Considérée depuis longtemps comme le chef-d’œuvre de Borduas, L’étoile noire sera l’objet d’un prix international posthume du musée Guggenheim peu après la mort de l’artiste. Il avait été question de la présenter à une exposition au Guggenheim de son vivant. Écrivant le 2 janvier 1958 à Louis Archambault, alors responsable de la participation canadienne au concours du Guggenheim, Borduas parle de L’étoile noire comme d’« une toile de l’hiver dernier », donc caractéristique de la reprise de son activité picturale en 1957, après l’interruption due aux voyages. Et il espère « soumettre au jury une toile de l’an dernier […] intitulée L’étoile noire ». Le jury lui préfère l’envoi de Jack Shadbolt (1909-1998) et ce n’est qu’en 1960 qu’on lui accorde son prix posthume.
On retrouve dans ce tableau la synthèse du langage plastique du Borduas de sa période parisienne : oppositions entre contrastes forts (noir et blanc) et faibles (noir et brun); disposition calculée des taches noir et brun sur le fond blanc. Ces taches ne débordent jamais la périphérie du tableau mais restent contenues dans l’aire picturale, excluant ainsi une lecture réversible (noir sur blanc ou blanc sur noir). La suggestion de mouvements dans le blanc, si l’on suit les arêtes laissées par les coups de spatule, est également caractéristique de l’œuvre de Borduas à ce temps.
Nous sommes donc invités à contempler une « étoile noire » se détachant d’un ciel blanc — l’inversion du ciel noir auquel nous sommes habitués. Borduas ne pouvait soupçonner en 1957 l’existence de ce que, depuis les années 1960, les astronomes appellent les « trous noirs ». Il en produit une image poétique avant la lettre, qui n’est pas sans faire penser à la phrase de Saint-Denys Garneau, un des grands poètes du Québec : « On a décidé de faire la nuit / Pour une petite étoile problématique »