Sa carrière durant, Kazuo Nakamura ne cesse d’expérimenter différents styles, s’inspirant des gravures sur bois japonaises, de l’impressionnisme et empruntant des idées au Bauhaus. Bien qu’il soit principalement connu pour ses emblématiques paysages bleu-vert, ces œuvres ne sont qu’une expression de son intérêt pour la nature. Fondamentalement, Nakamura est en quête d’une vérité plus profonde dans les régularités et les suites numériques qui structurent notre univers. Tout son art – qu’il s’agisse de peintures figuratives ou abstraites, ou encore de sculptures – est une voie pour mieux comprendre le monde physique dans lequel nous vivons.
L’inspiration de l’art japonais
Les premiers critiques à écrire sur l’œuvre de Kazuo Nakamura ont souvent évoqué au passage sa sensibilité « orientale », comme si cette qualité allait de soi. Ils font référence à la touche délicate et à l’impression de quiétude laissée par certaines de ses peintures, ainsi qu’à la prédominance de la nature. Ces commentaires reflètent pour la plupart une vision stéréotypée et parfois, insensible, selon laquelle Nakamura, étant d’origine japonaise, produirait par extension un « art japonais ».
George Elliott, écrivant sur l’œuvre de Nakamura en 1954, est l’un des premiers critiques à exposer en détail le lien entre l’artiste et l’art japonais, déclarant : « Il a deux sources de sujets reconnaissables. La première est ce que l’on pourrait appeler un instinct racial pour le paysage. La fragilité, la précision et la simplicité traditionnelles au Japon, ainsi qu’une certaine poésie vaporeuse dans la peinture de paysage se manifestent dans son œuvre, bien qu’elle ne soit pas particulièrement japonaise en apparence. » Même le célèbre critique américain Clement Greenberg, invité par Jock Macdonald (1897-1960) à visiter les ateliers du Groupe des Onze en 1957, observe après avoir vu l’œuvre de Nakamura que l’artiste est « un tantinet trop subjugué par un « penchant » oriental ». Ce n’est pas là un compliment de la part de Greenberg, reconnu pour être notoirement anti-« oriental » en matière d’art.
Nakamura lui-même lutte contre les caractérisations selon lesquelles son art reflète des influences de la culture japonaise. Dans une interview de 1979, Joan Murray lui pose la question suivante :
J. M. Tout le monde remarque que votre travail a quelque chose de japonais ou du moins d’oriental. Pensez-vous réellement à l’art oriental lorsque vous travaillez?
K. N. Non.
J. M. C’est inné?
K. N. Je pense que ça doit être inné.
Nakamura ne reconnaîtra explicitement qu’une seule fois cette qualité de son œuvre qui peut être liée à la sensibilité artistique japonaise. Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense du commentaire du célèbre critique J. Russell Harper, selon qui les toiles de Nakamura révèlent une « sensibilité orientale », l’artiste répond : « S’il existe une sensibilité orientale dans mon travail, c’est possiblement à cause de mon utilisation du monochrome, ce qui est également assez courant aujourd’hui chez de nombreux peintres contemporains. » Les œuvres de la série Inner Structure (Structure intérieure) jusqu’aux paysages des années 1960, tels que Blue Reflections, B.C. (Reflets bleus, C.-B.), 1964, ou les peintures de la série String (Ficelle), dévoilent toutes la prédilection de Nakamura pour les teintes monochromes dominantes.
Le peintre est très tôt conscient – grâce à son oncle et aux magazines d’art japonais auxquels il est abonné – de l’art qui se pratique au Japon. Cependant, par son éducation artistique formelle à la Central Technical School (CTS) et grâce à la scène artistique torontoise, il est exposé à l’art occidental, principalement l’art britannique. Il se peut aussi qu’il ait simplement repris certains des éléments stylistiques courants de l’art japonais par le biais d’artistes occidentaux comme Vincent van Gogh (1853-1890), qui admirait et imitait les estampes japonaises du dix-neuvième siècle.
