L’artiste dévoré par des démons 1964
Norval Morrisseau peint cette œuvre deux ans après sa première exposition à la Pollock Gallery de Toronto. Il fait un certain nombre d’autoportraits au cours de sa carrière, et L’artiste dévoré par des démons, qui compte parmi les premiers, est un excellent exemple de cet aspect de son travail. Morrisseau réalise deux autres autoportraits où il se représente enlacé de serpents. Ces œuvres reflètent les conflits auxquels il fait face à l’époque de son entrée dans le monde de l’art.
Dans ce tableau, l’artiste est enveloppé de sept serpents. Selon l’interprétation freudienne, ceux-ci seraient considérés comme des symboles phalliques. Dans la tradition chrétienne, ils sont associés au mal. Mais, compte tenu des origines culturelles de Morrisseau, il est essentiel d’établir un croisement de sens pour comprendre cette image. Dans la culture anishinabée, le serpent ne signifie pas toujours le mal : dès le début du vingtième siècle, l’ethnomusicologue Frances Densmore constate dans ses recherches sur le terrain à propos de la culture anishinabée que les serpents ont également un pouvoir de guérison et qu’ils sont utilisés dans les rites midés de la religion midéwiwine.
Le chiffre sept est lui aussi important. Dans le christianisme, il signifie la perfection et la plénitude spirituelle. Comme le souligne l’historien des cultures autochtones Edward Benton-Banai, ce chiffre est hautement symbolique pour les Anishinabés : sept feux, sept clans initiaux et sept générations. Il évoque également la spiritualité, la plénitude et la rédemption. Benton-Banai explique, par exemple, que le septième feu est une renaissance prophétique et un renouveau de la culture anishinabée. Morrisseau recourt aussi à ce symbole dans Esprit aquatique (Water Spirit), 1972, où il entoure le lynx d’eau cornu Michipichou de sept cercles fragmentés afin de renforcer son pouvoir surnaturel.
Dans L’artiste dévoré par des démons, Morrisseau semble ligoté par les serpents, ce qui révélerait son insécurité en tant qu’artiste contemporain émergent. Bien que les serpents renvoient à des récits traditionnels, il est possible qu’il leur confère un sens qui correspond à sa situation du moment. Les serpents peuvent être interprétés comme une évocation visuelle du carcan que lui impose son indigénéité (sur le plan culturel et politique) en tant qu’artiste et en tant qu’Autochtone au Canada dans les années 1960. À mesure qu’il innove et négocie les virages et obstacles de la politique culturelle canadienne, Morrisseau est clairement incertain de ce qui l’attend, et c’est ce sentiment de vulnérabilité qu’il exprime ici.