Structure numérique II 1984
Kazuo Nakamura consacre les dix dernières années de sa vie à l’étude des suites et régularités numériques – le fondement de l’univers et de la nature tout entière. Structure numérique II est l’aboutissement de ce travail. La toile est une composition de minuscules carrés bleus – sur la plupart desquels sont inscrits des chiffres – disposés en motifs sur un fond ivoire. Le triangle de Sierpiński, le triangle de Pascal, le nombre de Catalan et le carré magique comptent parmi les fonctions mathématiques spécifiques auxquelles le peintre réfère dans son œuvre. Il s’agit vraisemblablement du dernier tableau qu’il a réalisé, à l’exception de quelques variations de ses paysages du début des années 1960, qui ont été appréciées des collectionneurs et se sont bien vendues.
Structure numérique II figure au sein d’une série d’œuvres représentant des progressions numériques telles que la suite de Fibonacci, ou plus généralement des combinaisons numériques comme les carrés magiques, telles qu’illustrées dans Untitled [Magic Squares] (Sans titre [carrés magiques]), v.1975-1985. Ces œuvres sont peintes à la main, le plus souvent en bleu et blanc, ce qui rappelle encore une fois les estampes japonaises appelées aizuri-e. L’utilisation des mathématiques et les grilles qu’elles génèrent contrastent avec les chiffres, tous écrits à la main et faisant écho aux lignes dessinées pareillement par Agnes Martin (1912-2004) dans ses œuvres minimalistes. Les peintures marquent une autre rencontre entre l’esprit humain, exprimé par l’écriture manuscrite, et l’univers que l’esprit cherche à décrire, exprimé par les chiffres. Ici, ce dialogue est réduit à son essence, par les régularités numériques qui existent dans la nature.
Ce qui est intéressant dans l’étude de ces séquences numériques, c’est que Nakamura se concentre sur les régularités qui décrivent les comportements des phénomènes naturels plutôt que sur les théorèmes. La distinction entre les deux n’est pas forcément énorme, mais les motifs ont une qualité esthétique qui a le propre d’attirer l’œil d’un artiste. Nakamura a assurément une vision globale : « J’ai toujours été intéressé par les structures internes, la loi de l’ordre qui réside en toute chose », confie-t-il. Mais, en fin de compte il se concentre résolument sur les régularités numériques.
Cette fascination – certains diraient même cette obsession – est sans doute née de la découverte des fractales. En 1975, le mathématicien Benoît Mandelbrot forge le mot « fractale » pour décrire une sorte de répétition géométrique dans laquelle une forme rudimentaire peut être divisée en parties, chacune d’entre elles étant une copie progressivement plus petite du même motif global – pensez aux fougères ou aux flocons de neige. À la même époque, Nakamura commence à élaborer des progressions numériques sur des rames infinies de papier millimétré. Cette pièce devient, comme il le déclare en 1993, « [son] œuvre la plus importante à l’heure actuelle ». Le marchand d’art Christopher Cutts note après la mort de Nakamura en 2002 que « Kaz était à la recherche de la grande théorie […]. Cette quête était son Saint-Graal, son calice. Il estimait que les œuvres à structure numérique constituaient son héritage ».
Bien qu’il n’ait jamais terminé son travail avec les séquences de nombres, comme en témoignent les liasses de progressions sur papier qu’il produit jusqu’à sa mort, Nakamura abandonne la peinture avec Structure numérique II. Comme il l’explique dans une entrevue : « Je m’efforce de me surpasser dans le domaine de la théorie. Quand je travaille ainsi, je découvre toujours quelque chose de nouveau. Alors que la peinture n’est qu’une interprétation. J’espère revenir à la peinture », conclut-il. Ironiquement, alors que l’on peut affirmer que Nakamura a atteint la forme d’expression la plus abstraite possible, lui-même pense le contraire : il expose de grandes vérités universelles. Il déclare d’ailleurs : « On pourrait dire que je suis en fait un réaliste. »