De manière générale, on pourrait dire que Nakamura s’est ouvert à la notion d’immersion dans la nature parce qu’il y a été exposé dans la culture et l’art japonais. L’historien de l’art Richard Hill rapporte les propos de Nakamura, qui explique : « L’humain n’est jamais au-dessus de la nature. L’humain est avec la nature (Évolution universelle). » Cela dit, on peut trouver des déclarations similaires dans un certain nombre de sources, y compris la plus évidente provenant de la science.
Si l’on met de côté les questions thématiques, on peut aisément appliquer à l’œuvre de Nakamura des termes tels que « raffinement », « harmonie », « calme », « précision », « irrégularité » ou « beauté spontanée » (wabi-sabi), qui ont une longue histoire dans l’art et la culture du Japon. Certaines des sculptures de Nakamura, comme Tower Structures (Structures de tours), 1967, peuvent être caractérisées comme non raffinées, inachevées, et donc spécifiquement liées à l’esthétique japonaise de l’imperfection. Mais elles peuvent aussi être liées à la notion néo-platonicienne de l’imperfection des formes terrestres, comme le souligne Jerrold Morris en parlant de Nakamura endossant le projet des philosophes grecs.
D’aucuns pourraient prétendre que les hautes lignes d’horizon et la prédominance du bleu, au sein de paysages comme August, Morning Reflections (Août, reflets du matin), 1961, sont des traits stylistiques attribuables à l’influence japonaise. Cependant, cette ligne d’horizon surélevée caractérise tout autant le paysage montagneux autour de Tashme, en Colombie-Britannique, où Nakamura a été interné entre 1942 et 1944, et marque donc également l’art paysagiste de l’Ouest canadien. Les traces d’une influence sont indéniables, mais elles sont fortuites, reprises ici et là, certaines plus systématiquement mises en œuvre que d’autres. En fait, la déclaration la plus complète de Nakamura à propos de la culture japonaise semble indiquer pourquoi il est si difficile de démêler ces influences. Lors d’une entrevue avec David Fujino, où on lui pose des questions sur la culture japonaise et sa survivance au Canada, l’artiste répond que selon lui, avec les mariages mixtes, elle serait diluée au point de disparaître d’ici une cinquantaine d’années. Il explique :
Nous imaginons que c’est la population japonaise qui apporte sa culture; mais en réalité, c’est l’influence culturelle la plus forte qui influencera le reste de la culture générale. À un certain moment, une certaine culture s’inscrit dans l’évolution de la culture universelle. C’est l’influence la plus forte, donc elle n’a pas besoin d’être poussée ou forcée […]. Si vous observez la culture européenne, vous remarquerez que différentes cultures s’imbriquent les unes dans les autres; par exemple, la culture grecque est devenue la culture romaine.
Nakamura reflète cette idée dans sa description de l’évolution de l’art : dans les graphiques dont il se sert pour exposer ce processus, l’art japonais est absorbé au profit d’une évolution vers un art plus universel.
La croyance de Nakamura en cet art universel explique peut-être ses réticences à mettre en évidence les éléments de son œuvre qui sont japonais et ceux qui ne le sont pas. Comme Richard Hill le reconnaît avec finesse, le recours constant de l’artiste au bleu de Prusse, comme par exemple dans Number Structure and Fractals (Structure numérique et fractales), 1983, est un clin d’œil à l’indigo japonais. Cependant, pour Nakamura, cette caractéristique n’est pas tant japonaise qu’universelle : elle tire effectivement son origine du Japon, mais elle a été intégrée à la culture universelle pour maintenant être appropriée par tous. Alors qu’il cherche, avec sa série Number Structure (Structure numérique), à créer des œuvres plus fondamentales, il devient important pour lui de ne pas montrer d’influence culturelle perceptible. Il ne se préoccupe donc pas de l’origine d’une idée, d’un style ou d’une technique – qu’elle soit japonaise ou autre – mais de son application pour parfaire notre compréhension des vérités universelles.
L’impressionnisme et le postimpressionnisme
L’impressionnisme et le postimpressionnisme fascinent Kazuo Nakamura tout au long de sa vie, notamment les œuvres de Claude Monet (1840-1926), Vincent van Gogh (1853-1890) et Paul Cézanne (1839-1906). Ce dernier semble avoir influencé les toiles de Nakamura du début des années 1950, comme Forest (Forêt), 1953. La touche brisée de cette composition, une technique adaptée des impressionnistes, rappelle les premières représentations de la montagne Sainte-Victoire par l’artiste français, vues par Nakamura dans le numéro du 25 février 1952 du magazine Life. Un texte de Winthrop Sargeant sur l’œuvre de Cézanne est accompagné d’un essai pictural comportant une peinture de la Sainte-Victoire datant de 1902-1904. Un autre tableau reproduit dans le même article, Le petit pont, 1879, dépeint une forêt luxuriante avec un pont au milieu, le tout se reflétant dans la mare en contre-bas. La composition présente un certain nombre de caractéristiques que l’on retrouve dans le style évolutif de Nakamura, notamment la ligne d’horizon haute ou absente, les coups de pinceau brisés et la représentation de reflets. De plus, dans son travail, Cézanne peignait rarement les contours des objets pour les délimiter, privilégiant une construction des formes par la couleur, une pratique également adoptée par Nakamura.
Le peintre reconnaît l’influence de Cézanne en référant à une reproduction de Châtaigniers au Jas de Bouffan, v.1885-1886, tirée de World Famous Paintings (1939) de Rockwell Kent, premier livre d’art acheté pendant son internement à Tashme. Dans cette peinture de Cézanne, les coups de pinceau brisés dépeignant le sol sous les arbres et le réseau de lignes créé par les branches, sont des caractéristiques que l’on retrouve également dans l’œuvre de Nakamura. Il fait aussi référence au célèbre conseil du peintre français qui recommande de traiter la nature par les formes géométriques, et exprime bientôt le désir d’aller plus loin encore : « Cézanne a décomposé la nature en cônes, en sphères. Mais nous vivons à une époque où nous pouvons voir une structure, une structure basée sur la structure atomique et le mouvement. » Les œuvres de la série Inner Structure (Structure intérieure), qui reprennent les thèmes de l’ère atomique, viendront peu après.
C’est à Monet que l’on doit le style mature de tableaux comme Inner Structure (Structure intérieure), 1956, et Inner View (Vue intérieure), 1954. Une caractéristique frappante des œuvres de la série Structure intérieure est qu’elles apparaissent quelque peu brumeuses et floues, rappelant la qualité atmosphérique des toiles de Monet représentant la façade de la cathédrale de Rouen. C’est une façon pour Nakamura de donner intentionnellement un aperçu de la structure et des motifs sous-jacents du monde. Dans sa peinture de 1966, Green Landscape (Paysage vert), une œuvre qui, de manière inhabituelle pour ses paysages, comporte quelques fleurs rouges – des roses, pour être exact –, Nakamura semble rendre hommage aux Coquelicots, 1873, de Monet, dont il possède une petite reproduction. Mais dans l’ensemble, ce sont les œuvres ultérieures du maître français – culminant avec la série des Nymphéas et leur absence ou quasi-absence de lignes d’horizon, leurs coups de pinceau rompus et leurs jeux de lumière captivants créés par l’utilisation du blanc – qui ont séduit Nakamura.
Peu après son clin d’œil à Monet avec Paysage vert – et ce n’est sans doute pas une coïncidence – il rend hommage à la célèbre interprétation des iris de Van Gogh dans In Space, Blue Irises (Dans l’espace, des iris bleus), 1967. Nakamura a une préférence marquée pour les bleus et les verts, deux couleurs qui prédominent dans l’œuvre tardive de Van Gogh. En tant que collectionneur d’estampes japonaises, dans lesquelles le vert et le bleu sont prédominants, notamment l’indigo dans les gravures sur bois (aizuri-e), l’artiste hollandais en a peut-être été inspiré, choisissant ces couleurs plus fréquemment dans ses propres œuvres. La description faite par Van Gogh de l’immersion de l’artiste japonais dans la nature est bien connue :
Si nous étudions l’art japonais, nous voyons un homme sans doute sage, philosophe et intelligent, qui passe son temps à faire quoi? À étudier la distance entre la terre et la lune? Non. À étudier la politique de Bismarck? Non. Il étudie un simple brin d’herbe.
Mais ce brin d’herbe l’amène à dessiner toutes les plantes, puis les saisons, les grandes lignes du paysage, puis les animaux, puis la figure humaine. Il passe ainsi sa vie, et la vie est trop courte pour tout faire.
Voyons, n’est-ce pas presque une véritable religion que nous enseignent ces simples Japonais, qui vivent dans la nature comme s’ils étaient eux-mêmes des fleurs?
Les hommages explicites de Nakamura à Monet et à Van Gogh en 1966 et 1967 suggèrent qu’il porte attention aux impressionnistes et aux postimpressionnistes à cette époque.
Alors qu’il élabore sa théorie sur l’évolution de l’art, Nakamura explique dans une entrevue que cette évolution est parallèle au développement de la science :
Vers 1900, l’humain a commencé à comprendre les atomes; c’est également à cette époque qu’apparaissent les impressionnistes […]. Jusque-là, la plupart des formes d’art étaient assez linéaires. Mais la ligne n’existe pas lorsqu’on commence à comprendre les atomes et leur mouvement. C’est une façon dont on peut expliquer l’apparition de l’impressionnisme. Ensuite, la théorie de la relativité d’Einstein est basée sur le mouvement, tout comme l’art abstrait et ses formes.
Spatial Concept, Geometry (Concept spatial, géométrie), 1968, retrace cette évolution de la Renaissance à l’époque moderne et place l’impressionnisme et le postimpressionnisme au cœur d’un changement fondamental. Reflétant ce changement dans son propre travail, le coup de pinceau de Nakamura devient plus lâche, soulignant un élément de temporalité lié au mouvement, et il adopte une palette de teintes bleues et vertes à la limite du monochrome. Et pourtant, ce ne sont là que deux points de repère stylistiques dans sa constante évolution artistique.
Le Bauhaus et le modernisme
Les empreintes digitales du Bauhaus et du modernisme marquent l’ensemble de l’œuvre de Kazuo Nakamura. Jock Macdonald, membre du Groupe des Onze, qui a donné des cours particuliers à l’artiste durant son adolescence à Vancouver, serait responsable de lui avoir d’abord fait découvrir ces idées. Ensuite, la Central Technical School (CTS) de Toronto, dont le programme et les enseignements ont une dette considérable envers le Bauhaus, les aurait renforcées.
Macdonald a probablement attiré l’attention de Nakamura sur les écrits de László Moholy-Nagy (1895-1946), qui traitent en détail de la relation entre l’art, la société et la science, et possiblement sur les travaux et les écrits de Paul Klee (1879-1940), dont le Pedagogical Sketchbook regorge d’exemples de concepts scientifiques façonnant son art. Il est difficile de mesurer l’étendue de l’influence de Moholy-Nagy au-delà du vaste programme selon lequel le progrès de l’art doit aller de pair avec celui de la science. Il se concentre davantage sur la technologie et l’art, alors que Nakamura s’intéresse davantage aux sciences physiques. Les écrits de Klee traitent de sujets allant de la gravité au mouvement des atomes, auxquels Nakamura s’intéresse également, mais rares sont les preuves que Nakamura ait lu Klee. De temps à autre, les lavis de couleurs et les réseaux de lignes en pattes de mouche de Klee, comme dans Gefecht (Combat), 1930, trouvent un écho dans l’œuvre de Nakamura, par exemple dans Composition 10-51, 1951.
La plus grande influence du Bauhaus sur Nakamura s’exerce par le biais d’une série de livres sur l’école, édités par Moholy-Nagy, ainsi que par les conférences qu’elle diffuse. Grâce à ces sources, le Bauhaus promulgue la vision moderniste de l’art en partageant les idées des artistes et des enseignants invités avec un public extérieur à l’école elle-même. Le recueil de cinq essais de Piet Mondrian (1872-1944), et en particulier son « évolution méthodique » de la peinture figurative à l’abstraction, attire clairement l’attention de Nakamura. Non seulement les œuvres initiales des deux artistes sont-elles ancrées dans l’impressionnisme et le postimpressionnisme, mais Mondrian et Nakamura développent également un style qui décompose notre monde visible en éléments visuels fondamentaux largement géométriques. Par exemple, l’utilisation précoce d’arbres par Nakamura et la façon dont leurs branches évoluent en un réseau abstrait de lignes qui finissent par se fondre dans l’espace qui les entoure, comme dans Hillside (Coteau), 1954, correspond étroitement au processus entrepris par Mondrian dans sa célèbre série d’arbres entre 1908 et 1912. Cependant, alors que Mondrian se contente d’une simplicité géométrique fortement influencée par le spiritualisme, Nakamura pousse son abstraction plus loin en adoptant une approche mathématique dénuée de toute inflexion spirituelle. Les peintures de la série Structure numérique en sont un exemple évident.
La notion de progrès dans les arts, exposée par Nakamura dans Spatial Concept, Geometry (Concept spatial, géométrie), 1968, et décrite dans divers courts textes et notes, n’est pas nouvelle au Bauhaus, mais l’école et nombre des artistes qui y sont liés perpétueront cette idée. Mondrian adhère au concept de l’art et de la société évoluant vers un objectif utopique, ce qui, dans l’art, signifie une plus grande simplification visuelle. Cette idée trouve écho dans les écrits et les peintures de Wassily Kandinsky (1866-1944), que Nakamura connaît bien, et de Kazimir Malevitch (1879-1935), dont il aurait vu les œuvres au Museum of Modern Art de New York.
La formulation géométrique de ce modèle d’évolution est toutefois plus étroitement liée à l’artiste russe El Lissitzky (1890-1941), qui établit, dans son texte de 1925 « A. and Pangeometry », un célèbre parallèle entre le développement de l’art et l’histoire des mathématiques. Lissitzky assimile la représentation plane et bidimensionnelle, que l’on retrouve par exemple dans l’art égyptien, à une simple progression numérique de 1, 2, 3, … et aux lignes et plans de la géométrie. Il cite des équivalents mathématiques correspondants à l’introduction de formes superposées et à l’utilisation de fractions, et ainsi de suite, jusqu’à atteindre le présent (ici, 1925), où l’art est équivalent à l’émergence des nombres imaginaires et de la géométrie non euclidienne. La lecture de Nakamura est étrangement similaire, bien qu’elle ait pu se développer de façon indépendante. Dans la publication de 1974 pour sa rétrospective à la Robert McLaughlin Gallery, Nakamura écrit :
1er niveau : concept de perception bidimensionnelle – période de l’espace plat, en échelle (jusqu’à environ 1400 après J.-C.)
2e niveau : concept de perception tridimensionnelle – période de la perspective et de l’isométrie (1400-1870 après J.-C.)
3e niveau : concept de perception quadridimensionnelle – période de l’espace plat, de l’octogone, du cercle, de la forme concave/convexe, du ruban de Möbius et de la vague (de 1870 à nos jours).
D’une manière générale, Nakamura considère qu’avant 1400, l’art est dominé par une conception bidimensionnelle du monde, à la Renaissance, il évolue avec la perspective linéaire, et plus tard, avec l’impressionnisme, Nakamura y voit un parallèle visuel avec le monde de la quatrième dimension qui inclut la géométrie non-euclidienne.
L’accent mis par le Bauhaus sur la fonction sociale de l’art et sa relation avec la science et la technologie est déterminant pour Nakamura, tant sur le plan thématique que stylistique. Dans les années 1960, il expérimente diverses formes d’abstraction, notamment géométriques, dans le but de reproduire et de révéler le mouvement non seulement dans le temps, mais aussi dans l’espace. Cette idée guidera sa pratique pour le reste de sa vie.
Un paysagiste?
Il est curieux de constater que dans toutes les études portant sur Kazuo Nakamura, l’artiste est rarement identifié et abordé en tant que paysagiste. Pourtant, en dehors de ses peintures plus abstraites, de ses sculptures et de ses natures mortes occasionnelles, il ne produit que des paysages. Pourquoi alors n’a-t-il pas trouvé sa place dans la vénérable tradition paysagiste de l’art canadien?
D’abord, Nakamura ne se retrouve pas à peindre des paysages par choix. Ses premières peintures représentent divers endroits autour de Vancouver et ce n’est que lorsque qu’il est interné à Tashme avec sa famille que Nakamura commence à dessiner et à peindre des paysages pour de bon. En fait, certaines des caractéristiques typiques de ses paysages, comme la haute ligne d’horizon, datent de sa période à Tashme, car elles incarnent la géographie de la région. Il est également suggéré que Nakamura se tourne potentiellement vers la peinture de paysage parce qu’on ne lui a jamais appris à dessiner la figure humaine lors de ses études en art commercial. Cependant, étant donné sa propension à expérimenter, il semble plus probable que Nakamura ait fait le choix de ne pas représenter la figure humaine. Les personnages apparaissent rarement dans ses peintures après 1945. Et même dans ses sculptures, moyen d’expression se prêtant au portrait, il s’en tient à des sujets abstraits.
La question demeure : Pourquoi Nakamura est-il si peu souvent abordé sous l’angle du paysagisme? C’est probablement parce qu’il n’est pas devenu un peintre de paysage, mais plutôt un peintre de séquences numériques, une identité qu’il a fièrement acceptée. De plus, il ne s’est jamais arrêté à un style unique. Tom Thomson (1877-1917) avait un style unique, tout comme Paterson Ewen (1925-2002), lorsqu’il s’agissait de paysages : on ne peut pas confondre leurs œuvres avec celles d’un autre. Nakamura, en revanche, est identifié aux magnifiques paysages bleu-vert qu’il peint à la fin des années 1950 et au début des années 1960, dont Lakeside, Summer Morning (Bord de lac, matin d’été), 1961, est un excellent exemple. Il produit toutefois ces paysages aux côtés d’œuvres obscures telles que Landscape 67 (Paysage 67), 1967. En outre, la majorité de ses paysages sont naturalistes plutôt que réalistes. En d’autres termes, ils ne correspondent pas à un lieu identifiable et ne sont pas peints en plein air. Pour Nakamura, un paysage est un point d’entrée pour révéler des idées plus universelles.
Nakamura aime créer des paysages dépeignant de vastes espaces ouverts, des lacs et des forêts denses. Sur le plan pictural, ils affirment surtout la planéité de la surface sur laquelle sont appliquées les lignes et les couleurs, car il s’intéresse vivement aux motifs. Symboliquement, les forêts denses que l’on retrouve dans des œuvres comme Hemlocks (Pruches), 1957, constituent un écran sur lequel sont créés des motifs complexes avec les branches et le feuillage, révélant l’ordre sous-jacent au chaos apparent de la nature. Les champs ouverts, comme dans Autumn Morning (Matin d’automne), 1958, montrent l’immensité des espaces que nous habitons, insaisissables, qui sont de temps à autre dissimulés par le brouillard ou la brume, rendant inaccessible ce qui se trouve au-delà. Les lacs et leurs surfaces dans Bord de lac, matin d’été opposent le monde physique à leurs reflets, parallèlement à notre propre réflexion du monde sur la surface peinte. Enfin, des œuvres comme Landscape (Paysage), 1953, frôlent l’abstraction, le point final de la carrière de Nakamura.
Plus important encore, il est fort probable que le peintre ne se soit jamais considéré comme un paysagiste. Il compose des paysages, certes, mais son intention n’est pas de représenter le monde visible. Ses objectifs sont plus ambitieux. Chaque scène – qu’il s’agisse d’un arbre, d’un lac, d’une montagne ou d’une combinaison de ces éléments – est une occasion d’expérimenter une nouvelle façon de voir, de transcender la surface et de trouver une approche inédite pour comprendre la structure qui la sous-tend.